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27 / 10 / 2022 | 243 vues
PASCAL DELMAS / Membre
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Lutte contre les harcèlements sexuels et agissements sexistes – mode d’emploi

Compte-tenu de l’actualité médiatique importante qui traite des « cellules d’enquête », « enquêtes internes », de leur légitimité et autres modalités de traitement des cas de harcèlements ou / et d’agissements sexistes, il nous a paru important de clarifier un certain nombre de points , notamment grâce à l’étude très complète de Sébastien Miara parue dans la revue « Semaine Juridique – social » n°29 du 26 juillet 2022.
 

Sur le cadre d’intervention, la prévention et la lutte contre les agissements sexistes notamment peut être considérée plus complexe ( ce qui n’est pas une excuse absolutoire) dans certaines organisations du travail : qu’elles soient celles de partis politiques ou qu’elles soient des organisations syndicales de salariés. Dans ce domaine, ces organisations sont loin d’avoir pu opérer un travail réel et efficace à notre sens d’après nos propres expériences en ce domaine.
 

A ce titre précis  nous pouvons nous référer à l’étude éclairante parue dans la revue CAIRN parue en 2019 https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2019-2-page-185.htm intitulée « Le harcèlement sexuel, un objet légitime pour les syndicats ? » de Dominique Marchal, Raphaëlle Manière, Sabine Reynosa, Sigrid Gérardin.
 

De façon générale, tout d’abord, il ne faut pas confondre – quand on parle d’enquêtes – l’exercice du droit d’alerte par les représentants du personnel – et le devoir qu’à la direction de l’organisation de mettre en place des dispositifs d’investigation en cas de signalement de faits susceptibles de constituer du harcèlement.
 

Sur le droit d’alerte du CSE , l’article L 2312-59 du code du travail prévoit que  « si un membre de la délégation du personnel au comité social et économique constate, notamment par l'intermédiaire d'un travailleur, qu'il existe une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l'entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché, il en saisit immédiatement l'employeur. Cette atteinte peut notamment résulter de faits de harcèlement sexuel ou moral ou de toute mesure discriminatoire en matière d'embauche, de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de classification, de qualification, de promotion professionnelle, de mutation, de renouvellement de contrat, de sanction ou de licenciement. L'employeur procède sans délai à une enquête avec le membre de la délégation du personnel du comité et prend les dispositions nécessaires pour remédier à cette situation. En cas de carence de l'employeur ou de divergence sur la réalité de cette atteinte, et à défaut de solution trouvée avec l'employeur, le salarié, ou le membre de la délégation du personnel au comité social et économique si le salarié intéressé averti par écrit ne s'y oppose pas, saisit le bureau de jugement du conseil de prud'hommes qui statue selon la forme des référés ».

 

Par contre le droit du travail ne prévoit pas de modalités de l’enquête interne . De par l’ANI (accord national interprofessionnel) du 26 mars 2010 , l’enquête est devenue une figure quasi incontournable de l’obligation de sécurité qui repose sur l’employeur (« les plaintes doivent être traitées sans retard et doivent être suivies d’enquêtes ») . Dès lors que l’employeur a, par une jurisprudence constante, connaissance de faits laissant présumer l’existence d’une situation de harcèlement, il doit procéder à une enquête que ces faits soient avérés ou non. A défaut il méconnait son obligation de sécurité. En outre son inertie expose son auteur à une sanction disciplinaire (Cass Soc 8 mars 2017, n°15-24.406 concernant le licenciement d’un DRH).
 

Un signalement appelle une double réaction de la part de l’employeur : prendre les mesures d’urgence / conservatoires qui s’imposent et procéder sur le champ à une analyse objective de la situation. 
 

