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19 / 04 / 2021 | 321 vues
paul santelmann / Membre
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Le syndicalisme sous tutelle sur les questions d’emploi et de formation

Laurent Berger a annoncé que la CFDT allait déposer un recours devant le Conseil d'État pour contester la réforme de l'assurance chômage. Les autres syndicats sont également mobilisés face à cette réforme qui illustre la mainmise de l’État sur un régime initialement élaboré en 1958 comme une responsabilité paritaire.

 

  • Or, à cette époque, l’État avait imposé aux partenaires sociaux une dissociation entre l’indemnisation des chômeurs et les instruments de leur retour à l’emploi au nom d’un monopole de l’action publique en matière de placement de la main d’œuvre. Dans la foulée, l’État va instaurer un budget destiné à la politique de l’emploi (le FNE) et va créer l’ANPE et réorganiser l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA). Dans les années 1960, le chômage était marginal et le rôle restreint du régime d’assurance-chômage ne suscitait guère de débat. Pourtant, qui mieux que ce régime avait à la fois l’intérêt et les compétences pour disposer des moyens du reclassement des chômeurs ? Qui mieux que les partenaires sociaux connaissait les besoins de recrutement des entreprises ou les besoins en qualification des chômeurs ?
     

Aujourd’hui, la France compte des millions de chômeurs depuis l’explosion du chômage de masse au milieu des années 1970 et la déresponsabilisation des partenaires sociaux dans ce dossier mérite d’être évaluée, de la même manière que celle des collectivités locales, notamment des régions.
 

Le rapport public annuel 2021, tome II de la Cour des comptes [1], aborde cette question des relations entre le Ministère du Travail et les acteurs associatifs (pp. 327 à 358). Selon nous, cette analyse illustre la relation de subordination que l’État a installé à l’égard des « corps intermédiaires » (collectivités locales et organisations professionnelles et syndicales). S’inscrivant d’ailleurs dans ce cadre, le rapport de la Cour des comptes souligne les insuffisances du Ministère du Travail en matière de pilotage des « milliers d’organismes associatifs, de tailles et de natures très diverses, qui assument des missions de service public à fort enjeu ».
 

Comme le rappelle le rapport, ces structures (souvent associatives) sont fréquemment créées à l’initiative des partenaires sociaux ou grâce au financement des collectivités territoriales. Elles participent aux différents niveaux de mise en œuvre des politiques d’emploi, d’insertion ou de formation destinées aux chômeurs ou aux salariés. Elles mobilisent « les ressources publiques variées (contributions sociales obligatoires, subventions sur fonds publics, exonérations de cotisations sociales et crédits européens), qui représentent des enjeux financiers élevés, de près de 47 milliards d'euros en 2019 ».
 

Les structures paritaires sont de loin les plus importantes en termes de budgets (80 % des 47 milliards d'euros€). On y trouve le régime d’assurance chômage géré par l’UNEDIC dont le budget frôle les 38 milliard d'euros€, l’Association pour l’emploi des cadres (APEC), les opérateurs de compétences (OPCO) qui sont financés par des contributions versées par les entreprises (4,3 milliards d'euros répartis par France compétences) et Transitions Pro (500 millions d'euros). 
 

Les associations davantage liées à l’insertion locale relèvent du cofinancement État/collectivités locales. On y trouve les missions locales, les structures d’insertion par l’activité économique (IAE), les écoles de la deuxième chance et l’association qui pilote l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée ».
 

Ces structures complètent un paysage institutionnel « périphérique » au Ministère du Travail, composé de Pôle Emploi (et ses milliers de sous-traitants [2]), de France Compétences, de l’AFPA, de l'Association nationale pour la gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH), du Centre INFFO, de l’Établissement pour l’insertion dans l’emploi (EPIDE), de l’association de gestion du fonds d’expérimentation territoriale de lutte contre le chômage de longue durée (ETCLD), de l’Association de gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS) et d’organisations à gestion patronale comme l’AFT, l’ANFA ou le CCCA-BTP.
 

