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28 / 09 / 2015 | 1 vue
Audrey Minart / Membre
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Conditions de travail et mobilité : quel lien ?

Lauréate 2014 du DIM Gestes, Camille Signoretto, post-doctorante en économie, s’intéresse aux liens entre les conditions d’emploi et de travail et la nature de la mobilité professionnelle qu’elle soit volontaire, négociée ou subie. Pour cette recherche, elle est accueillie au sein du Centre d’Etudes de l’Emploi (CEE). 

A l’origine, Camille Signoretto, 28 ans, ne se destinait pas nécessairement à la recherche. Mais après une double licence en économie et en sociologie(Paris X–Nanterre) et après avoir réalisé un mémoire demMaster 1 (économie des institutions et des organisations) sur le climat des relations sociales au sein des entreprises, l’idée de poursuivre en thèse s'est imposée. Encouragée par sa directrice de mémoire de M1, elle a continué en master 2 de recherche « économie des ressources humaines et des politiques sociales » et a consacré une partie de son mémoire à une analyse de l’argumentaire économique autour de la rupture conventionnelle, née en 2008. « On y retrouvait beaucoup la problématique de la flexibilité… Et assez naturellement, j’ai poursuivi sur ce type de questions en thèse, en élargissant aux licenciements et restructurations ».

La rupture conventionnelle : une « internalisation » de l’accord des salariés ?

Par la suite, l’objectif de sa thèse (« Licenciements et rupture conventionnelle : analyse et évaluation empirique des comportements des employeurs »), soutenue en 2013, était de comprendre la manière dont les entreprises utilisaient les règles de droit du travail. « J’ai voulu montrer que les plans de départs volontaires (terme par ailleurs ambigu) un mouvement qui date du début des années 1980, étaient un moyen d’apaiser les restructurations et de faciliter les suppressions d’emplois avec une forme de rupture à l’amiable des contrats de travail ». Et de conclure à une forme d’internalisation de l’accord du salarié, permettant d’éviter, à l’avenir, les risques judiciaires. « Mais dans le cas des restructurations et des plans sociaux, le terme d’« internalisation » doit être mis entre guillemets, car le motif économique de la rupture est toujours bien présent et l’accord du salarié porte d’abord sur les mesures de reclassement qu’on lui propose. En revanche, ce phénomène est vraiment au cœur de la rupture conventionnelle ». Et de souligner par ailleurs que cette dernière n’est absolument pas prise en compte dans les indicateurs utilisés pour mesurer la rigidité du marché du travail (dont celui de l’OCDE que l’on appelle communément indicateur de « législation sur la protection de l’emploi » (LPE)), n’étant pas considérée comme un « licenciement » au sens propre du terme. « Le marché du travail en France est donc moins rigide que ce que l’on laisse paraître. Cet indicateur montre en outre que la restriction la plus forte porte sur le recours aux CDD, à l’heure où plus de 80 % des embauches se font sous cette forme ». Un indicateur que l’on utilise cependant, selon elle, dans toutes les études visant à évaluer les conséquences des règles de droit du travail sur le marché du travail. « Et qui nourrit les préconisations des politiques publiques ».

Elle pointe par ailleurs du doigt la difficulté de savoir qui est à l’origine de la rupture conventionnelle. L’initiative vient-elle de l’employeur ou du salarié ? Et surtout, de mauvaises conditions de travail peuvent-elles être à la source de cette demande lorsqu’elle est formulée par le salarié ? Une interrogation que se formulait déjà Camille Signoretto durant sa thèse, mais à laquelle elle n’avait alors pas pu répondre.

Les mauvaises conditions de travail à l’origine des ruptures conventionnelles ?

« Il est très compliqué de trouver des données qui relient les conditions de travail et d’emploi et les parcours professionnels », explique la post-doctorante. Tout l’intérêt de s’être penchée, par la suite, sur une base de données pouvant permettre de faire un lien, même partiel, entre qualité de l’emploi et trajectoires professionnelles. Ces travaux, menés en collaboration avec Mickaël Portela, se basent sur l’enquête Génération 1998 (Céreq), qui analyse le cheminement sur le marché du travail d’une cohorte de jeunes ayant terminé leur formation initiale en 1998. Ils ont été interrogés en 2008, sur leur parcours depuis la fin 2005, et notamment sur leurs aspirations professionnelles. Mais les « conditions de travail » proprement dites n’y sont pas tout à fait prises en compte. « L’enquête mesure plutôt la ‘qualité de l’emploi’ à travers des critères tels que le type de contrat de travail, le temps de travail, partiel ou plein, l’accès à la formation dans l’entreprise, et le salaire. » Et donc davantage une prise en compte des « conditions d’emploi », que des « conditions de travail ». Par ailleurs, les chercheurs ne se sont penchés que sur les jeunes ayant été en CDI.

Ils n’en ont pas moins pu investiguer les liens entre les caractéristiques des emplois et les aspirations professionnelles des individus, et la nature volontaire de la mobilité. Dans l’article* qui présente ces travaux, ils écrivent : « Le cumul de mauvaises conditions d’emploi (en termes de salaire, de temps de travail et d’accès à la formation) ne semble pas inciter les individus à partir volontairement de cet emploi. Au contraire, ce sont les individus connaissant déjà de bonnes conditions d’emploi qui vont être plus souvent amenés à démissionner. » Ce qui vient confirmer l’idée d’inégales capacités des individus devant la mobilité.

