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25 / 08 / 2017 | 11 vues
Rodolphe Helderlé / Journaliste
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De l’émergence de collectifs de travailleurs indépendants aux mobilisations collectives

Les 22 et 23 juin derniers, le Gestes organisait un colloque intitulé « Travailleurs individualisés, précarisés ou isolés : quelles coopérations ? Quels collectifs ? ».

Retour sur la seconde session consacrée à l’émergence de collectifs de travailleurs indépendants et leur capacité à se mobiliser collectivement.

Mobilisations improbables à l’image des premiers grévistes en costume-cravate.  À l'occasion du mouvement des VTC mené contre Uber, le grand public à découvert des mobilisations improbables à l’image des premiers grévistes en costume-cravate. Le costume-cravate comme affirmation d’une identité professionnelle pour des chauffeurs soucieux de casser l’image de « l’Arabe barbu des banlieues » véhiculée par les médias. Des travailleurs indépendants de moins de 40 ans, en quête d’ascension sociale, qui se sont engagés dans une mobilisation pour obtenir le droit à une véritable indépendance : celle de pouvoir fixer leurs tarifs. Pas facile quand Uber majore les commissions les jours de grèves.

Les dirigeants qui ont émergé des lieux de sociabilisation que sont pour eux les parkings des stations-services les plus proches des aéroports parisiens se sont organisés via les réseaux sociaux pour monter des associations qui ont tôt fait de se faire approcher par des syndicats. Le SCP-VTC a ainsi vite rallié l’UNSA et Capa-VTC s’est affilié à FO en mai 2017. « Le rapport avec les syndicats est ambigu dans la mesure où la revendication principale des VTC n’est pas la requalification en contrat de travail », souligne Sophie Bernard, chercheuse à l’IRISSO, Paris Dauphine qui participe avec Sarah Abdelnour, elle aussi sociologue au sein du même laboratoire, au projet CAPLA, une étude plus globale sur le capitalisme de plate-forme, portée par un financement de l’ANR. Un projet d’étude pluridisciplinaire de plusieurs plates-formes comme Uber, Airbnb, Deliveroo, Foodora, La Rûche Qui Dit Oui, La Belle Assiette ou encore Foulefactory. Selon Sarah Abdelnour, « c’est la dégradation des conditions de travail des VTC qui explique en grande partie la mobilisation ». Au bout de deux ans, les aides à la création d’entreprise se sont en effet arrêtées pour beaucoup de chauffeurs qui ont alors vraiment senti les conséquences de la politique tarifaire d’Uber sur leurs finances. Contraints d’augmenter leur charge de travail pour parvenir à rembourser les crédits, ils ont également pu en mesurer toutes les conséquences sur leur vie familiale.

Sensibles aux crises insensibles aux reprises

Mathieu Hocquelet, sociologue au John F. Kennedy Institut, de l’Université Libre de Berlin, s’est penché sur les ressorts du mouvement « Fight for $ 15 » porté par le syndicat américain SEIU depuis 2012. Objectif : un salaire minimum à 15 $ de l’heure, contre un salaire minimum fédéral actuel de 7,25 $. Cible : les multinationales des services, notamment la restauration rapide où l’âge médian est de 35 ans et où les femmes noires et hispaniques, dont les conditions d’emploi et de travail sont les « plus sensibles aux crises et les plus insensibles aux reprises », sont surreprésentées. En apparence, le SEIU s’est totalement effacé dans cette campagne au long cours qui revendique la hausse du salaire de 22 millions de salariés. Il préfère s’appuyer conjointement sur des dirigeants (employés formés à l’organisation de leur lieu de travail) et des organisateurs, militants employés par des syndicats et associations communautaires chargés de recruter de nouveaux membres et de faire pression sur les élus locaux en multipliant les actions médiatiques. Néanmoins, malgré l’image horizontale et populaire que le syndicat souhaite donner au mouvement, SEIU organise la campagne avec une approche verticale et très prescriptrice. « Les organisateurs restent les salariés les plus précaires du SEIU et malgré leur travail en faveur de la syndicalisation d’industries à faible salaire, eux-mêmes n’ont toujours pas le droit de se syndiquer », constate Mathieu Hocquelet qui partage son interrogation sur cette « convergence des luttes » (sur les thèmes du travail, du logement, de l’éducation, de la santé, de la justice économique et raciale) entre des associations communautaires et grands syndicats.

