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25 / 06 / 2012 | 23 vues
Sylvain Thibon / Membre
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Convention collective de branche de l'audiovisuel privé : l’enlisement

Chronologie et épilogue d’une démarche discutable


Début 2010, le STP (syndicat des télévisions privées, qui regroupe TF1, M6 et Canal+) invitait les 5 organisations syndicales nationales représentatives du secteur de l'audiovisuel à se réunir pour négocier une convention collective interentreprises qualifiée de « convention de branche ».

Rappelons tout d'abord que la « branche de l’audiovisuel » n’existe pas. S’il en existait une pour ce secteur comme il en existe pour la métallurgie, la chimie, le commerce, les services etc., cette « branche » regrouperait aussi bien le secteur public que privé de la télévision. Parlons donc plus, ici, de « bourgeon » que de branche. Le secteur de l’audiovisuel reste encore très fragmenté socialement.

D'abord un problème de méthode, comme souvent

Sans crier gare, sans aucun échange préparatoire, sans réunion préalable, les partenaires sociaux ont découvert en séance le véritable objet pour lequel ils avaient été convoqués. Un projet de texte devant à terme à encadrer le droit social dans les entreprises privées de l’audiovisuel.

Une négociation qui a très vite dérapé pour un texte dont le contenu a indéniablement été travaillé bien en amont… Pour une majorité de syndicats représentés, il fallait d’abord préciser le « périmètre d’activité », le définir. Entreprise privée et publique, petites ou grandes structures, « TV broadcast » et « broaband »… Le STP, lui, voulait rapidement traiter de sujets de fond, avec pour objectif l’ambition de réécrire quelques parcelles du Code du travail, et notamment de faire évoluer le contrat de travail.

Des employeurs étonnés

Certains salariés n’ont peut-être jamais imaginé travailler toute une vie en CDDI, un contrat à durée déterminée indéterminée. Il fallait oser ! Avec les propositions du STP, cela devenait possible. Un CDD interminable, intelligent non ? Cette première étape de longues discussions a été toute orientée vers le contrat de travail et sa précarisation.

Le « contrat sur objectifs » était également mis en avant comme l’un de ces contrats de travail indispensables au bon fonctionnement de nos entreprises… Un modèle de contrat de travail que même le législateur n’a pas osé intégrer au Code du travail… Il fallait que nous l'expérimentions dans l'audiovisuel !

Qu’espérait donc le STP en essayant d’inventer une nouvelle forme de contrat de travail qui viserait à transformer le salarié en contractuel provisoirement intégré, une sorte de « permittent » [ou permanent intermittent], cadre de passage sur 18 mois ou 36 mois puis ensuite jeté aux oubliettes ?

Voulait-il, avec un projet hyper libéral d’assouplissement du droit du travail, la fin de la gestion des contrats de travail et des carrières ou de l’accompagnement des plus de 50 ans dans nos entreprises ? Plus besoin de plan social, du jetable en permanence ! Tous Intermittents avec les inconvénients mais sans les « avantages » !

Devant l’incompréhension des représentants syndicaux, ce chapitre a été retiré, pour réapparaître quelques mois plus tard…

Il n'était pas acceptable d'antériner cette remise en cause fondamentale du droit du travail et de transformer l’audiovisuel privé en lieu d’expérimentations sociales. Des entreprises où le CDD deviendrait la forme normale du contrat de travail.

Le STP s’est étonné des réactions syndicales, les qualifiant parfois d’« archaïques ».

Ces réactions ont pourtant été très logiques au regard de l’ensemble des textes, principes et lois qui réaffirment systématiquement que l’emploi permanent à temps plein, le CDI, reste la règle… Ces positions sont affirmées dans les textes de lois en France mais également sur le plan européen.

Plus les semaines s’écoulaient, plus s’installait l’impression d’une négociation aux contours flous et nébuleux et aux ambitions peu acceptables.

Puis sont venus l’étonnement et le doute. Comment et pour quels motifs inavoués ou inavouables, trois des plus grands groupes audiovisuels de France, tous pourvus de solides accords d’entreprises, se lançaient-ils dans un aggiornamento social de haute voltige qui ne devait finalement aboutir sur rien ?