Côté « aspirations professionnelles », il semblerait que la priorité soit donnée, pour les salariés caractérisés par une faible qualité de l’emploi, à la stabilité de l’emploi. Pour les autres, plus favorablement positionnés sur le marché du travail, « gagner plus d’argent », « être plus autonome », un « travail plus intéressant » ou encore « monter dans la hiérarchie » sont des aspirations qui influencent positivement la mobilité volontaire. Mais de manière générale la volonté d’améliorer ses conditions de travail n’y était que très rarement évoquée. « Il est en effet possible que face à l’aspect de la stabilité en emploi, les individus accordent moins d’importance à la dimension ‘conditions de travail’ », en ont conclu les auteurs. Et donc surtout pour des individus qui, pourtant, occupent plus souvent des emplois de moins bonne qualité.

Mauvaises conditions de travail et fuite du monde de l’entreprise ?

La jeune économiste semble néanmoins être restée sur sa faim, tant les angles morts de cette enquête sont nombreux par rapport à son questionnement initial : l’échantillon ne comprenant donc que des jeunes et les données recueillies ne permettant pas de prendre véritablement en compte les conditions de travail. Difficile ainsi de vérifier l’hypothèse, que Camille Signoretto avait commencé à formuler dès ses travaux de thèse, que les insatisfactions liées aux conditions de travail puissent pousser certaines personnes à choisir ou accepter une rupture conventionnelle.

C’est la raison pour laquelle (c’est l’objet de son post-doctorat) la jeune économiste s’est penchée cette année sur une autre base de données : « santé et itinéraire professionnel », un panel longitudinal allant de 2006 à 2010. « Elle est très axée sur le volet« ‘santé » mais a le mérite d’aborder de façon combinée les questions de conditions de travail et d’emploi et de santé, et de suivre les trajectoires professionnelles des salariés interrogés. Elle permet aussi de connaître la raison de leur départ de l’entreprise, retraite, licenciement ou rupture conventionnelle ». Si les données sont parfois imprécises quant aux dates de ruptures de contrat, de chômage et d’inactivité, elles n’en donnent pas moins des éléments intéressants sur les conditions de travail : l’emploi est difficile ou non physiquement, s’il est répétitif ou non, s’il y a un degré de marge de manœuvre, s’il existe ou non des exigences émotionnelles et psychologiques particulières. Autant d’éléments pouvant donner des indications sur les conditions de travail. « Mon idée est donc, dans le cadre de cette recherche, de savoir si différentes classes de conditions de travail (bonnes, moyennes, mauvaises) construites à partir de l’ensemble des questions relatives à ces conditions, ont des conséquences sur le choix de la rupture de contrat de travail (démission, rupture conventionnelle) et donc la mobilité professionnelle. L’enquête nous permet aussi de savoir si ceux qui ont connu ces ruptures ont retrouvé un emploi ensuite ».

« Logiques de très court-terme »

Au final, à ce stade, la post-doctorante a pu confirmer son hypothèse de départ : « Il y a bien une sur-représentation statistique, parmi ceux qui ont conclu une rupture conventionnelle, de personnes ayant connu de mauvaises conditions de travail avant cette rupture… Même si ce n’est pas automatique puisqu’on peut en trouver aussi dans des situations de bonnes conditions de travail avant la rupture ». Par ailleurs, il y aurait également une sur-représentation, parmi ceux qui ont conclu cette rupture conventionnelle, de personnes ayant créé par la suite leur propre activité (entreprise, commerce, artisanat…). « On peut se demander si plus qu’une fuite de son entreprise, il n’y aurait pas là une tentative de fuir le monde de l’entreprise de manière générale… Alors même que l’on sait que les indépendants n’ont pas d’excellentes conditions de travail, bien au contraire. On facilite donc « la sortie » de ces salariés lorsque les conditions de travail sont mauvaises mais il serait peut-être judicieux de traiter ce problème à l’intérieur même de l’entreprise, pour que le salarié par exemple puisse davantage discuter du motif de son insatisfaction avec son employeur ». D’autant plus qu’un renouvellement important représente également un coût pour l’entreprise, qui doit à chaque fois embaucher de nouvelles personnes et les former. « Ce qui n’est probablement pas intéressant économiquement. Mais cela n’empêche pas que nombre d’entre de ces entreprises restent sur des logiques de très court terme ». Si les chefs d’entreprise tendent parfois l’oreille aux économistes, ces derniers ne semblent être entendus que lorsqu’ils font partie du courant dominant. Pour ne pas dire « néolibéral ». « Il est parfois compliqué de faire remonter les résultats des chercheurs… A nous aussi d’être présents ».

L’envie d’« éclairer le débat public » était d’ailleurs l’une des motivations principales de Camille Signoretto lorsqu’elle a choisi l’économie du travail. Orientation qui trouve peut-être l’une de ses sources dans l’histoire familiale… « J’entendais régulièrement parler des relations dans l’entreprise », sourit cette fille de médecin du travail et de juriste spécialisé en droit du travail. « Cela m’a probablement influencée. Mais ce qui me plaît avant tout dans cette discipline, c’est que les débats y sont nombreux et que la recherche peut les nourrir ». Encore faut-il qu’elle soit invitée à la table.

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