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10 / 11 / 2016 | 22 vues
Audrey Minart / Membre
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« Les autoconvoqués » : retour sur les origines d'un mouvement syndical radicalisé

Lauréat DIM Gestes 2015, cet Italien de 27 ans s’intéresse au mouvement des « autoconvoqués ». Plutôt radicalisé, celui-ci est né à Brescia dans les années 1980, à rebours d’un contexte syndical général qui tendait plutôt vers la modération. Anomalie historique ?

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Marco Giovanessi a grandi à Brescia, petite ville industrielle d’Italie. Après s’être familiarisé avec la sociologie, la psychologie sociale et l’histoire dans un « lycée de sciences sociales », il a étudié l’histoire, les lettres et la philosophie, avant de valider un master 2 en histoire contemporaine. C’est dans ce cadre qu’il a commencé à travailler sur le syndicat des métallurgistes de Brescia en 1969-1976, période caractérisée par une recrudescence de la radicalisation syndicale. Dans le cadre de son doctorat (Centre d’histoire sociale du XXème siècle, Université Paris Panthéon Sorbonne–Paris I), réalisé sous la direction de l’historien Michel Pigenet, il s'est désormais penché sur les luttes syndicales, à Brescia, de 1983 à 1993 (« Une anomalie italienne entre restructurations industrielles, austérité et déclin de la centralité ouvrière »).

Ceux-ci avaient pour objectif de protester contre la volonté des principaux syndicats nationaux italiens d’accepter ce qu’ils considéraient comme un recul des droits des travailleurs.Il s’agit, pour Marco Giovanessi, d’étudier les conséquences, chez les salariés, des restructurations industrielles et coupes budgétaires de la fin des années 1970 en Italie mais aussi de comprendre pourquoi les travailleurs de Brescia ont donné naissance à un mouvement radicalisé en 1984 : « les autoconvoqués ». Ceux-ci avaient pour objectif de protester contre la volonté des principaux syndicats nationaux italiens d’accepter ce qu’ils considéraient comme un recul des droits des travailleurs. Le mouvement a fini par s’étendre à toute l’Italie. Une sorte d’« anomalie » donc pour Marco Giovanessi, à une période où tous les syndicats tendaient alors vers la modération.

Brescia et ses « autoconvoqués », une anomalie ?

De quelles mouvances syndicales le mouvement des « autoconvoqués » est-il composé ? Si ailleurs en Italie, c’est essentiellement la Confederazione Generale Italiana del Lavoro (CGIL, proche du parti communiste, NDLR) qui a mené cette contestation. À Brescia, le mouvement a aussi été rejoint par des militants de la Confederazione Italiana Sindacati Lavoratori (CISL, proche du parti démocrate-chrétien, NDLR), pourtant plus modérée. Ce qui explique que ces derniers ont été mis en avant par les militants de la CGIL, soucieux de démontrer qu’ils n’étaient pas les seuls à critiquer ce tournant syndical… À Brescia toujours, la contestation a également été nourrie par les importantes capacités de mobilisation du « syndicat des métallos » (La Federazione Impiegati Operai Metallurgici, FIOM, organisation syndicale des métallurgistes de la CGIL), ce bien au-delà de son seul secteur (fonction publique, textile, secteur bancaire…). « En 1984, il n’y avait pas de vraie différence entre les dirigeants de la FIOM et les délégués d’usines qui menaient les autoconvoqués. Ils partageaient les mêmes idées et se montraient capables de penser politiquement », explique Marco Giovanessi.

Mais ce qui semble tout particulièrement intéresser le doctorant est l’existence, ou non, d’une connexion entre les dirigeants et la base ouvrière. « Chez les autoconvoqués, elle était bien présente. Sans doute parce que c’est la CGIL qui y était dominante ». À Brescia, la FIOM s’est même efforcée de former et de « faire monter » certains ouvriers dans la hiérarchie syndicale dès 1974. Pour le dirigeant de l’époque, Claudio Sabattini, il était crucial que « toutes les réflexions syndicales et politiques s’inspirent de la réalité du travail (...) Il considérait le dialogue avec la base comme fondamentale ».

Le fait est que bien des personnalités ont commencé leur carrière à Brescia, avant d’occuper des fonctions au niveau national. En effet, Claudio Sabattini est ensuite devenu secrétaire national de la FIOM. Giorgio Cremaschi, également secrétaire de la FIOM à Brescia au début des années 1980, est devenu l’un des principaux porte-paroles de la gauche syndicale italienne (au comité central de la FIOM). Brescia est aussi la ville où l’homme d’affaires et futur président du patronat italien Luigi Lucchini a investi dans les usines d’acier et mis en place des pratiques répressives dans les usines susceptibles de se mobiliser. Brescia, un symbole donc.

Les autoconvoqués, un mouvement symbolique mais peu étudié…

Pourquoi si peu d’universitaires se sont-ils penchés sur cette partie de l’histoire italienne ? Pour Marco Giovanessi, cela s’expliquerait par le relatif manque d’intérêt depuis les années 1980-1990 pour la classe ouvrière. Sans doute aussi, voudrait-on éviter selon lui d’évoquer un important phénomène de radicalisation qui s’est implanté dans les usines, notamment à Brescia.

Afin de remédier à cette zone d’ombre, Marco Giovanessi a commencé à s’appuyer sur une série d’articles de presse, rédigés pendant les divers événements des années 1983-1993 mais également sur les écrits, bien que rares, de syndicalistes. Il a par ailleurs commencé à réaliser des interviews de travailleurs italiens, qui ont évoqué la période 1982-1985 et devrait poursuivre avec d’autres entretiens sur la période de la fin des années 1980 et le début des années 1990. Mais n’est-il pas difficile, pour ces interviewés, d’évoquer des événements syndicaux et politiques qui datent désormais d’il y a plus de trente ans ? « Si. Mais je recueille aussi des éléments de leur vie quotidienne qui a été affectée par les évolutions de leur environnement de travail et les coupes importantes dans les dépenses publiques ». Les entretiens avec les anciens délégués syndicaux et dirigeants porteront eux davantage sur les enjeux politiques des divers positionnements syndicaux.

À noter que, bien avant sa thèse, Marco Giovanessi a déjà beaucoup analysé la vie syndicale de Brescia, où il a longtemps vécu, et où il retourne désormais régulièrement. Et d’observer : « Il est important pour un syndicat de nourrir des liens avec les travailleurs ».

 

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