Le courage comme identité professionnelle

Des femmes qui ne se reconnaissent pas dans la professionnalisation.

Camille Peugny, sociologue au CRESPPA, a trouvé une illustration de ses travaux sur les phénomènes de stratification sociale, dans le cadre d’un appel à projets sur les salariés des services à la personne de l’IRES, sur une demande de la CFDT. C’est chez O2, leader du secteur que s’est déroulé l’étude sur l’identité professionnelle des femmes de ménage et leur capacité à se reconnaître dans l’action syndicale.

Sur le terrain, le collectif des 12 000 salariés qui travaillent chez les particuliers n’existe quasiment pas. Encore moins depuis qu’il a été décidé que les 150 agences ne seraient plus des points de passage de proximité. C’est en effet désormais via un centre d’appels que se déterminent les plannings sans que les conseillers ne soient vraiment au fait des conditions de transports des salariés qu’ils affectent.

À partir de 2012, le fait syndical s'est affimé au niveau du siège (400 salariés) et plus précisément à partir du service comptabilité. La CFDT, seule organisation en place, a revendiqué et obtenu une UES pour que l’ensemble des salariés puisse bénéficier des activités sociales et culturelles du CE. Des représentants du siège ont porté des revendications pour professionnaliser le travail des femmes de ménage et développer leur polyvalence. « Il y a un profond décalage avec des femmes qui ne se reconnaissent pas dans cette professionnalisation. Elles considèrent qu’il n’y a pas besoin de formation particulière pour exercer un métier que tout le monde peut faire, à la condition de se montrer courageux. Leur identité professionnelle repose largement sur la difficulté d’exercice d’un métier qui exige de se lever souvent très tôt. Le module de formation au nettoyage du marbre fait bien rigoler », explique Camille Peugny. La déconnection avec le terrain est profonde. Les négociations ne répondent pas aux attentes d’une partie des femmes de ménage, à l’instar de l’obtention d’un lissage de la rémunération alors que la majorité préfère une rémunération au réel.

La première grève de l’intérim

« On vient pour la visite » (2013), le documentaire de Lucie Tourette tourné en 2009 sur le mouvement des sans-papiers de l’intérim, illustre lui aussi la singularité du premier mouvement de grèves coordonnées et de longue durée dans le monde de l’intérim. « Ce sont les premières grèves de cette ampleur dans l’intérim, qui ont aussi mis l’accent sur les conditions de travail et d’emploi », souligne Anne Bory, chercheuse au CLERSE, Université Lille I, tout en exposant les différentes stratégies syndicales qui se sont mises en place pour accompagner ce mouvement porté par des salariés dont c’était souvent la première expérience syndicale ».

Le documentaire met en relief celle de la CGT, qui a privilégié le blocage des agences pour réclamer les certificats nécessaires au processus de régularisation mis en place, tandis que Solidaires avait par exemple opté pour cibler les donneurs d’ordres. Sur les 6 800 porteurs de « cartes de gréviste », entre un tiers et la moitié a été régularisé pendant le mouvement, le reste au cours des années qui ont suivi. Cela ne s’est pas pour autant traduit par une vague d’engagement syndical. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. « Vous êtes des militants du monde ouvrier », entend-on au cours du documentaire dans la bouche d’un militant CGT en train de galvaniser les troupes. Et Lucie Tourette d’avancer une bonne raison : « Il fallait compenser la perte du salaire, donc retravailler le plus rapidement possible ».

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