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26 / 08 / 2014 | 12 vues
Georges De Oliveira / Membre
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Numérique : stratégies des entreprises et conséquences pour les salariés

Le baromètre prospectif de l’évolution des métiers de l’assurance 2014 introduit sa présentation de la manière suivante : « la digitalisation des entreprises d’assurances est désormais une réalité largement partagée. [….] Reconnaissons que l’enjeu de cette rupture est d’abord d’ordre culturel : dans les représentations liées à l’exercice de son métier, dans la manière de (re)considérer son évolution professionnelle… Mais aussi dans les nouveaux rôles attendus de la fonction RH pour accompagner le changement ».

Certains mettent en avant le progrès technique et le potentiel développement de l’humanité. C’est oublier que les progrès techniques peuvent être mis au service de l’humanité ou, au contraire, conduire aux destructions. Cela conduit à la question de savoir si les salariés doivent accepter la remise en cause de tous leurs droits au nom du progrès technique.

Or, la frénésie autour de la soi-disant « révolution numérique » n’a d’autre objectif que de tenter de maintenir la part de rentabilité que réclament les actionnaires parasites dans le cadre d’un système économique qui fonctionne sur sa capacité de destruction…

La crise, qui depuis 2008 a ébranlé certaines certitudes, devient aujourd’hui une « opportunité » qui permet au capital financier, dont les grands groupes de l’assurance de reprendre leur recherche de profit, quitte à remettre en cause même les principes qui fondaient leur activité.

La révolution digitale que prophétise la profession de l’assurance toucherait le cœur du métier d’assurance mais au-delà, aurait des conséquences dramatiques sur l’ensemble des salariés de ce secteur, en termes de métiers, qualifications, mobilité… Les stratégies numériques des sociétés recouvrent des réalités diverses.

Du simple constat du potentiel que représente le canal internet dans la relation commerciale client/assureur en lien avec la multiplication des objets connectés.

L’émergence puis le développement exponentiel de l’ordinateur et d’internet dans les années 1980, suivis par l’explosion du phénomène « réseaux sociaux » dans les années 1990 pour enfin en arriver à l’ordinateur qui tient dans la main, le smartphone, ont profondément modifié le comportement de millions d’individus et notamment de la génération Y qui devrait représenter 40 % des actifs en 2015.

La propension à un désir d’immédiateté, de volatilité se combinant à une utilisation intuitive de tous les objets connectés encouragent les entreprises à repenser leur idée du travail (organisation, espace, mobilité, relation…).

 

Canaux numériques

Aujourd’hui, les canaux numériques (internet, smartphones, tablettes) prennent de plus en plus de place dans la relation assureurs/assurés.

À la MACIF (comme dans d’autres sociétés), ce canal est considéré comme à très fort potentiel. Il est d’ailleurs le premier canal utilisé par les sociétaires et prospects, avec une progression de + 12,7 % entre 2012 et 2013. La progression est encore plus impressionnante si l’on prend le site mobile (consacré aux smartphones et tablettes) : + 530 %.

Les intérêts de ce canal sont multiples. Répondre à une partie de la population qui veut des réponses quasi immédiates, réduire les visites dans les agences, bureaux permettant la réduction des coûts, enfin (et non des moindres) collecter des milliers de données.

Mais, même si dans un premier temps, il s’agit d’avoir une « relation normale » assureur/assuré par l’intermédiaire des outils du web (e-relation, e-constat), à très court terme, c’est bien l’activité même de l’assurance qui sera bouleversée.

Un boulversement


En passant par la restructuration des organisations de travail qu’induit l’intégration des nouvelles technologies, le baromètre prospectif nous parle de l’entreprise de « demain » comme d’un écosystème.

Celui-ci ne serait plus le lieu où réside l’activité mais un espace dans lequel cohabiteraient des salariés (en nombre restreint), des indépendants, des prestataires spécialisés, des start-ups

  • « En effet, la matière première de l’assurance étant l’information (peut-on lire dans le baromètre), sa dématérialisation permet alors une diversification, voire une démultiplication de lieux de travail : bureau, domicile, agences, espaces de co-working etc. à l’instar du fonctionnement des start-ups, au sein desquelles un simple ordinateur et une connexion internet suffisent à rendreopérationnel ».


On voit ainsi poindre une entreprise repensée, pas tout à fait virtuelle, mais où le nombre de salariés serait réduit au maximum et où les ressources seraient externes.

Les questions qui se posent déjà à nous, militants syndicaux, sont par exemple la déstructuration ou la confusion entre temps privé et temps professionnel (télétravail, relation salariat sujette à remise en cause, auto-entrepreneur…), les questions sur les conditions de travail, la destruction du collectif de travail et, plus largement, les attaques brutales contre les garanties collectives (Code du travail, convention collective nationale, droit de grève…).

La question n’est pas d’être technophile ou technophobe mais bien de garantir les droits des salariés et de combattre les dangers induits par la révolution numérique vénérée par certains aujourd’hui, les mêmes qui portaient aux nues l’économie virtuelle il y a quelques années.

Auto-mesure des clients et des salariés

À la question plus complexe de la collecte et l’utilisation de milliards de données concernant les clients, leurs habitudes, leurs comportements, avec comme conséquence une « révolution » de la nature même des métiers de l’assurance et de l’activité en tant que telle…
La collecte d’informations et surtout leur utilisation posent des questions importantes en termes de sécurité mais également de libertés et de droits. L’émergence d’acteurs tiers dans le secteur de l’assurance, avec des capacités gigantesques de récupération des données et de leurs analyses (Google, Facebook, Apple…) devrait rendre légitime pour la profession, l’orientation qu’elle développe et qui est retenue par l’observatoire de métiers de l’assurance.

