Participatif
ACCÈS PUBLIC
16 / 09 / 2025 | 19 vues
Jacky Lesueur / Abonné
Articles : 2040
Inscrit(e) le 04 / 03 / 2008

Record historique de saisines à la Médiation de l’assurance

Arnaud Chneiweiss, Médiateur de l'assurance depuis 2020, a bien voulu faire le point sur l'évolution des saisines constatées au fil des ans et les enseignements qu'il convient d'en tirer...

 

Avec le recul, peut-on dire que vous êtes la principale médiation de la consommation du pays ?

 

Oui, nous avons un « choc des saisines ».En cette rentrée 2025, nous sommes sur un rythme de 41 000 saisines par an, qui proviennent pour 95% de particuliers, pour 5% de PME et de façon marginale de collectivités locales. Quand j’ai pris mes fonctions il y a cinq ans, c’était 15 000.Ajoutons à cela une progression du taux de recevabilité, passé de 33% à 45%, si bien que nous avons une multiplication par 4 du nombre de dossiers à traiter sur la période !

 

Comment expliquer une aussi forte progression ?

 

Il y a sans doute une série de facteurs.  J’en retiens cinq.
 

Depuis 2019, pour les litiges inférieurs à 5 000 euros, il faut d’abord tenter une médiation ou une conciliation avant d’aller en justice. Le but est de désengorger les tribunaux des affaires les plus « petites » – le ministère de la Justice réfléchit d’ailleurs à accroître ce seuil à 10 000 euros.


Tous les médiateurs ont vu en conséquence leur activité augmenter. La médiation aujourd'hui est clairement le premier niveau de recours pour mettre fin à un litige.

 

Et puis vous saisir est gratuit....

 

C’est le 2eme facteur en effet. Nous sommes facilement accessibles par internet, canal qui représente,en septembre 2025,70% de nos saisines.


Troisième facteur, les assurés sont mieux informés de leurs droits.


Depuis l’entrée en vigueur, au 1er janvier 2023, de la recommandation de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) sur le traitement des réclamations, les assureurs ont un délai réduit à deux mois pour répondre au mécontentement exprimé par écrit par leurs assurés ; et ils doivent, dès l’accusé de réception de la réclamation, rappeler les coordonnées de la Médiation de l’Assurance, afin que l’assuré puisse nous saisir, s’il le souhaite, à la suite de leur réponse. Il ne fait aucun doute que ce rappel de notre existence et de la manière de nous saisir à ce point du processus de réclamation a conduit à une forte hausse des saisines.

 

J’ai vu d'ailleurs que le simple fait de vous saisir peut régler le dossier

 

Oui. Dans 36 % des cas en 2024, les assureurs ont « rattrapé le dossier » en proposant rapidement, via notre intermédiaire, une transaction amiable, c'est-à-dire qu’ils ont indiqué qu’ils vont prendre en charge le sinistre.

 

Que penser de ce chiffre ? C’est énorme

 

Le sentiment est ambivalent : d'un côté, on ne peut que se réjouir de la volonté de la Profession de régler rapidement un dossier arrivé à la Médiation ; de l’autre côté, cela montre que la gestion des sinistres et des réclamations est encore souvent perfectible, et que tous les assureurs n’ont pas accru suffisamment leurs effectifs dans ces services pour tenir le nouveau délai de deux mois demandé par l’ACPR pour traiter une réclamation.


Je vous cite les deux derniers facteurs qui expliquent à mon avis qu’on se tourne vers nous : les difficultés de pouvoir d’achat, première préoccupation des Français ; et la défiance.

 

 Défiance qui touche donc aussi les assureurs...?

 

La défiance des Français touche la plupart des Institutions, comme la confiance dans notre système judiciaire qui a nettement chuté en quelques années. Les assureurs sont de fait un repère important de la vie économique et sociale, et il n’est pas étonnant que le phénomène les touche également.

 

 Comment faites-vous face à une telle masse de dossiers à traiter ?

 

Plus d'effectifs d'abord. A l’automne 2025, nous serons 120 personnes. Nous sommes la plus importante concentration de juristes spécialistes du droit des assurances du pays.


La Profession de l’assurance « joue le jeu » en nous accordant ces effectifs accrus, afin que nous puissions répondre dans des délais raisonnables aux assurés (le délai moyen pour que l’assuré obtienne une réponse sur le fond fut d'un peu plus de 7 mois en 2024, en dégradation par rapport à l’année précédente du fait de la très forte hausse du nombre de dossiers à traiter, mais en nette amélioration par rapport à 2020 où ce délai était de 12 mois). Je rappelle par ailleurs que nos positions sont presque toujours suivies – à plus de 99% - par les assureurs et courtiers, y compris sur les avis « en équité ».

