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16 / 09 / 2014 | 26 vues
Audrey Minart / Membre
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Inscrit(e) le 25 / 07 / 2011

Travail, stress et maladies cardiovasculaires : quel lien ? - Emmanuel Wiernik, épidémiologiste

Un épidémiologiste, voilà qui tranche au milieu de la masse des doctorants et post-doctorants en sociologie, majoritaires parmi les lauréats du DIM Gestes, un groupe d’étude interdisciplinaire sur le travail et la souffrance au travail, financé par la région Île-de-France, qui accompagne les projets de jeunes chercheurs via des allocations doctorales et post-doctorales. 

Emmanuel Wiernik a 28 ans ; son inscription en doctorat vient à la suite d’une licence en biologie, d’un master en neurosciences puis d’un master en santé publique. Spécialité « épidémiologie », donc.

C’est dans le cadre de son master 1 en santé publique que, presque par surprise, Emmanuel Wiernik découvre que l'effet du stress sur l’hypertension, facteur de risque de maladie cardiovasculaire, n’est pas le même selon la catégorie professionnelle à laquelle on appartient*. Autrement dit, les individus rapportant une situation de stress, parmi les catégories professionnelles les plus « défavorisées », auraient plus de probabilité d’être hypertendus. Sachant que, contrairement à une croyance répandue, le lien entre stress et hypertension ne va pas de soi.

C’est suite à ces résultats, et pour les poursuivre, qu’il décide alors de continuer en master 2, puis en thèse.

C'est en 2013 qu'il obtient du DIM Gestes une allocation doctorale pour son projet « stress, dépression et mortalité cardiovasculaire : impact des inégalités professionnelles ». Son intérêt pour « le travail » est de prime abord un peu né du hasard. « Au début, lors de mon master 1, nous n’étions pas partis pour étudier spécifiquement cet aspect-là de la relation entre stress et hypertension. Mais nous avons néanmoins décidé, avec mon directeur de stage, de prendre en compte cette variable. Pour le coup, l'effet était très fort ». Depuis, plus question d’écarter le travail, ou du moins la catégorie professionnelle, de ses travaux.

Stress et maladies cardiovasculaires : une relation directe ?

« S’il est clair que la catégorie professionnelle, « facteur d’interaction », a un effet sur la relation entre stress et hypertension, nous ne savons pas si c’est le travail en tant que tel qui l’explique, ou si c’est le niveau de vie, l’éducation… Mon but est donc d’étudier les variables pouvant influer sur cette relation ». À savoir qu’il existe également des facteurs de « confusion ». « Autrement dit, l’association entre stress, dépression et maladie cardiovasculaire peut ne pas être directe mais, en réalité, due à un autre facteur lié aux deux, comme, par exemple, l’alimentation. Mon objectif est donc de vérifier si la relation est directe ou s’il y a entre eux un facteur de confusion… ». Et donc d’étudier les conséquences du travail sur cette relation.

« Les résultats peuvent par ailleurs être différents selon que l’on est un homme ou une femme. D’ailleurs, l’association entre stress et hypertension, que j’ai étudiée en master 1, ne se retrouve que chez les femmes, selon des travaux ultérieurs. Peut-être n’a-t-on pas le même mode d’ajustement au stress, c’est-à-dire les mêmes comportements visant à s’adapter à une situation de stress ». Sachant que la prévalence des maladies cardiovasculaires augmente chez les femmes depuis plusieurs années, suscitant de ce fait l’intérêt des politiques publiques, il serait intéressant, selon le doctorant, de regarder de plus près les effets des caractéristiques du travail (horaires décalés, notamment). « Les causes ne sont pas encore claires ».

Intrigué depuis longtemps par les liens entre le psychique et le corporel (le somatique), cette thèse lui permet donc de poursuivre dans cette voie. « Il faut savoir que la dépression est plus étudiée que le stress ou d’autres aspects émotionnels… Il est par exemple probable que l’alexithymie, c’est-à-dire la difficulté d’identifier ses propres émotions, ait un effet sur le plan somatique. Il semblerait que cela concerne davantage les hommes ou du moins que ceux-ci rencontrent plus de difficultés à l’exprimer. Les femmes, en revanche, sont plus portées sur la rumination de leurs difficultés. Plusieurs études ont montré que celle-ci a des conséquences sur les maladies cardiovasculaires… ». Bref, « passionnant » pour cet ancien étudiant en neurosciences.

Le stress, pas l’apanage du cadre

Comment expliquer que les ouvriers justement, plus que les cadres ou catégories professionnelles « élevées », soient plus exposés à ces risques ? « Les cadres n’en sont pas moins stressés… Mais peut-être que, par exemple, étant donné leur niveau de vie, ont-ils davantage accès au sport, ou à toute activité permettant de limiter l'effet du stress… Nous savons par ailleurs que les ouvriers ont tendance à moins se rendre compte qu’ils sont stressés. Peut-être une question d’éducation, peut-être y sont-ils moins « autorisés » ? ». Les hypothèses ne manquent pas, il ne reste plus qu’à les confirmer. Ou non.

Mais le « but ultime » et même « le rêve » de l’épidémiologiste, c’est finalement, selon Emmanuel Wiernik, que ses recherches aboutissent un jour à une action en termes de santé publique. « L’idée serait, par exemple, de permettre aux ouvriers stressés d’avoir accès aux méthodes de relaxation, de gestion du stress, ou à des bilans de santé plus réguliers… »

Un objet de recherche confronté à l’interdisciplinarité

Si le jeune doctorant est amené à rencontrer régulièrement psychiatres, psychologues et médecins, les relations avec les sociologues ne semblent pas encore aller de soi. Le séminaire résidentiel du DIM Gestes, au cours duquel les 17 lauréats ont eu l’opportunité de se rencontrer, a d’ailleurs été l’occasion de jeter quelques ponts entre disciplines.

« J’ai discuté avec des sociologues et j'ai plus ou moins découvert la méthode qualitative. Il est vrai qu’en épidémiologie, forcément très axée sur lequantitatif, nous sommes toujours soucieux de présenter un échantillon représentatif… Nous insistons même régulièrement sur les limites de nos études ». Son terrain, en effet : d’énormes bases de données portant sur des cohortes de milliers, voire de dizaines de milliers de personnes… Ce qui tranche avec la méthode sociologique par excellence : l’entretien.

« Pour un épidémiologiste comme moi, ces échantillons portent sur trop peu de personnes. Mais, à l’inverse, on m’a opposé que je ne faisais que des « stats », que je n’étais pas dans la « vie réelle ». C’est sans doute là, en ouvrant les débats et en mettant en regards croisés les observations, qu’il est intéressant de relier les deux disciplines, afin d’enrichir nos analyses ».

Références aux travaux de recherche antérieures

- Stress et hypertension, quand la lutte des classes s'en mêle, INSERM, dévrier 2013.
- Article de master 1 : Occupational status moderates the association between current perceived stress and high blood pressure

Références aux travaux de mesure

Questions de l’échelle de Cohen permettant de mesurer le stress sur le dernier mois écoulé

  1. Vous a-t-il semblé difficile de contrôler les choses importantes de votre vie ?
  2. Vous êtes-vous senti confiant en vos capacités à prendre en main vos problèmes personnels ?
  3. Avez-vous senti que les choses allaient comme vous le vouliez ?
  4. Avez-vous trouvé que les difficultés s’accumulaient à tel point que vous ne pouviez les contrôler ?

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