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09 / 04 / 2013 | 1 vue
Pascal Pavageau / Membre
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Acte III de décentralisation: si on en parlait vraiment ?

« Le temps est venu de franchir une nouvelle étape et laisser plus de liberté aux collectivités, y compris pour imaginer des configurations adaptées à la réalité des territoires » : le 16 mars 2013, en terres girondines, tout un symbole, le Président de la République présentait le projet de « loi de décentralisation et de réforme de l’action publique » en ces termes.

Comme nous l'avons indiqué à plusieurs reprises, le projet gouvernemental d’acte III de décentralisation se caractérise :

  • par des transferts à la carte de l’État vers des collectivités territoriales différentes et selon des répartitions entre les collectivités, définies et choisies par les élus des collectivités territoriales de façon différentes d’une région à l’autre ;
  • par un nouveau désengagement important de l’État ;
  • par une différentiation du droit et de la déclinaison des lois et des politiques publiques nationales d’une région à l’autre ;
  • et par la mise en œuvre d’une « république des territoires » autour des régions et des métropoles au détriment des départements et des communes, menacés de suppression.

Notre organisation a fait part de son opposition à cette vision décentralisatrice qui attaque l’égalité républicaine.
Au travers les consultations officielles [2], des réunions de concertation avec le gouvernement ou encore par courriers au Président de la République et au Premier ministre [3], Force Ouvrière s’est prononcée contre ce projet de loi.

Vous trouverez en annexe  notre analyse sur le projet de loi en développant plusieurs points concernant les salariés, les fonctionnaires et agents publics, les usagers et les politiques publiques les plus touchées.

Ce développement ne saurait être exhaustif, il sera complété au gré de l’évolution du dossier.

Acte III, scène 1 - Le « triple C » : complexe, contradictoire, cacophonique


Le projet de loi est tout d’abord très complexe. Il comporte plus de 120 articles, répartis sur 200 pages, souvent difficilement compréhensibles, y compris pour les hauts responsables de l’État, avec des éléments parfois contradictoires d’un domaine à l’autre. Le texte, déposé au Conseil d’État mi-mars, a déjà pris 10 mois de retard par rapport au calendrier annoncé en octobre 2012 par le chef de l’État.

Il est présenté au Conseil des ministres du 10 avril avant d’engager son parcours parlementaire. Le gouvernement annonce un vote de la loi vers novembre 2013.

Le projet de loi réussit l’exploit de ne satisfaire personne. Ni du coté des ministères où toutes les directions générales concernées se plaignent d’une absence de concertation et d’incohérences, ni du coté des associations d’élus des collectivités, chacune ayant exprimé sa désapprobation sur tout ou partie des orientations, ni du coté des parlementaires (de toutes tendances) qui annoncent déjà des modifications profondes lors du passage du texte à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Le Président du Sénat a même demandé au chef de l’État de « repousser après l’été le début de la discussion parlementaire » [4], tant ce texte est considéré par beaucoup comme incohérent.

Depuis la parution d’une première version du texte en décembre 2012, la cacophonie a été totale dans la procédure.

Les 9 versions successives en 3 mois se sont opposées, chaque nouvelle version retirant une partie accordée à une association d’élus lors de la version précédente. Comme le développe l’annexe 1, les transferts de l’État prévus par cet acte III se font de façon désordonnée et brouillonne. Pire, ils seront complétées par d’autres lois à venir : loi logement, loi réformant l’école, rythmes scolaires, loi énergie, réforme de la formation professionnelle, loi biodiversité etc. : tous ces textes prévus en 2013 et 2014 comporteront d’autres transferts, en plus de ceux de la loi de décentralisation !

De nombreux sénateurs et députés (de la majorité comme de l’opposition) ne cachent pas qu’ils trouvent le texte du gouvernement « touffu, sans cohérence d’ensemble et peu lisible ». « Le texte doit être profondément revu » a déjà indiqué le président de la commission des lois du Sénat.

Plus étonnant encore, le Président de la République lui-même reconnaissait que des modifications parlementaires importantes seraient nécessaires, en déclarant à Dijon le 12 mars qu’il faisait « confiance au Sénat pour apporter (au projet de loi) tous les aménagements nécessaires pour bien répartir les compétences, définir les collectivités chefs de file et faire émerger les métropoles dont notre territoire a besoin ».

Du coup, sans attendre le Conseil des ministres du 10 avril, le président de la Haute Assemblée a annoncé le 21 mars l’ouverture d’une « concertation pour préparer le travail » du Sénat sur le futur projet de loi. 