Ces dernières décennies, l’État a profondément modifié le périmètre du paritarisme en procédant à des regroupements successifs des organismes de gestion des fonds de la formation professionnelle (OPCA) pour aboutir aux OPCO et en privilégiant des structures nationales inter-branches au détriment des organismes collecteurs interprofessionnels à vocation territoriale. L’État a également imposé aux partenaires sociaux l’absorption des ASSEDIC par l’ANPE pour créer Pôle Emploi, en délimitant fortement le poids du paritarisme dans la conception et le pilotage de la politique de l’emploi. D’une manière générale, l’État a multiplié les obstacles à une synergie territoriale de régulation « partenaires sociaux/conseils régionaux » en matière d’emploi et de formation, pour privilégier une logique de recentralisation des prérogatives publiques. Parallèlement, il a favorisé la libéralisation du marché des prestations (étendue à l’apprentissage, dorénavant confié aux branches professionnelles au détriment des régions) sans pour autant rendre l’offre de formation véritablement compatible avec un pilotage paritaire responsable.
 

Récemment, l’État a aussi tenté de procéder à une « rationalisation » d’une partie des structures parapubliques ou tripartites (non paritaires) mais cette tentative a connu davantage de déconvenues : échec de la fusion Pôle Emploi/missions locales, abandon de la fusion France Compétences/Centre INFFO etc. En revanche, le processus de rapprochement géographique des agences de Pôle Emploi et des caps emploi est en meilleure voie et certains projets ont abouti : ainsi, les commissions professionnelles consultatives (CPC) des différents ministères ont fusionné et sont pilotées par France Compétences.
 

L’analyse de ce paysage a mené la Cour des comptes à un certain nombre de constats résumés ainsi : « … il ressort qu’une attention insuffisante est portée à l’intérêt d’approches transversales concernant la détection des risques financiers, la professionnalisation des ressources humaines, l’adaptation des systèmes d’information, la maîtrise des risques ou encore l’évaluation de la performance ». Quatre recommandations ont été adressées au Ministère du Travail en vue de mieux encadrer et contrôler l’activité de ces structures.
 

Selon nous, cette situation témoigne d’abord des effets délétères de la sujétion du paritarisme à l’égard d’une puissance publique qui, si elle dispose du cadre réglementaire d’usage des fonds paritaires, devient de moins en moins capable d’élaborer une stratégie à la hauteur des enjeux.
 

L’intérêt du paritarisme ne réside pas dans une capacité à mieux gérer les budgets que l’administration (encore que…) mais à établir les conditions d’une adhésion des salariés et des employeurs à des objectifs et des moyens qui doivent, selon nous, combiner l’efficacité économique et la justice sociale. Si la réglementation du travail doit établir des socles en matière de droit social, les partenaires sociaux doivent pouvoir disposer, sur le plan sectoriel et territorial, de moyens d’action permettant d’améliorer ces socles.
 

L’actuel paysage de l’action publique dans les domaines de l’emploi, de la formation ou de l’insertion ne permet pas une telle dynamique car il repose sur une logique de centralisation inadaptée à ces problématiques et porteuse de nombreuses contre-performances. Surtout, cette construction institutionnelle a délégitimé le rôle potentiel des collectivités locales et des partenaires sociaux sur ces sujets d’importance cruciale pour les salariés, les chômeurs et les jeunes en insertion avec, comme conséquence, un dysfonctionnement démocratique majeur et un affaiblissement d’un dialogue social atrophié car ne disposant plus d’instruments opérationnels d’action.

 

[1] https://www.ccomptes.fr/fr/publications/le-rapport-public-annuel-2021.

[2] Le budget de Pôle Emploi permet de financer de nombreux prestataires de formation ou de bilans de compétences.

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