Cette pression est d’autant plus forte qu’elle est soutenue par l’apparition des objets connectés qui permettent non seulement la collecte des données mais également leur transmission (bracelets, montres, lunettes, fourchettes, balances, voitures, réfrigérateurs…).

Dans le domaine de la santé notamment, les possibilités de la technologie sont extrêmement avancées. La « e-santé » correspond à la convergence entre les technologies numériques et les structures de la chaîne traditionnelle de la santé.

Le marché de la santé est convoité depuis des décennies par les assureurs. On comprend mieux pourquoi les assureurs sont particulièrement demandeurs des applications mobiles santé/bien-être qui se développent sur le marché.

Le « quantified self »* pourrait ainsi s’intégrer dans les offres des assurances très rapidement, bien sûr dans un premier temps sous sa justification préventive.

Certains pronostiquent qu’avec l’amélioration et la multiplication des objets connectés, on pourrait arriver rapidement à des modèles prédictifs fiables prenant en compte la complexité des comportements humains.

Ce qui annonce la logique du « pay as you walk » dans le monde des assurances, et plus particulièrement, de la santé.

Des expériences de ce type sont déjà mises en œuvre, même en France.

« Julien Guez, ancien directeur de la stratégie, du marketing et des affaires publiques chez Malakoff Médéric, grand groupe de protection sociale et assureur complémentaire de santé, expliquait ainsi que des animations de sensibilisation autour de l’auto-mesure durant lesquelles sont présentés des capteurs, de type balance ou tensiomètre, ont déjà lieu. En Suisse, la mutuelle Groupe Mutuel proposait de rembourser à hauteur de 25 % l’achat par ses assurés d’un produit de la gamme Fitbit ».

Enfin, la question ultra-sensible des libertés individuelles et collectives des droits des salariés
La société Fitbit promeut aussi auprès des employeurs sa plateforme Fitbit-work et cherche à démontrer qu’il existe une corrélation entre l’usage de ses dispositifs et la fréquence des visites chez un médecin par un employé. Yahoo! a doté les 11 000 salariés de l’entreprise d’un bracelet.

L’intérêt pour ces employeurs serait de réduire les coûts des soins médicaux… Lors du JEC du mois de juin, nous avions dénoncé la même volonté de la part de la société Generali.

Le risque pour les salariés pourrait être de devoir apporter les preuves d’un comportement sain. Une problématique soulevée par ces évolutions concerne le droit de regard des employeurs sur les données produites par leurs employés.

  • On peut se poser la question : qu’en est-il pour un employé qui refuse de s’équiper ?


Mauvaise attitude, discrimination, licenciement…

Comme on le voit, pour le salarié, la « révolution numérique » pose la question de la relation qui le lie à son employeur.

La ligne entre les données professionnelles et privées est tenue mais doit être défendue coûte que coûte.

Cette bataille passe, bien sûr, par la défense des garanties collectives (droit du travail, Code du travail, convention collectives).

Cette lutte sera dure car elle est déjà à l’œuvre, avec la complicité de certains, dont notamment ceux qui devraient protéger les salariés.

Dans le cadre des politiques d’austérité et autre pacte de responsabilité, ce sont bien les droits collectifs des travailleurs, des citoyens qui sont visés.

Au nom de compétitivité des entreprises, ce sont toutes les garanties des salariés qui sont attaquées.

La réforme territoriale va dans le même sens en prévoyant une compétence législative et règlementaire régionale…

Au sein de la branche des assurances, les négociations mettent en avant le thème de la modification « inéluctable » de la profession de l’assurance.

Dans le cadre du baromètre prospectif 2014 des métiers de l’assurance, nous pouvons voir l’axe défendu, celui des grands groupes multinationaux, notamment AXA qui force cette orientation à tous les niveaux.

Cette « révolution » est mise en avant, notamment au niveau européen par l’intégration du comité groupe européen AXA dans le dispositif du dialogue social avec objectif d’accompagner le changement voulu par la multinationale, qui fait froid dans le dos.

Les dispositifs prévus et acceptés par certaines organisations syndicales (voir l'accord européen sur l’anticipation des changements signé par la CFDT, la CGC la CGT et UNSA en 2011) sont clairs : faire « fonctionner dans un souci de rentabilité, afin d’assurer la pérennité de l’entreprise. Pour ce faire, elle (l’entreprise) encourage ses salariés à la souplesse et à envisager la possibilité d’accepter des évolutions d’emploi », y compris dans le cadre de délocalisations… Non seulement ces organisations accompagnent la politique destructrice d’AXA en termes d’emplois mais, de surcroît, le comité groupe européen s’engage dans la cogestion de cette politique en acceptant de mettre en œuvre une GPEC2 ainsi qu’un observatoire des métiers au niveau européen. Donc non seulement les salariés sont confrontés aux délocalisations en France mais ils risquent aussi, dans ce plan d’envergure, d’être confrontés à des délocalisations transnationales.

Notre organisation ne peut (et surtout ne voudra jamais) se résoudre à accompagner les entreprises dans des politiques de destruction d’emplois, des droits collectifs et individuels des salariés.

Mais nous reviendrons sur ce sujet…

* On pourrait traduire cette expression par « auto-mesure ». Cela recouvre toutes les applications numériques dont le nombre a explosé entre 2007 et aujourd’hui, qui proposent en fait à l’individu de s’autoévaluer via une balance, un bracelet, un smartphone

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