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17 / 10 / 2012 | 35 vues
Martin Richer / Membre
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Les relations sociales, levier de compétitivité

Certains exigent un « choc de compétitivité ». D’autres préfèrent envisager une « trajectoire de compétitivité ». Les avis s’opposent sur les mérites respectifs de la « compétitivité-coûts » et « hors coûts ». Chacun attend le rapport que doit remettre Louis Gallois au gouvernement début octobre, au sujet de la compétitivité des entreprises françaises.

Si les avis sont si différenciés, c’est d’abord parce que le concept de compétitivité est complexe et multiforme. C’est pourquoi chercher à le réduire à une simple batterie d’indicateurs peut conduire à quelques confusions.

C’est ce qu'il s’est passé avec le World Economic Forum (Forum économique mondial). Cet organisme suisse, connu pour organiser le Forum de Davos, vient de publier son classement annuel de la compétitivité dans le monde (« The Global Competitiveness Report 2012-2013 »). La position de la France est tombée à la 21ème place, alors qu'elle était encore en 18ème position l'année dernière et à la 15ème place en 2010. Faut-il s’en émouvoir ?

Les indices de compétitivité sont à relativiser


Certains ont choisi de dramatiser. Par exemple, le magazine Challenges titre sur son site internet : « La France sort du top 20 des pays les plus compétitifs ». Le quotidien Le Monde (26 septembre 2012) se réfère à ce classement pour en déduire que « la situation est grave », tandis que Le Figaro (11 septembre) le met en avant pour rappeler l’urgence de diminuer le montant des charges patronales. Le quotidien des affaires, Les Échos (6 septembre), titre « Compétitivité : nouveau recul français au classement ».

Il faut tout d’abord relativiser. Même si ce classement constituait un thermomètre adéquat, notons que la fièvre ne date pas d’hier. Au 21ème rang, on pourrait aussi bien pointer l'amélioration de la position de l'Hexagone, qui était classé trentième en 2005 et en 2002.

Il faut ensuite remarquer que le classement reflète une approche très large de la compétitivité : il fait la synthèse de 12 « piliers » reposant sur une grosse centaine d’indicateurs. Ces indicateurs sont de deux types :

  • certains reposent sur des statistiques publiques issues des organismes internationaux,
  • d’autres (malheureusement trop nombreux au goût des économistes) sont bâtis sur les réponses de 15 000 responsables d’entreprises interrogés dans les 144 pays couverts par l’étude.


Même si les choses ne sont pas si tranchées, force est de reconnaître que les premiers sont « objectifs » (reposant sur des données chiffrées élaborées selon des normes professionnelles et permettant une comparabilité entre pays) et les seconds « subjectifs » (fortement liés aux représentations du répondant). Or, pour cette seconde famille d’indicateurs, chacun répond pour « son » pays (un peu plus de 100 répondants pour la France, ce qui n’est pas beaucoup) et l'on connaît l’esprit traditionnellement critique du Français…

  • C’est ainsi que l’importance de cette seconde famille, qui détermine une large partie des critères pris en compte, apparente ce classement davantage à une enquête d'opinion auprès des dirigeants (voire à un sondage auprès d’une population très spécifique) qu’à une véritable mesure d’une donnée économique.


Cette méthodologie peut conduire à des biais importants. En 2008 par exemple, la publication du classement annuel est intervenue au moment même où la banque Lehman Brothers se déclarait en faillite, précipitant le système financier américain dans la tourmente. Les États-Unis étaient en tête du classement global, avec des marchés financiers classés au 3ème rang pour leur efficacité.

Au début des années 2000, deux économistes de l'INSEE, Stéphane Grégoir et Françoise Maurel, avaient décortiqué le travail du Forum économique mondial et étaient parvenus à la conclusion que ses indices de compétitivité ne sont pas fiables et reposent sur des partis-pris qui font pourtant l’objet de controverses (par ex. : effets considérés systématiquement négatifs des déficits publics et systématiquement positifs de l'ouverture au commerce). Un indicateur est aussi neutre que ses soubassements !

  • De même, la position relativement défavorable de la France dans le classement du Forum économique mondial contraste avec son excellente position comme terre d’accueil des investissements étrangers. Il s’agit là d’un indicateur objectif (décompte de la valeur des IDE, investissements directs à l’étranger).