Pourtant, tout a été mis en œuvre pour inviter les représentants syndicaux à plus de souplesse. Sensibilisation amicale, engagements internes dans certaines entreprises pour accorder tel avantage ou faciliter telle négociation, et même une approche des centrales syndicales nationales pour convaincre par le haut des bienfaits qu'apporteraient aux milliers de salariés du secteur un texte innovant et salvateur.

Que d’énergie gaspillée pour essayer de contourner les obstacles alors qu'il suffisait de respecter l’ensemble des partenaires, de prendre en considération les revendications exposées, de négocier dans la transparence !

Des soupçons légitimes

Pour plus de clarté sur les enjeux potentiels attachés à la rédaction de ce texte, l’ensemble des organisations syndicales exigeait au préalable des employeurs « une lettre d’intention », un écrit par lequel les directions de nos entreprises s’engageaient à respecter les accords sociaux, les conventions collectives, appliqués à Canal+, TF1 et M6.

Cette lettre est restée virtuelle.

Les conventions collectives négociées par les partenaires sociaux de TF1, M6 et Canal+ offrent actuellement aux salariés un cadre social sécurisé. Pourquoi vouloir en réduire la portée ? Ces incertitudes n’ont jamais été levées, générant de légitimes soupçons sur les intentions des employeurs ?

  • La négociation a débuté en 2011. Le délai fixé pour aboutir à la signature d’un texte finalisé avait été initialement fixé au 19 décembre de l’année dernière. Pour essayer de sortir de l’impasse dans laquelle s’est fourvoyé le STP, deux réunions additionnelles ont été programmées début 2012.


Mais ce ne sont pas quelques discussions de dernière minute qui vont fondamentalement changer la donne. Et il ne suffit pas d’annoncer un peu partout que la négociation continue pour que cela soit.

Car les dizaines de réunions qui ont eu lieu n’ont pas permis de proposer des aménagements nécessaires afin d'assurer un minimum de sécurité aux salariés du secteur de l’audiovisuel privé.

Pourtant, les représentants du personnel des entreprises de télés privées savent ce que « négocier » veut dire. Elles l’ont déjà prouvé par le passé lorsqu’il s’est agi par exemple de finaliser sous l’égide du Ministère du Travail « un accord national pour sécuriser les emplois des intermittents du spectacle ». Malheureusement, cette négociation pour une convention collective de l'audiovisuel, n’a pas pris la même tournure.

Un texte à contre-courant de ce qu’il faudrait faire…

 

Affaiblir toujours plus le contrat de travail n'est pas une bonne idée… Il serait plus judicieux de le renforcer. Chacun sait combien les entreprises du secteur souffrent de cette gestion de court terme, d’abord financière mais aussi humaine. Ces politiques qui provoquent tant de dégâts sur les hommes et les femmes qui s’échinent à atteindre des objectifs souvent incompris et qui finissent par craquer, perdant au passage la confiance en leur employeur, parfois en eux-mêmes. Il est indispensable de retrouver le chemin du respect du salarié, et ce respect passe par une bonne et pérenne application du contrat de travail.

La fin annoncée de cette négociation se profile malheureusement en forme d’échec. Elle laissera durablement des traces. Qui peut dire aujourd’hui si la négociation initiée par TF1, M6 et Canal+, représentant des intérêts sectoriels sans commune mesure avec l’évolution de l'entreprise dans l’audiovisuel sur tous supports, la télé connectée, l’internationalisation de la diffusion des contenus est encore adaptée ? Et puis, comment ne pas vouloir mettre un terme à la dérive dans la gestion des ressources humaines tant de fois constatée ? Pourquoi ne pas profiter de l’occasion en inversant le paradigme pour consacrer et promouvoir une gestion humaine des ressources ?

Des propositions pour sortir de l'impasse...

Regroupons tous les acteurs du secteur, discutons clairement des objectifs, remettons le couvert dans la plus totale transparence et le respect des partenaires sociaux. Partons d’un état des lieux, d’une analyse sérieuse de l’organisation sociale des entreprises concernées, ce sera la garantie de faire œuvre constructive pour le bien des économies mais aussi et surtout des milliers de salariés du secteur.

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