Acte III , scène 2 - La « RGPP territoriale » par l’effet ciseau


Comme la modernisation de l’action publique [5], les attendus du projet de loi s’inscrivent à la fois dans « la compétitivité » et dans l’austérité : de fait, le gouvernement utilise cet acte III pour imposer une RGPP territoriale aux collectivités en leur imposant des fusions, des suppressions et des réformes structurelles [6].

Un cadre d’effet ciseaux est instauré : des missions transférées, sans compensation intégrale financière [7], qui s’ajoutent aux 2 milliards d'euros annuels non compensés par l’État pour des missions déjà transférées d’un coté, une baisse supplémentaire en 2013-2015 des dotations de l’État de 4,5 milliards aux collectivités, le tout avec l’instauration de part la loi de systèmes de contrôles et de sanctions budgétaires au niveau des collectivités.

Le texte transfère des missions et confie une liberté de répartitions des compétences aux collectivités mais avec des ressources moindres.

Le seul moyen de les mettre en œuvre est de regrouper les collectivités, de réaliser des mutualisations et des regroupements de services et de collectivités (de ce point de vue la collectivité territoriale d’Alsace est préfiguratrice) et de faire des réductions de personnels (voir « scène 5 » ci-dessous).

En cela, la loi poursuit les mesures de la réforme territoriale de décembre 2010 et les renforce. 

Acte III, scène 3 - La (nouvelle) fin des départements et la disparition programmée des communes


Comme le texte de décembre 2010, le projet de loi intègre la suppression à terme du département, mais de façon moins franche que la réforme territoriale.

C’est d’ailleurs la proposition faite, au nom de la « réduction du poids des dépenses publiques », par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) le 19 mars dernier. Le 18 mars, 41 présidents de conseil général ont adressé une lettre au Premier Ministre en lui faisant part de leur sentiment que le projet de loi « programme la disparition des départements ».

L’asphyxie financière par l’effet ciseau évoqué précédemment, le rôle pilote et prépondérant des régions au sein des futures conférences territoriales d’action publique [8], la création de métropoles récupérant les compétences départementales sur leur périmètre etc. : les élus départementaux dénoncent le fait que « demain, les départements concèderont leur pouvoir décisionnaire à des superstructures. C’est recréer de fait, sous couvert de subsidiarité, une tutelle d’une collectivité sur une autre » au détriment des départements.

Associée à la MAP coté État [9], c’est une forme de désertification départementale de l’action publique qui se réalise concrètement. Les transferts de responsabilités et de compétences de l’État, la création de « collectivité chef de file » essentiellement au profit des régions et la consécration de la métropole conduisent à terme à une ossature administrative totalement réformée :

  • un État grand orientateur (État d’orientation et plus État prestataire de fonctions) ;
  • des régions ou des entités de niveau régional [10], pilotes et chefs de file stratégique de l’action publique sur « leur territoire » ;
  • des métropoles d’un coté renforçant la concentration urbaine / le reste rural plutôt régi par des intercommunalités : mettant en œuvre les orientations nationales et les politiques publiques territoriales.

Le projet de loi porte aussi la disparition de l’échelon communal, d’une part avec le désengagement d’assistance et de présence de l’État auprès des petites collectivités et d’autre part en transférant de façon obligatoire des compétences au niveau intercommunal. Les communes sont souvent ignorées dans ce texte, ou réduites à la fonction d’exécutantes, au risque d’entraver leur capacité d’intervenant de proximité auprès des populations.

Comme l’indique justement l’Association des maires de France, « le rôle du maire, pilier de la République, est marginalisé ». Les 158 élus (de toutes tendances politiques) démissionnaires du département de la Loire s’opposant au projet de décentralisation et à la mise en place d’une intercommunalité imposée ont écrit en mars au Président de la République : « Pour nous, l'affirmation de l'exigence de compétitivité des territoires et la consécration d'une hégémonie urbaine relèvent d'un paradigme très éloigné de nos principes républicains et des objectifs que doit poursuivre l'action publique ».

La commune de Saint-Haon-le-Châtel organise une première rencontre nationale d'élus « pour la libre coopération intercommunale et contre l'intercommunalité forcée ».

Des élus d'Alsace, opposés à la nouvelle collectivité territoriale fusionnant les deux départements et la région, des Bouches-du-Rhône (Métropole marseillaise) et de la région parisienne (Grand Paris) y sont notamment associés.

De facto, le texte instaure un système de vassalité d’une collectivité par rapport à une autre (par le biais de tutelles politiques et stratégiques et d’obligation à fusionner ou à transférer). La région devient l’autorité régulatrice et coordinatrice des collectivités territoriales sur « son territoire régional ».

