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17 / 02 / 2016 | 3 vues
David Mahe / Membre
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Accepter et cultiver ses faiblesses : un enjeu de stratégie et de bien-être

Nous ne savons plus où donner de la tête. Ceci en raison des contraintes qui s’imposent à nous et que nous nommons « priorités ». De près ou de loin, les « priorités » font écho aux enjeux de coût, de qualité ou de délai. Parfois, nous avons le sentiment que tout devient prioritaire. Nous avons aussi le sentiment que les demandes sont contradictoires car les enjeux de coût, de qualité et de délai ne sont pas spontanément convergents. Nous rêvons de relâcher les contraintes mais nous n’osons pas car nous avons tous intégré l’idée que les marchés et les clients ne tolèrent pas le relâchement.

Étonnamment, ce sont les théories de stratégie d’entreprise, préoccupées en premier lieu de résultats économiques, qui ouvrent la voie au relâchement des contraintes. Que nous disent-elles, ces théories ? Que le succès d’une entreprise dépend de son pouvoir de marché, que le pouvoir suppose un bon positionnement, qu’un bon positionnement est un positionnement radical et qu’un positionnement radical consiste à choisir ses faiblesses. « Cultiver vos faiblesses » est l'un des messages clefs du maître de la stratégie d’entreprise Michael Porter. C’est toujours un message clef, sinon le message clef du livre Blue Ocean. La culture des faiblesses est le moyen le plus fiable pour gagner des clients et de l’argent parce qu’elle est le moyen de concentrer des ressources qui sont toujours limitées, sur des arguments qui permettront de surclasser les concurrents aux yeux des cibles privilégiées.

L’étude d’un cas concret nous fera prendre conscience des bénéfices de la culture des faiblesses en termes économiques et de bien-être. L’entreprise qui nous accueille réalise des tests sur des équipements électroniques avant leur mise sur le marché ; ces équipements sont soumis à des contraintes de sécurité extrêmes. Face aux demandes de test, l’entreprise compose des équipes projets d’ingénieurs et de techniciens.

À l’occasion de sa prise de poste, le directeur général remarque que le taux d’occupation des ingénieurs et des techniciens est relativement faible. À ses yeux, cela constitue une perte de rentabilité, voire de compétitivité. Il entreprend alors d’optimiser l’usage de ses ressources. Il y parvient et le taux d’occupation augmente. Cependant, quelques mois plus tard, il perçoit des signes d’insatisfaction chez les clients, des signes de tension dans les équipes ainsi qu’entre les équipes. Des salariés craquent.

Pour comprendre la dérive, commençons par noter que cette entreprise doit faire face à trois contraintes principales :

  • premièrement, les tests doivent être parfaitement fiables car les failles de sécurité peuvent coûter des centaines de millions d’euros aux fabricants des équipements électroniques ;
  • deuxièmement, les ingénieurs doivent être extrêmement réactifs car les fabricants prennent systématiquement du retard au cours du développement des équipements mais ne peuvent tolérer aucun retard dans la mise sur le marché des produits… Là encore, les enjeux financiers sont énormes et les ingénieurs sont pris en étau ;
  • troisièmement, l’entreprise doit proposer des prix compétitifs et donc contenir ses coûts.

Il n’était pas nécessaire de renforcer la contrainte de coût. Les clients étaient prêts à payer cher pour la fiabilité et la réactivité.

Les tensions externes et internes sont apparues à partir du moment où le directeur général s’est attaqué à la relative faiblesse du taux d’occupation, c’est-à-dire à partir du moment où il a placé la troisième contrainte (le coût) au même niveau que les deux premières. Ce choix de gestion s’est avéré problématique car la relative faiblesse du taux d’occupation témoignait de la présence de troupes de réserve, qui remplissaient auparavant deux fonctions : elles offraient une grande réactivité au client et elles assuraient un entretien régulier des équipements, contribuant ainsi à la fiabilité des tests. Avec la disparition des troupes de réserve, le stress est monté dans les équipes et les accidents de production se sont multipliés.

Il n’était pas nécessaire de renforcer la contrainte de coût. Les clients étaient prêts à payer cher pour la fiabilité et la réactivité. Ils ne discutaient jamais les prix lorsque les équipes traitaient les demandes en urgence. Le taux d’occupation constituait sans doute une faiblesse mais celle-ci ne pesait pas grand-chose à côté des forces qu’attendaient coûte que coûte les clients. Elle en était même une contrepartie.

  • Écrit par Olivier Tirmarche, directeur associé Stimulus.

 

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