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16 / 01 / 2020 | 85 vues
Jean-Philippe Milesy / Membre
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Quand l’économie des besoins prend tout son sens

Tout le monde se souvient du très intéressant ouvrage de notre ami Jacques Fournier, L’économie des besoins. On pouvait y voir une réponse au tournant social-libéral pris par François Hollande quand ce dernier affirmait le primat d’une économie de l’offre, en faisant la part belle au financement des grandes entreprises, quitte à assécher l’action publique.
 

Aujourd’hui, alors que l’urgence climatique (simultanément à l’urgence sociale et, d’une certaine manière, l’urgence démocratique) montre l’étendue des prédations que l’hubris  financier productiviste et consumériste provoque, la recherche d’alternatives est essentielle.

 

Il ne s’agit pas de céder aux hypothèses « collapsologistes », ni même aux discours de la décroissance aveugle en un temps où des milliards d’humains sont confrontés à la pauvreté et aux manques. La transition écologique elle-même suppose d’importants investissements. Il s’agit de chercher une nouvelle approche tant de la production que de la redistribution et une nouvelle allocation des moyens et des richesses.

 

Cependant, si l’ouvrage de Jacques Fournier faisait une part première à l’économie publique dont il a une connaissance et des pratiques avérées, il ne citait qu’à la marge la place que l’économie sociale pouvait y prendre.
 

Pourtant, si l’on considère l’histoire de l’ensemble des initiatives et des entreprises de l’économie sociale, il paraît clairement qu’elles sont toutes nées de la prise en charge collective par des gens des besoins auxquels ils sont confrontés. Ces besoins sont parfois élémentaires, parfois plus complexes. Mais dans la réponse qui leur est apportée, le caractère non-accumulatif et non-spéculatif des structures de l’économie sociale et solidaire leur interdit de céder à tout hubris (*). Si elles le font, comme les dérives de certaines grandes enseignes le montre, c’est que l’essence coopérative, mutualiste ou associative a cédé le pas à une banalisation « libérale », c’est-à-dire à une logique purement commerciale ou financière. Les manques à la gestion démocratique favorisent ces dérives. Mais pour l’essentiel, l’économie sociale et solidaire est une économie des besoins.
 

Elle ne saurait s’engager dans les « besoins artificiels », tels que les dénonce Razmig Keucheyan dans son ouvrage éponyme (éd. Zones), dont il décrit les mécanismes. Il y refuse l’incrimination couramment utilisée des « consommateurs » et cite Marx : « Ce n’est pas seulement l’objet de la consommation mais aussi le mode de consommation, qui est donc produit par la production, et ceci non seulement d’une manière objective mais aussi subjective. La production crée donc le consommateur ».
 

Toute économie soumise à l’offre pour les profits crée nécessairement excès et prédations.
 

L’ « être soigneux » dont Bernard Stiegler dit qu’il est le ressort du « néganthropocène » (c’est à dire d’une société, d’une économie renonçant aux prédations de « l’anthropocène ») semble l’être non de retours en arrière, marqués par les peurs et les fantasmes, mais celui de la raison et du refus de ces besoins artificiels que nous impose l’économie de l’offre promue par les grandes entreprises capitalistes et leurs penseurs libéraux.
 

Pourtant, nous ne mettons ce fondamental de l’économie sociale que rarement en avant, lequel en fait une économie profondément en phase avec les alternatives qu’il s’agit de trouver à la société de marché que dénonçait Karl Polanyi en son temps.
 

Ces alternatives rejoignent les revendications exprimées par le mouvement qui se lève à partir de l’urgence qu’il y a à prendre la catastrophe climatique en compte que le développement effréné de l’offre aggrave chaque jour davantage. C’est là que je vois une même logique entre la pensée critique qui se développe et le combat de la jeune Greta Thunberg dont les derniers discours dénoncent les responsabilités des grandes firmes dans la crise actuelle.
 

(*) L'hybris (ou hubris) est un concept grec que l'on peut traduire par démesure, orgueil, outrage, agression, insolence ou transgression.

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