Acte III, scène 4 – Décentralisation à la carte


La création de « pactes » entre collectivités d’une même région, réunies dans la « conférence territoriale de l’action publique », organise la « décentralisation à la carte » : les collectivités se répartissent entre elles les compétences, de façon non identique d’une région à l’autre.

Si le texte annonce vouloir réduire certains doublons existants en matière de mise en œuvre des politiques publiques, ce mouvement perpétuel dans la répartition des responsabilités entre collectivités risque d’entraîner des triplons, voire plus.

À l’inverse, la crainte des associations d’élus d’aboutir à des zones de non-droit est justifiée : si aucune collectivité d’une région ne veut d’une mission par exemple.

Il ne faudra alors plus compter sur l’État, exsangue au niveau départemental, pour pouvoir « se substituer aux collectivités » si défaillance de celles-ci. Tout cela conduit à une balkanisation de l’action publique : une mission publique se retrouve aléatoirement portée d’une région à l’autre, voire par personne.

Dès lors, l’usager ne peut plus savoir qui fait quoi, d’autant que les pactes entre collectivités sont « évolutifs » tous les 3 ans ! L’État ne peut alors plus piloter car il ne sait plus qui met en œuvre, compte tenu de la multiplicité des intervenants.

Les associations d’élus anticipent déjà la situation en revendiquant de pouvoir créer du droit local, régional et métropolitain [11], l’État national ne pouvant plus le faire.

Cette loi ouvre une décentralisation-régionalisation-métropolisation à la carte porteuse de droits régionaux et métropolitains différentiés, d’une région à l’autre, d’une métropole à l’autre, d’une métropole au sein d’une région [12]. La volonté exprimée de créer du droit local pour tenir compte des spécificités dénote bien un fort risque de remise en cause de l’unité territoriale et le l’égalité de droit républicaines. C’est bien l’égalité républicaine qui s’en retrouve attaquée et fragilisée. Cela peut concerner le logement, l’environnement, le droit du travail, le social, la formation professionnelle, l’éducation etc.

Acte III, scène 5 - Transferts de personnel : mouvement perpétuel


Concernant les transferts de personnel et les mobilités fonctionnelles ou géographiques imposées, il est difficile d’en mesurer tous les effets pour l’instant. Les fédérations Force Ouvrière concernées suivent ces sujets.

Environ 500 fonctionnaires de l’État pourraient être transférés dans la fonction publique territoriale (transferts surtout liés à la décentralisation des fonds européens aux régions).

L’essentiel des mobilités s’effectuera entre collectivités territoriales, sans qu’il soit possible de les prévoir à ce stade : en effet, avec ce texte, la répartition des compétences entre collectivités (régions, départements, métropoles, intercommunalités, communes) pouvant s’effectuer de façon permanente et différente d’une région à l’autre, des missions et responsabilités ainsi que des services seront « baladés » de collectivités en collectivités au fur et à mesure des choix politiques des exécutifs des collectivités territoriales.

De plus, le projet de loi et la réforme territoriale de décembre 2010 [13] qu’il accélère conduisent à de nouvelles répartitions, à de nouveaux transferts de compétences et permettent les fusions et regroupements entre collectivités (le cas du projet de collectivité unique d’Alsace en étant une préfiguration).

Ainsi, dans le cas de l’Alsace qui en appelle d’autres, la suppression des deux conseils départementaux et du conseil régional pour instaurer la collectivité territoriale d’Alsace conduirait à une suppression de 40 % des effectifs des trois collectivités actuelles.

De façon plus globale, l’évaluation de l’application de la loi au cours des dix premières années [14] correspond à une mobilité imposée d’environ 20 % du personnel de la fonction publique territoriale (FPT), soit 360 000 agents, principalement du fait de la « régionalisation » des missions, des transferts communaux vers les intercommunalités et de la création des métropoles.

Mais la loi permettant des modifications de répartitions des compétences entre collectivités tous les trois ans, une réorganisation permanente des services publics locaux est à craindre.

Ainsi, en théorie, 100 % des agents de la FPT peuvent se retrouver concernés par une restructuration, un transfert et une mobilité. À tout cela s’ajoute le fait que les collectivités et l’État pourront apporter leur concours au fonctionnement d’espaces mutualisés de services publics par la mise à disposition de fonctionnaires et d’agents non titulaires.

Outre les mobilités forcées induites, l’objectif est d’affaiblir le statut général, les statuts particuliers et les cadres d’emplois en visant à un regroupement des 3 versants de la fonction publique (ce à quoi Force Ouvrière s’oppose, en renouvelant sa défense indéfectible du statut général et des 3 versants).