 

Est-ce que cela suffira ?

 

Nous regardons aussi le recours à l’intelligence artificielle (IA) afin d'identifier et classer les documents qui nous parviennent, ceci afin de faire gagner du temps aux gestionnaires et juristes qui vont avoir à traiter le dossier sur le fond. Un prestataire spécialisé a ainsi été retenu.L’outil permet d'identifier et de classer les documents envoyés par les réclamants.

 

Un second projet a débuté, avec pour horizon début 2026, pour explorer la possibilité que l’IA puisse devenir une aide à la rédaction dans les positions que nous prenons. Toujours sous supervision humaine bien sûr.

 

Sur le fond, est-ce que la défiance des Français à l’égard du secteur est justifiée ?

 

Parfois oui. Des progrès ont été fait pour faire disparaître, enfin, les clauses d’exclusion illégales encore dans les contrats. Mais cela a été combat de plusieurs années. Je suis très heureux que l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR), en septembre 2024, ait rappelé au secteur par un communiqué de presse qu’il convient de respecter l’autorité de la chose jugée.

 

On s’étonne qu’il ait fallu tant d'efforts ! Vous avez souvent évoqué les problèmes de clarté du vocabulaire et des définitions

 

Oui, on peut évoquer trois domaines en particulier. 

D'abord, les contrats « complémentaire santé ».

Les remboursements des assureurs santé sont en général complémentaires de ceux de la Sécurité sociale. Cette imbrication crée une terrible complexité dans le vocabulaire : on dira que tel acte technique – et en matière de soins dentaires par exemple comprendre la nature de l’acte est déjà un défi pour le profane - sera remboursé à hauteur de « 100% de la base de remboursement de la Sécurité sociale » - qui peut comprendre ce que cela veut dire ?

Ajoutons aux contrats proposés des « bonus fidélité » et des « plafonds annuels de remboursement » pour tel catégorie d'acte, et le montant du remboursement par l’assureur santé devient tout à fait incompréhensible pour l’assuré.

 

On a tous l’expérience de cela. Quoi d'autre ?

 

Le mot « invalide ».

 

On peut être reconnu « invalide » par la Sécurité sociale mais ne pas l’être par l’assureur, car le contrat d’assurance ne couvrira que la catégorie la plus extrême de la Sécurité sociale, celle où l’assuré a besoin de l’assistance constante d’une tierce personne pour réaliser les actes de la vie quotidienne (se laver, se déplacer…).

 

 C’est difficile à comprendre pour l’assuré

 

Oui, il a reçu une carte tricolore d’invalidité de la part de la Sécurité sociale (par exemple de catégorie 2, où il n’est plus possible d’exercer des métiers ayant une dimension physique) mais il n’est pas reconnu invalide par l’assureur – à juste titre en vertu de la stricte application du contrat.

 

De plus, d'un contrat d'assurance à l’autre, la définition de « l’invalidité » ne sera pas tout à fait la même.

 

 Il faudrait clarifier tout cela. Vous aviez encore un exemple ?

 

Oui, avec le mot « accident ».
 

Des situations vécues comme des « accidents » par les assurés, c’est-à-dire des événements non prévus et non souhaités, ne sont pas reconnus comme tels au sens du contrat, car ils ne sont pas tout à la fois « soudains », « imprévisibles », « non intentionnels » de la part de l’assuré et « résultant directement et exclusivement d’une cause extérieure ».

 

 Que proposez-vous ?

 

J’appelle assureurs et courtiers à prendre le temps, au moment de la souscription, d’expliciter ces notions aux prospects et assurés. De ce point de vue, il est de l’intérêt de tous que l’échange dure un certain temps pour que le devoir de conseil puisse s’exercer.

 

Je propose deux pistes de progrès : d'une part, au sein du devoir de conseil, il y a un devoir de mise en garde. Le Professionnel doit attirer l’attention du candidat à l’assurance sur les limitations des garanties. Quand on souscrit un contrat « accident de la vie », il faut passer du temps sur la notion d'accident.

 

D'autre part, je forme le vœu que les assureurs s’entendent pour considérer que certaines situations (tomber de l’échelle ou du toit, la noyade…) sont bien des accidents, par exemple via un engagement déontologique de la Profession.

 

On voit qu’il y a encore à faire pour améliorer les pratiques commerciales du secteur, mais les  efforts réalisés méritent d'être soulignés  car les choses ont clairement bougé depuis 2020 sur un certain nombre de sujets (assurances affinitaires, résiliation simplifiée des contrats…)

Pas encore de commentaires