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29 / 04 / 2024 | 62 vues
Nicolas Faintrenie / Membre
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Plaidoyer pour un droit de rédiger des accords collectifs

Le droit de la négociation collective s’inscrit dans l’Histoire, plongeant ses racines dans les grèves et le sang. Il s’est construit par strates, partagé entre la poursuite d’une logique propre et la navigation sur le cours de l’Histoire. Quelques exemples nous invitent à conquérir un nouveau droit : celui de la rédaction des accords par les représentants des travailleurs.

 

Se pencher sur la problématique des accords collectifs demande en premier lieu de se rappeler comment les travailleurs (français) ont obtenu le droit d’améliorer leur sort par la signature de conventions. Le creuset de ce droit n’était pas propice. La Révolution française, si elle rompait avec un Ancien Régime puissant, préservait le centralisme d’Etat. Elle laissait donc peu de place aux parties privées pour régler des problématiques collectives.

 

La difficile émergence de la négociation collective

 

S’agissant de la possibilité de conclure des accords entre parties privées, la conception française (issue du Code civil de 1804) reposait sur la fiction d’une égalité entre les parties. Cette conception sans exception allait longtemps entraver l’émergence du droit social, qui se caractérise par une dissymétrie des forces entre l’employeur et son salarié.

 

Concernant la pratique contractuelle, il s’agissait de mettre fin à des grèves par voie d’accord (ou de procès-verbal), comme on met fin à une guerre par traité. En dehors de ce cadre conflictuel, les éventuelles stipulations à portée collective comprises dans un accord ne liaient pas les employeurs jusqu’au sortir de la Première Guerre mondiale. C’est de la graine de l’accord conclu en fin de grève et permettant la reprise du travail que l’on peut concevoir l’émergence d’un droit à la négociation collective. Une perle de droit dans un écrin de feu.

 

Les phases de croissance de la négociation collective

 

La loi du 28  mars 1919 représente le printemps du droit de la négociation collective. Le concept de « convention collective  » émerge, reconnaissant le contrat conclu entre un ou plusieurs syndicats et un ou plusieurs employeurs ou groupements d’employeurs. Cette loi voit fleurir rapidement de nombreuses conventions collectives, vite fanées, sauf dans des secteurs comme l’industrie. Il faut attendre le Front populaire, et l’été de la loi du 24 juin 1936, pour fortifier les règles prévues en 1919 et inventer notamment le mécanisme de l’extension  : par action de l’Etat, la convention conclue peut s’imposer à d’autres employeurs que ses seuls auteurs.
 

En 1950, après la période de Vichy, les conventions collectives sont rétablies et les acquis du Front populaire confortés. Le nombre de conventions collectives ne cesse alors de se développer, couvrant un pourcentage toujours plus grand des salariés du secteur privé.
 

Après les évènements de mai 1968, le gouvernement entend favoriser l’essor de la négociation collective au niveau de l’entreprise.

 

La rédaction des accords, angle mort de la négociation collective

 

Parmi les critères permettant d’apprécier l’évolution du droit à la négociation collective, on retrouve les sujets sur lesquels portent la convention, la qualité des cocontractants, leur capacité à s’engager ou à se désengager, le rôle de l’Etat. Nombre de règles de formalisme imposées par l’Etat ont émergé pour décider si l’accord est validé et/ou peut être étendu sur l’ensemble d’une branche professionnelle.

 

Parmi toutes ces règles, aucune ne concerne les rédacteurs de l’accord. Si ces règles n’existent pas, la pratique a considérablement évolué.

 

Entre les procès-verbaux rédigés à l’occasion des grèves des miniers d’Arras en 1891 et les accords conclus de nos jours, on peine à trouver, à leur seule lecture, un lien de parenté. L’on ne saurait qualifier cette évolution de progrès, dans la mesure où ces procès-verbaux de 1891 sont regardés de nos jours comme les premières conventions collectives, alors que certains accords de branche sont bavards mais creux, et tendent parfois à dégrader les garanties des salariés.
 

La capacité à rédiger est indissociable de celle de revendiquer

 

Les services de l’Etat regardent les accords qui leur sont transmis comme les fruits du dialogue social, ce dernier étant mesuré de manière quantitative : plus le nombre d’accords est grand et plus la vitalité du dialogue social est perçue comme forte. Les conditions de production de ces fruits sont étrangères à l’appréciation de leur qualité.


La problématique de la rédaction des accords n’est étudiée que pour les accords collectifs présentés aux salariés dans les TPE (1) . La rédaction des accords collectifs par les représentants des organisations patronales (ou leurs conseils) relève donc d’un usage. Cet apanage est fortement chargé en symboles, et en conséquences. De manière fondamentale et d’un strict point de vue juridique, l’autonomie et la pratique contractuelles ne peuvent se concevoir sans une velléité de participer à la rédaction des accords collectifs. Respecter un accord collectif (et donc s’y soumettre) suppose en effet de s’en remettre à une commune intention, que l’on a participé à formaliser. A défaut, cela revient à adhérer à une commune intention qui nous est étrangère. Avant même de promouvoir un droit pour la rédaction des accords, l’inclination ou non à rédiger un accord collectif détermine la nature d’une organisation syndicale.

 

Au-delà de son rôle d’expression et de rédaction de cahiers revendicatifs, rédiger (totalement ou partiellement) un projet d’accord collectif place une organisation syndicale dans une position d’action ou de réaction, dans un rôle de réformiste ou de réactionnaire. L’exemple actuel de la négociation relative au « pacte de la vie au travail » est révélateur de ces positions. Au sein de cette négociation, la CFDT a imposé par la rédaction l’hypothèse du Compte épargne temps universel (CETU). Notre Organisation a fini par y souscrire en déclarant : « Même si ce n’est pas notre tasse de thé, nous avons fait quelques propositions. Nous nous inscrivons bien dans la négociation (2)  ». Elle s’est donc placée en situation d’adhésion afin de ne pas être perçue comme réactionnaire, sans toutefois se présenter comme réformiste.


Dix ans auparavant, notre organisation syndicale  avait rédigé un projet d’accord afin d’imposer le Compte Personnel de Formation (CPF), assigné à la promotion sociale et à la reconversion professionnelle des travailleurs, et doté d’un budget propre (3) . Se placer en position de rédacteur d’un projet d’accord collectif permet donc, pour une organisation syndicale, d’exprimer ses ambitions comme de déterminer sa nature.

 

Dans un prochain article, des exemples d’accords collectifs dans lesquels les organisations patronales se sont réservé l’apanage de la rédaction permettront de mettre en lumière les conséquences négatives pour les salariés. Et donc de motiver la création d’un droit, pour les organisations syndicale représentatives des salariés, de rédiger les accords collectifs.

 

 

(1). Ministère du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion Direction générale du travail Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, La négociation collective en 2022, édition 2023, p. 451.

(2). Patricia Drevon, Dépêche AEF n° 708002, Pacte de la vie au travail : les positions syndicales et patronales à l’égard du Cetu paraissent inconciliables, 23 février 2024.

(3). Avant d’être nationalisé par l’Etat en 2018, et alors que l’Etat élabore cette année un mécanisme de reste à charge pour les salariés : Debout FEC FO n° 174, mars 2024.

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