Force Ouvrière a fait part de ses craintes sur les modalités de transfert prévues par le projet de loi. La rédaction actuelle est porteuse d’inégalités de droits et de traitements pour les fonctionnaires et les agents publics (de surcroit si les transferts de l’État s’effectuent vers des collectivités qui pourront ensuite transférer à nouveau cette compétence, et donc les agents, à d’autres collectivités et si des transferts permanents ont lieu dans tous les sens de collectivités à collectivités).

Comment la concertation et la négociation pourraient avoir lieu avec des centaines de collectivités et administrations différentes et un mouvement perpétuel de transferts ?

Pour FO, ce projet de loi remet en cause l’indivisibilité, la cohérence, la lisibilité, l’unicité et, du coup, l’égalité républicaine, c'est-à-dire l’égalité de droit.

Pour l’égalité républicaine, contre une « République des territoires ».

Pour la défense des missions publiques de l’État et des collectivités territoriales.

Pour le service public des trois versants de la fonction publique, en Alsace comme ailleurs en France, contre la dispersion aléatoire des missions publique et la désertification territoriale du service public.

Notre confédération dénonce et s’oppose au projet d’acte III de décentralisation.

[2] CSFPE, CSFPT, CNESER, CSE, CNFPTLV etc. Les représentants FO ont voté contre ce projet de loi.
[3] Courriers du secrétaire général de Force Ouvrière au Premier Ministre le 26 septembre 2012 et au Président de la République le 6 décembre 2012.

[4] Cette demande de reporter, encore, l’examen parlementaire a également été formulée par plusieurs associations d’élus.
[5] MAP, nouvelle RGPP++ : voir circulaire n° 02-13 du 7 janvier 2013.
[6] Cf annexe : analyse détaillée du projet de loi.
[7] À titre d’exemple, les trois allocations individuelles de solidarité nationale (APA, RSA, PCH) représentaient 14,3 milliards d'euros en 2011, contre 9 milliards en 2004 et ces montants ne sont compensés par l’État qu’aux deux tiers.

[8] Cf annexe : analyse détaillée du projet de loi.
[9] Communiqués confédéraux du 11 mars et du 27 mars 2013.
[10] Exemple de la collectivité territoriale d’Alsace : le statut de cette éventuelle future collectivité alsacienne étant indéfini.
[11] Le conseil régional de Bretagne revendique la « différenciation locale », qui permettrait à une collectivité confrontée à une situation particulière d'échapper au cadre légal commun, de préférence à l'expérimentation destinée à être ensuite déclinée de façon générale. À noter également que le 21 mars, des élus bretons ont officialisé l’ouverture d’une réflexion permettant la constitution d’une « collectivité unique de Bretagne » fusionnant les 4 départements bretons actuels avec celui de Loire-Atlantique. Une élue régionale a résumé le projet selon ces termes : « Parce que les Bretons le valent bien, parce que, pour d’autres, c’est possible, une collectivité unique sur les cinq départements bretons, disposant du pouvoir législatif et d’un budget à la hauteur d’une région autonome « normale » d’Europe, doit être une revendication démocratique »…
[12] Sur le « territoire » de la collectivité territoriale d’Alsace, on aura un droit et des compétences spécifiques mais pas sur tout le « territoire alsacien » : la métropole de Strasbourg aura ses compétences propres (de par la loi de décentralisation, prises aux conseils généraux 67 et 68 et au conseil régional d'Alsace actuels, devenus CTA). Strasbourg sera le siège de la CTA mais avec des compétences spécifiques, différents de ceux de la CTA s’appliquant sur le reste de l’Alsace. Une Alsace à deux vitesses : la métropole Strasbourg et le reste, rural, de la CTA. Quelle cohérence, quelle « Alsace unie » !...C’est aussi le cas avec la future métropole lyonnaise, celle-ci excluant et reléguant le département du Rhône aux alentours ruraux de la métropole. Ce sera le cas au niveau de chaque métropole, avec ses compétences propres. Déjà en Savoie et Haute-Savoie, dans le Centre (départements 28, 41 et 45), en Bretagne (à 5 départements), en Limousin, des élus revendiquent des collectivités uniques fusionnant des actuels départements, de façon différentiée des périmètres régionaux ou départementaux actuels.
[13] Loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 : circulaires du 5 mai 2011, du 16 août 2011 et du 3 janvier 2012.
[14] Cela correspondant, une fois la loi votée, à environ trois cycles de « conférences territoriales de l’action territoriale » prévues par la loi, soit une période 2014 – 2024. Voir annexe à la présente circulaire.

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