L’enquête menée par l’employeur ( qui n’efface pas le droit du CSE comme indiqué ci-dessus) vise à répondre d’une part à son obligation mais aussi de « vérifier la véracité » des agissements dénoncés » ( Cass Soc 29 juin 2022, n° 20-22.220) , de s’assurer de la matérialité de ces agissements et d’identifier les personnes impliquées. L’enquête est l’occasion de rassembler et d’organiser les éléments de preuve. Le rapport d’enquête de la direction peut préconiser des mesures correctives. La qualification juridique de faits est – pour nous- du ressort exclusif du juge  et ne devrait pas apparaître comme une affirmation dans un tel rapport , même si l’employeur a la possibilité de le faire…


En juin 2022, 3 arrêts de la cour de Cassation sont venus éclairer les modalités et conséquences de cette « enquête interne » ( Cass Soc du 1er juin 2022, n°20-22.058  , du 29 juin 2022 n° 21-11.437 et 20-22.220 précité).
 

La Cour rappelle qu’en matière prud’hommale, la preuve est libre. Un rapport d’enquête peut-être une preuve admissible sous réserve que l’employeur n’ait pas mené des investigations illicites. Le juge pourra s’appuyer sur l’enquête mais aussi sur d’autres éléments fournis par les parties. Le rapport d’enquête doit respecter les principes fondamentaux du droit de la preuve . Notamment ce qui est appelé « le principe du contradictoire », et une enquête impartiale et équitable ( ANI de 2010 : « toutes les parties impliquées doivent bénéficier d’une écoute impartiale et d’un traitement équitable »). Une enquête interne établie par le responsable des relations sociale n’a pas été jugée comme impartiale , la société ayant refusé par exemple que la salariée soit assistée à cette occasion par un représentant du personnel et l’a informée que le CHSCT ( à l’époque) ne serait avisé qu’à l’issue de cette enquête et seulement si cela était nécessaire. ( CA Versailles 9 juin 2021 n° 18/03330)


L’employeur détermine librement les modalités de cette enquête ( comme par exemple un cabinet ayant le statut d’intervenant en prévention des risques professionnels -IPRP, à ne pas confondre avec un « expert » en santé, sécurité et conditions de travail dont les modalités d’intervention sont régies par la certification définie par l’arrêté du 07/08/20 relatif aux modalités d’exercice de l’expert habilité auprès du comité social et économique) .

 

Dans un souci d’objectivité et d’impartialité, nous recommandons la mise en place d’une délégation d’enquête paritaire (avec le CSE) qui fonctionnerait suivant les modalités indiquées dans « le guide pratique et juridique » rédigé par la direction générale du travail qui s’appuie sur le cadre juridique et de la jurisprudence pour clarifier les droits et obligations de chacun sur la question. Pédagogique, il décrit et illustre les propos et comportements qui peuvent constituer des faits de harcèlement sexuel au travail. Il propose des solutions concrètes aux multiples questions que se posent les victimes et les témoins de harcèlement sexuel et d’agissements sexistes, ou les employeurs lorsqu’ils sont confrontés à de telles situations ( https://travail-emploi.gouv.fr/demarches-ressources-documentaires/documentation-et-publications-officielles/guides/article/guide-reagir-face-au-harcelement-sexuel-et-aux-agissements-sexistes )
 

Le fait qu’une enquête ait été réalisée hors de ce cadre ne disqualifie pas, en soi, cet élément  , le juge examinera comment l’enquête a été conduite (lieu, durée, déroulement des auditions, questionnaires utilisés, compte-rendu, rédaction du rapport…). L’enquête n’est pas forcément exhaustive mais comme l’indique l’ANI précitée (et le guide juridique mentionné), il faut entendre « toutes les parties impliquées ». Cependant, le fait de ne pas auditionner la personne mise en cause dans le cadre d’une telle enquête ne rend pas en soi les conclusions du rapport irrecevables. L’audition de la personne mise en cause comme celle de la victime présumée demeure fortement recommandée pour assurer une plus grande objectivité.
 

Pour nous, diligenter une enquête non paritaire n’est pas une bonne chose et il revient aux représentants du personnel au CSE de déclencher un droit d’alerte (L 2312-59 du code du travail) et doit conduire à la mise en place un dispositif de signalement des actes de harcèlement et de traitements de ceux-ci dans le cadre, par exemple, de l’avis rendu annuellement par le CSE sur le PAPRIPACT de l’employeur ( Programme Annuel de Prévention des Risques Professionnels et d’Amélioration des Conditions de Travail) .

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