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11 / 09 / 2009 | 3 vues
Samuel Gaillard / Membre
Articles : 15
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Ruptures conventionnelles : comment faire face aux dérives ?

Selon le Ministère du Travail, le nombre de ruptures conventionnelles de contrats de travail a augmenté de 5,1 % au mois de juillet par rapport à juin, passant de 17 332 à 18 222 (source : Le Monde / 10 septembre 2009). Cette augmentation importante, dans un contexte économique de crise, ne peut laisser indifférent car nul doute que nombre de ces ruptures masquent des licenciements déguisés et que l’on perçoit nettement une dérive du système.

C’est donc l’occasion de faire le point sur ce mode particulier de rupture en mettant en valeur les risques d’abus et les moyens de les prévenir, non sans avoir préalablement rappelé quel était le contexte antérieur à la mise en œuvre de ce nouveau dispositif, qui a fêté son premier anniversaire le 25 juin dernier :

  • Pour les employeurs, le seul moyen de se prémunir contre l’incertitude liée aux licenciements était de signer une transaction avec les salariés concernés, dont le montant était inversement proportionnel à la légitimité du licenciement. L’interdiction posée par la jurisprudence de signer un tel document avant la réception par le salarié de la lettre de licenciement envoyée par LRAR a rapidement été contournée en pratique par la mise en œuvre de transactions antidatées, d’envoi de lettres AR vides, ou autres pratiques d’arrière cuisine. Ces « licenciements négociés » n’étaient toutefois pas sans failles et risquaient de se terminer devant le bureau du Procureur…


Pour les salariés, la démission présentait l’inconvénient majeur de ne pas ouvrir droit aux ASSEDIC, d’où une source de développement supplémentaire de « licenciements négociés » visant à contourner la loi.

Bénéfices et travers de la rupture conventionnelle

La rupture amiable dite « classique », intervenant d’un commun accord entre l’employeur et le salarié, était certes admise par la jurisprudence. Cependant, en dehors des ruptures intervenant dans le cadre de « Plans sociaux » (on parle aujourd’hui des « PDV », les fameux Plans de Départs Volontaires), les ruptures amiables ne présentaient guère d’attraits : elles ne donnaient, elles non plus, pas droit aux ASSEDIC, et les sommes éventuellement versées aux salariés dans le cadre de ces ruptures amiables étaient intégralement taxées comme du salaire à la différence de l’indemnité transactionnelle.

L’un des mérites de la réforme de la loi du 25 juin 2008 portant sur la modernisation du marché du travail, qui a créé le mécanisme de la « rupture conventionnelle », est d’avoir endigué, à défaut d’y avoir mis fin, de telles pratiques douteuses, en créant un mécanisme de rupture amiable encadré visant à s’assurer de la réalité du consentement du salarié à la rupture de son contrat de travail.

Mais en réglant ainsi ce problème, la loi du 25 juin 2008 a ouvert de nouvelles difficultés et de nouveaux risques sur lesquels il y a lieu d’être particulièrement vigilant.

La rupture conventionnelle, il faut le rappeler, n’est pas un nouveau mode de rupture du contrat de travail. Il s’agit d’un mode particulier de rupture amiable du contrat de travail, qui permet à la fois de bénéficier d’un régime fiscal et social favorable et des allocations Pôle Emploi, ce qui n’était pas le cas auparavant.

Il conviendra tout d’abord d’exposer les caractéristiques générales de la rupture conventionnelle en insistant sur la notion essentielle de « commun accord » avant d’aborder les difficultés les plus courantes résultant d’un détournement manifeste de ce mode de rupture.

La rupture conventionnelle et la notion de « commun accord »


Telle que définie aux articles L. 1233-11 et suivant du Code du travail, la rupture conventionnelle constitue sur le papier un mode de rupture du contrat de travail satisfaisant :

  • La rupture doit résulter d’un « commun accord »  (Article L. 1237-11 du Code du Travail : « L’employeur et le salarié conviennent du principe d’une rupture conventionnelle… » ).
  • Elle doit faire préalablement l’objet d’un entretien préalable, au cours duquel le salarié peut être assisté par un représentant du personnel, comme en matière de licenciement .
  • Elle est formalisée par la signature d’un document type CERFA, qui est ensuite soumis à l’appréciation de la DDTEFP, qui doit se prononcer dans un délai de 15 jours .
  • L’indemnité de rupture versée au salarié doit être au moins égale au montant de l’indemnité conventionnelle ou légale de licenciement.