Si le classement de la France apparaît médiocre, c’est principalement dû à un très mauvais score sur le critère de la performance de notre marché du travail (« labour market efficiency » : 66ème rang sur les 144 pays étudiés). Mais lorsque l’on prend la peine d’auditer les indicateurs pris en compte pour construire ce critère, on constate que, certes, il est dû en partie à un mauvais classement sur ce qui est perçu comme une rigidité en matière de recrutement et licenciement (« hiring and firing practices » : 141ème rang ; cet indicateur fait partie de la famille des « subjectifs ») mais en revanche, les performances observées pour  la France sont beaucoup moins défavorables pour le coût des licenciements (« redundancy costs » : 51ème rang ; cet indicateur fait partie, lui, des « objectifs »). La forte « rigidité » du marché du travail français, mise en exergue par le Forum économique mondial et souvent reprise par les dirigeants d’entreprises, est donc à relativiser. Par ailleurs, j’émets les plus grandes réserves sur la pertinence de ce 141ème rang sur ce critère. Il est notamment contradictoire avec un indicateur bien connu de l’OCDE, la LPE (« législation protectrice de l’emploi »), qui cherche à cerner la même réalité et place la France dans une position beaucoup moins « extrême ».

Mauvaise qualité des relations sociales


Enfin, la seconde plus mauvaise note explicative de ce critère est la mauvaise qualité des relations sociales (« cooperation in labour-employer relations ») : 137ème rang sur 144. Il n’y a donc que sept pays qui font moins bien que la France : la Mauritanie, la Serbie, le Népal, la Roumanie, le Venezuela, l’Algérie et l’Afrique du Sud. Cet indicateur mesure le degré d’antagonisme des relations sociales (plutôt conflictuelles ou, au contraire, plutôt coopératives). C’est bien pourquoi l’amélioration de la compétitivité passe par une main loyalement tendue par les dirigeants d’entreprises vers leurs organisations syndicales et leurs salariés. Sur ce sujet le Forum économique mondial confirme un certain nombre de travaux solides qui montrent que la France souffre de la mauvaise qualité de ses relations sociales, qui fait peser un coût élevé sur sa compétitivité (voir notamment : Yann Algan, Pierre Cahuc et André Zylberberg, La fabrique de la défiance… et comment s’en sortir, Albin Michel, février 2012).

  • C’est sans doute le principal mérite de ce classement : montrer que l’un des leviers les plus efficaces pour faire progresser la compétitivité des entreprises françaises est l’amélioration de la qualité des relations sociales.


La méthodologie du Forum économique mondial repose fortement sur le jugement émis par les responsables d’entreprises interrogés. Or, il est amusant de se rappeler qu’en janvier 2003, c’est ce même Forum économique mondial qui présentait à Davos un sondage réalisé auprès de 36 000 personnes dans 47 pays qui a fait sensation. Il montrait que seulement 33 % des personnes interrogées disaient avoir confiance dans les chefs d’entreprise, contre 56 % qui déclaraient avoir confiance dans les ONG (organisations non gouvernementales). Interrogeons donc les ONG plutôt que les responsables d’entreprises !

S’il ne faut pas tirer de conclusion hâtive dans le sens que le Forum économique mondial voudrait nous voir prendre, il ne faut pas non plus prétendre que la France n’a pas de problème de compétitivité. Mais il n’est peut-être pas là où le Forum économique mondial voudrait le pointer. Début juillet, le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault a confié à Louis Gallois, ancien patron de la SNCF et d'EADS, « une mission sur la compétitivité de nos entreprises », dont le résultat sera livré dans quelques semaines…

Je me souviens du 3 février 1996. Ce jour-là, au Forum économique mondial de Davos, en Suisse, devant un parterre de 2 000 « global leaders », dont 350 ministres, Hans Tietmeyer, à l'époque président de la Banque fédérale d'Allemagne, déclarait : « Vous, les dirigeants politiques, vous devez savoir que vous êtes désormais sous le contrôle des marchés financiers ». Aucun des ministres présents n'a bronché. On sait ce qu’il est advenu…

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merci Martin d'avoir décortiqué cette étude bidon, tout comme le classement de nos grandes écoles financé par les MBA privées internationales, pour attirer les riches étudiants ailleurs. A qui profite le crime? c'est d'abord la question à se poser.On mélange tout, le subjectif et l'Objectif, comme dans les RPS. Qui a commandé le diagnostic subjectif pour faire porter le chapeau sur les managers de proximité, sans traiter des causes primaires organisationnelles?. Nous avons calculé sur la base des 18,5 millions de salariés du privé, payés au salaire brut moyen annuel chargé de 5OKe, que la non QVT dégradait la Masse Salariale d'environ 23% ( absentéisme,turn over forcé, ATMP et Trajets). Soit 200 Milliards € et env 11Ke/an/salarié, là réside le choc de compétitivité,en améliorant les conditions de travail dans nos organisations de transformations perpétuelles. Un gain de 50% nous permettra de sauver l'équivalent de 100 Milliards € en journées non travaillées. Mais l'enjeu est d'abord de marteler le petit cerveau rationnaliste de nos politiques pour obtenir un effet d'aubaine de plus sur le coût du travail. Surtout ne jamais penser global et décider local,clientélisme oblige!