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04 / 09 / 2012 | 647 vues
Roman Bernier / Membre
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Ryanair : quand les pressions sur les pilotes mettent les avions en péril

Il faut être parti en vacances, très loin de toute civilisation, pour ne pas être tenu au courant du triple incident de Ryanair à Valence à la fin du mois dernier. La situation a beau être exceptionnelle, elle est loin d’être anodine. C’est le fruit d’une politique volontaire de réduction des coûts et de destruction du dialogue social qui aboutit à mettre en danger la vie des passagers de la compagnie low-cost. Et il n’est pas question pour Ryanair de changer de politique.

« Valence, mayday, mayday, niveau bas de carburant »

Alors qu’un orage monumental force une large partie du trafic aérien sur Madrid à être déroutée vers les aéroports avoisinants, un premier appareil de Ryanair contacte la tour de contrôle de Valence pour se déclarer en situation de détresse. Il est 21h00 passées de quelques minutes. Le temps de libérer la piste pour atterrissage d’urgence et un autre appareil de Ryanair se déclare en urgence de carburant. Moins d’un quart d’heure après, les contrôleurs aériens reçoivent un message similaire d’un troisième avion de Ryanair. Heureusement, les trois appareils ont réussi à se poser sains et saufs et débarquer leurs passagers sans encombres.

Ce qui est plus étonnant, c’est que sur l’ensemble du trafic aérien dérouté ce soir-là, un seul autre appareil (de la LAN celui-ci) a déclaré une urgence carburant. Un signal de détresse pour manque de carburant n’a rien d’anodin. Même après avoir été dérouté vers un autre aéroport et en étant confronté à une situation météorologique difficile, il est tout à fait anormal qu’un avion volant au-dessus du ciel européen se déclare en situation d’urgence de carburant.

Non sans ironie, Ryanair répète à qui veut l’entendre que ses avions sont sûrs parce qu’il y a peu d’autres secteurs aussi strictement réglementés que l’aviation civile en Europe. Les porte-paroles de la compagnie ont d’ailleurs raison. L’espace aérien européen est très fortement encadré. Toutefois, il y a une autre raison pour laquelle l’aviation civile européenne connaît (relativement) peu d’accidents. C’est parce que les compagnies se reposent largement sur le savoir-faire de leurs pilotes.

Un problème de confiance

Le problème, c’est que chez Ryanair, l’avis des pilotes est loin d’être une priorité. La logique directrice de la compagnie c’est la rentabilité, nourrie par des économies rigoureuses. Du coup, là où toutes les autres compagnies laissent à leurs pilotes le soin d’estimer le carburant supplémentaire nécessaire pour le vol au-delà du minimum légal, Ryanair leur impose un régime strict. Chez la low-cost irlandaise, des mémos circulent régulièrement, rappelant que tout pilote voulant embarquer plus de 300kg de fuel supplémentaire devra en répondre à sa direction.

Or, 300kg de fuel, sur un Boeing 737-800 c’est entre 5 et 15 minutes de vol. Autant dire que la ponctualité chez Ryanair c’est autant une nécessité qu’un objectif commercial. Voilà aussi comment, alors qu’un pilote « normal » n’a qu’une probabilité infime de déclarer une urgence pendant sa carrière, ceux de Ryanair volent avec une pression constante pour arriver à temps. Si les urgences multiples comme celles de Valence restent rares, c’est aussi parce que les pilotes ont trouvé un moyen d’éviter l’incartade : ils font entendre à la tour de contrôle qu’ils sont un peu courts en carburant, sans pour autant déclarer une urgence en prononçant le fatidique « mayday ».

Ce mode opératoire plus discret fonctionne très bien habituellement mais n’est pas sans agacer les pilotes des autres compagnies. Cet agacement avait éclaté dans une altercation radiophonique en 2009. Un appareil de Ryanair, en phase d’approche de l’aéroport de Barajas (Espagne) avait demandé la priorité à l’atterrissage parce qu’il approchait le fond de ses réservoirs. Interrompant l’échange avec la tour, un pilote d’Iberia avait déclaré « J’entends que le vol Ryanair se déclare en urgence de carburant ». Devant les dénégations du pilote Ryanair, celui d’Iberia avait menacé « Si vous [la tour de contrôle] donnez la priorité à l’atterrissage à Ryanair, je dénonce le pilote et la compagnie ». L’appareil de Ryanair s’était alors déporté vers un autre aéroport avoisinant tandis que le pilote d’Iberia était félicité par ses confrères en vol au-dessus de Barajas.

Il est rare que ce genre d’événement aille jusqu’à nourrir des articles de presse, c'est aussi pourquoi il est important de profiter de cette occasion pour souligner les dangers des pratiques les plus extrêmes de réduction des coûts. D’autant que Ryanair demeure un cas isolé, même parmi les low-costs, elle forme l’exception. Mais c’est aussi ce sur quoi elle joue. Comme le disait le commandant de bord Jorge Ruiz de Almiron dans la presse espagnole : « Si nous agissions tous comme Ryanair, la moitié des avions tomberaient ». 

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Dans une interview assez incroyable donnée au quotidien El Pais le 24 août, le Pdg de la compagnie Michael O'Leary a refait son numéro ultra-rodé du ''circulez, il n'y a (presque) rien à voir !'' Il a soutenu que les trois avions en question avaient encore de toute façon 30 minutes de combustible minimum. L'Agence de sécurité aérienne espagnole a ouvert une enquête sur ce triple incident mais O'Leary soutient que seule son homologue irlandaise peut sanctionner sa compagnie d'une amende, voir lui retirer sa licence. Scenario hautement improbable. Tout au plus, il évoque des poursuites éventuelles de passagers sur le sol espagnol. Dans la péninsule ibérique, Ryanair est en position de force pour occuper des aéroports dits secondaires. La compagnie a réussi en début d'année à faire ''plier'' les autorités catalanes sur Giron et Reus, et récupérer ainsi une bonne part des 9 millions d'euros qui seront versés pendant 5 ans à ces deux aéroports. Subventions ? Ecartons ce mot inapproprié : il s'agit de compensions pour promotion touristique!