Il n’en reste pas moins que ce « nouveau » mode de rupture n’est pas sans soulever certaines difficultés, qui tournent toutes autour du concept de « commun accord » : il serait peut-être intéressant un jour d’effectuer un sondage afin de déterminer le nombre de situations ou un employeur et un salarié se sont rencontrés dans un couloir en ayant tous les deux l’idée de rompre le contrat de travail…

Il convient certes d’effectuer la distinction, classique, entre les notions d’initiative et de prise d’acte : c’est le salarié ou l’employeur qui prend toujours l’initiative (ou le fait « ressentir ») de la rupture du contrat de travail, car les rencontres dans les couloirs restent rares... Mais, là encore, la subordination du salarié à l’employeur vient perturber le débat, et nombre d’employeurs n’hésitent pas à menacer leurs salariés d’un licenciement en cas de refus d’acceptation d’un accord de rupture amiable.

D’où le rôle fondamental de l’entretien préalable permettant l’intervention des représentants du personnel à ce stade, afin de s’assurer du caractère « libre » de son consentement, « qu’il s’agisse du principe de la rupture ou de ses conditions » (circulaire SGT n°2008-11 du 22 juillet 2008).

  • Par ailleurs, la conclusion d’une rupture conventionnelle ne met pas l’employeur à l’abri du risque d’un contentieux, et la Cour de Cassation veille ! Elle a ainsi considéré, dans un arrêt du 2 décembre 1997, qu’un accord de rupture amiable « classique » pouvait être annulé s’il existait un « litige » entre les parties au moment de sa signature. Elle vient ainsi récemment d’annuler dans un arrêt du 11 février 2009 (P. n°08-40095) une rupture amiable d’un contrat de travail pour le motif qu’au jour de la conclusion de cet accord « un différend existait entre les parties sur l’exécution et la rupture du contrat de travail ». Ce différend était manifeste en l’espèce dans la mesure où la direction avait préalablement engagé une procédure de licenciement avec mise à pied conservatoire. Mais la substitution par la Cour de Cassation du terme initial de « litige » par celui de « différend » laisse supposer des possibilités d’annulation beaucoup plus larges. Cette jurisprudence est bien évidemment aussi applicable à la rupture conventionnelle, qui n’est qu’une modalité particulière de la rupture amiable, et nul doute que de nombreux salariés sauront s’en prévaloir utilement devant les Prétoires.

Que penser alors de la pratique consistant à adjoindre à une rupture conventionnelle une transaction conclue postérieurement ? Que penser alors de la pratique, qui tend à se développer de plus en plus, consistant à adjoindre à une rupture conventionnelle une transaction conclue postérieurement (c’est en dire en pratique en l’antidatant), visant à « sécuriser » tout le mécanisme ? La jurisprudence ne s’est pas encore prononcée sur cette question, mais une telle pratique semble pour le moins risquée. En effet, la conclusion d’une transaction ne fait in fine que mettre en évidence l’existence d’un « différend » entre les parties ou d’un vice du consentement au moment de la signature de l’accord amiable (sinon, pourquoi transiger ?). Si tel est le cas, on retombe alors sur la jurisprudence classique, qui annule invariablement toutes les transactions qui ne sont pas conclues postérieurement à une lettre de licenciement adressée par LRAR. Tout l’édifice s’écroule alors comme un château de cartes…

En ce domaine comme dans bien d’autres, le mieux est parfois l’ennemi du bien, et les usines à gaz risquent toujours d’exploser dans la main de leurs concepteurs…

Les principaux risques de détournements

Les risques les plus évidents sont ceux d’un détournement de cette procédure à des fins collectives : propositions systématiques de ruptures conventionnelles aux jeunes mamans ou aux salariés de retour d’un long arrêt de maladie ; multiplications de ruptures conventionnelles dans un but de réduction des effectifs. Les représentants du personnel doivent être particulièrement vigilants sur de telles pratiques qui visent toujours les salariés les plus faibles.

Le Comité d’entreprise doit être informé du nombre de ruptures conventionnelles intervenant dans l’entreprise.
Tout d’abord, il est incontestable que le Comité d’entreprise doit être informé du nombre de ruptures conventionnelles intervenant dans l’entreprise. Certes, l’article R. 2323-17 du Code du Travail définissant le contenu du bilan social ne prévoit pas d’information spécifique sur le nombre de ruptures conventionnelles. Il ne s’agit cependant là que d’un défaut de mise à jour de cet article, et les rétentions d’information de certains employeurs sur le nombre exact de ruptures conventionnelles sont inadmissibles. Il s’agit clairement d’une entrave aux prérogatives générales du Comité d’entreprise telles que définies par l’article L2323-6 du Code du Travail, éventuellement à ses prérogatives particulières en matière de compression d’effectif résultant des articles L.2323-15 et suivants du Code du Travail, à laquelle il convient d’y mettre fin par une saisine de l’inspecteur du travail ou du juge des référés, sans préjudice d’éventuelles actions pénales.

S’agissant ensuite des pratiques visant telle ou telle catégorie de salariés (les jeunes mamans ou les salariés de retour de congé maladie en particulier), il s’agit là encore très clairement d’une violation des prérogatives du Comité d’entreprise et du CHSCT, dont on peut supposer qu’ils n’auront pas été consultés préalablement à la mise en œuvre d’une telle politique… Cela constitue par ailleurs et surtout, dans la grande majorité des cas, une « pratique discriminatoire » prohibée par l’article L. 1132-1 du Code du Travail, pratique sanctionnée par la nullité de la rupture.

S’agissant enfin des pratiques de licenciements économiques sous couvert de ruptures conventionnelles, celles-ci ont été jugées suffisamment préoccupantes par l’administration pour que ce point fasse l’objet de précisions complémentaires dans la seconde circulaire DGT du 17 mars 2009, dont il convient de rappeler les termes :

  • « Enfin, il convient d’être particulièrement vigilant sur les ruptures conventionnelles qui seraient conclues en vue de contourner les garanties en matière de licenciement économiques et collectifs. Un contexte économique difficile pour l’entreprise, voire un PSE circonscrit à d’autres emplois, ne sont pas à eux seuls suffisants pour exclure l’application de la rupture conventionnelle. Le caractère coordonné et organisé des ruptures conventionnelles peut, en revanche, constituer un indice additionnel »


L’utilisation de ruptures conventionnelles dans le cadre de la mise en œuvre d’un PSE est clairement prohibée par l’article  L. 1237-16 du Code du Travail. Il en est de même, a fortiori, pour les PSE déguisés. Il n’existe pas en revanche de dispositions spécifiques pour les « petits licenciement collectifs» (de moins de 10 salariés), mais, là encore, la mise en œuvre d’une telle politique sans respect des obligations d’information et de consultation des IRP constituerait une fraude à la loi et une entrave manifeste. Il convient en effet de rappeler que le Comité d’entreprise doit être consulté sur toute politique de réduction des effectifs, sous peine d’entrave (Cass. Crim., 4 novembre 1997, P. n° 96-84594).

De telles pratiques ne sont pas toujours faciles à mettre en évidence, mais les représentants du personnel disposent de moyens qu’ils ne doivent pas négliger. Le Comité d’entreprise et/ou le CHSCT peuvent en effet tout d’abord attirer l’attention de l’administration sur les anomalies constatées en matière de rupture conventionnelles et/ou saisir l’inspecteur du travail. Une telle démarche peut le cas échéant être précédée de la mise en œuvre d’une « mission » par un ou plusieurs de leurs membres afin d’entendre, de manière anonyme si nécessaire, les salariés et anciens salariés concernés afin d’établir un « rapport » établissant les conditions réelles de rupture.

... il n’y a rien d’extraordinaire à soutenir que la mise en œuvre de manière collective de ruptures conventionnelles puisse avoir un impact sur les conditions de travail des salariés...
Si la direction s’oppose à transmettre les informations nécessaires, en particulier les coordonnées des salariés ayant signé une rupture conventionnelle, et que le CHSCT dispose tout de même d’un certain nombre d’ « éléments objectifs patents », il pourrait alors être envisagé de mettre en œuvre une expertise pour « risque grave » dans le cadre de laquelle l’employeur serait alors tenu de communiquer à l’expert toutes les informations nécessaires. Il n’existe pas encore de précédent jurisprudentiel en la matière, mais il n’y a rien d’extraordinaire à soutenir que la mise en œuvre de manière collective de ruptures conventionnelles en fraude à la loi puisse avoir un impact sur les conditions de travail des salariés, en raison notamment du stress vécu par les salariés qui se retrouvent ainsi devant le bureau du DRH pour discuter de leur départ « amiable »…

L’enjeu n’est pas mince, surtout lorsqu’il y a fraude à la mise en œuvre d’un PSE : faut-il rappeler qu’en la matière la sanction est celle de la nullité des ruptures et de la réintégration des salariés concernés (CA Versailles, Alcatel Lucent, 2 octobre 2007) ?

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Merci pour cet article pragmatique et complet dont nombre de représentants du personnel pourront trouver source d'inspiration.

Dans la liste des moyens d'action de représentants du personnel pour contre-carrer les licenciements pour motifs économique déguisés, les DP peuvent aussi avoir leur rôle à jouer en consultant régulièrement le registre du personnel retraçant les entrées et sorties du personnel. Ce document qui doit être tenu à leur disposition (art L. 1221-15 CT) leurs permettra de vérifier que des embauches ont bien suivi les licenciements notifiés pour motif "personnel"...

Laurent JEANNEAU

www.acces.fr