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05 / 10 / 2012 | 42 vues
Rodolphe Helderlé / Journaliste
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Prévention du stress au Danemark : un problème individuel dont la solution peut être collective

Une session d'échanges ANACT-OSI-RDS de 10 jours (dont 4 au Danemark) a réuni une vingtaine de partenaires sociaux sur le thème du « travail comme risque, au travail comme source de santé et d'efficacité ».

Une journée de restitution et de conclusion des travaux a eu lieu le 12 septembre à Paris, dont vous pourrez trouver le résumé sur le site de l'ANACT.

Mes impressions de retour du Danemark

Autocensure syndicale

Tous les acteurs rencontrés nous ont réaffirmé que les syndicats d'employeurs comme de salariés jugent très important de s'entendre, quitte à faire de nombreuses concessions et à parvenir à des accords après de difficiles et longues négociations, ceci pour éviter que l'État ne prenne des dispositions légales ou réglementaires qui seront probablement encore plus contraignantes pour les employeurs, et surtout peu opératoires et difficiles à mettre en pratique dans la vie quotidienne des entreprises.

Nous avons toutefois pu constater une forme de censure des décideurs, lors de réunions,  les salariés hésitant parfois à prendre la parole pour le motif du respect de l'horaire. De plus, la question peut se poser de l'autocensure de syndicalistes salariés soucieux de défendre le « modèle danois » devant des étrangers plutôt que d'en signaler les inconvénients peut-être mineurs, dans un contexte de dialogue en quelque sorte « imposé » : « il faut qu'on s'entende, on doit absolument aboutir à un accord », avons-nous entendu de nombreuses fois, verbatim partagé des deux parties.

  • Le système danois, dit « flex-sécurité » associe une grande liberté d'entreprendre et de licencier, à une indemnisation du chômage systématique mais fortement plafonnée (environ 2 000 €/mois) et limitée en pratique dans le temps, un nouveau poste pouvant être retrouvé rapidement, dans un délai de quelques mois. Jusqu'à une période très récente, changer de travail ne faisait pas peur.


Les partenaires sociaux de la poste danoise ont fait état de plans sociaux supprimant 12 % de postes par an, ce qui génère de l'inquiétude mais est néanmoins « géré » par les partenaires sociaux et accepté par la collectivité.

Par ailleurs, la mobilité non contrainte entre les entreprises et même entre différents métiers est forte : changer de fonction, de métier, d'entreprise est une possibilité ouverte à un grand nombre de salariés, sans dommage pour leurs carrières.

De plus, les indemnités attachées à la rupture du CDI qui est le seul type de contrat possible, sont claires et prévues à l'avance : les fins de contrats donnent lieu à très peu de contentieux judiciaires, les conflits peu fréquents étant réglés pour une très large majorité (à 96 %) par la médiation entre avocats de l'employeur et du salarié, très souvent fournis par leurs organisations syndicales respectives : on peut réellement parler d'un dialogue social apaisé.

Ce système est financé par un système fiscal très fortement redistibutif : 50 % des recettes fiscales sont constituées par l'impôt sur le revenu, dont la progressivité est importante et dont le taux marginal supérieur est atteint pour des revenus relativement bas pour ce seuil précis, soit d'environ 5 000 €/mois.

La facilité de licencier renforce la concurrence entre salariés


Mais la facilité de licencier facilement crée de fait une concurrence entre salariés : seuls les plus performants et en bonne santé sont considérés comme employables : 25 % des citoyens âgés de 25 à 60 ans sont factuellement « sortis » du marché du travail, on peut aussi penser qu'ils en sont « exclus » et bénéficient d'indemnités maladie ou de pensions d'invalidités (hommes et femmes confondus, le taux d'emploi des femmes étant similaire à celui des hommes, bien qu'on trouve plus d'hommes en situation de responsabilités importantes).

Quoique le chômage ait fortement augmenté, la crainte principale demeure la pénurie de main d'œuvre. Un plan gouvernemental « return to work » (RTW) est en cours. Le but est de remettre au travail des gens aujourd'hui « hors marché » et de favoriser des solutions alternatives au classement en invalidité de personnes jusqu'ici classées comme inaptes au travail.

Si nous avons bien compris, en dehors de cas très exceptionnels, au bout d'un an d'arrêt maladie (les services de l'État gérés par les municipalités remboursent presque intégralement aux employeurs les salaires versés aux employés malades, après trois semaines consécutives de maladie et ce pendant un an maximum), « en cas d'impossibilité de reprendre son poste » le salarié est « sorti » du marché du travail et bénéficie d'allocations.

  • Il est dorénavant envisagé de maintenir au travail un certain nombre de ces salariés, en préconisant un changement de poste ou une réduction des horaires de travail.

Les limites du modèle

Toutefois, en raison de la crise financière et économique actuelle, le système danois semble arriver à ses limites.

Des dispositions en projets risquent de priver de revenus de nombreux préretraités : la préretraite généralisée permettait jusqu'ici à des salariés âgés d'attendre la retraite en bénéficiant d'allocations garanties pour quelques années, après lesquelles les droits à la retraites prenaient le relais.

Or, le recul de l'âge de la retraite rendu nécessaire pour l'équilibre des finances publiques comme par la nécessité d'accroître le marché du travail pour éviter la pénurie de ressources humaines vient en contradiction avec le contrat implicitement conclu précédemment, le « relai » n'étant plus effectif.

  • Par ailleurs le niveau des salaire élevé a conduit à de nombreuses délocalisations, y compris pour des secteurs dont on aurait pu penser qu'ils demeureraient locaux : par exemple, l'ensemble de la filière d'abattage des ovins et bovins a été transférée en Allemagne, les coûts de main d'œuvre ayant fortement divergé entre les deux pays pendant les dix dernières années.


En raison de la montée du chômage, de délocalisations importantes et de négociations tripartites visant à réduire la durée maximale des allocations chômage, l'inquiétude provoquée par la perspective de perdre son emploi réapparaît. Les représentants du personnel rencontrés s'inquiètent aussi d'une moindre syndicalisation, bien que celle-ci demeure à un taux très élevé (68 %, ce qui nous fait rêver !).

En conséquence, le « système danois » semble aujourd'hui, dans un contexte de crise et de concurrence internationale (y compris en Europe), atteindre ses limites. Le mot d'ordre partagé peut se résumer ainsi :

Il est indispensable :

  • d'augmenter la productivité,
  • d'augmenter l'âge de la retraite,
  • d'augmenter le pourcentage d'individus en âge de travailler effectivement présents sur le marché du travail.

Les plans d'améliorations des conditions de travail sont ambitieux et donnent des résultats mais la prise en compte des risques psychosociaux, déjà ancienne, semble demeurer partielle.

Les conditions de travail : des objectifs ambitieux mais une approche partielle des RPS

L'amélioration des conditions de travail est prioritairement assurée par la négociation, toutefois les aspects de sécurité et de santé au travail relèvent de dispositions légales et réglementaires, parfois auparavant suggérées et négociées avec les partenaires sociaux, et sont contrôlés par l'inspection du travail.

Des plans nationaux pluriannuels sont régulièrement menés.
Le plan précédent n'a pas atteint ses objectifs, mais a marqué de réels progrès.
Le plan d'actions 2005-2020, actuellement en cours, affiche lui aussi des objectifs ambitieux :

  • réduire les accidents de travail mortels de 25 %,
  • réduire les problèmes de santé causés par les risques psychosociaux au travail de 20 %,
  • réduire les troubles musculosquelettiques et les pathologies dues au port de charges lourdes ou au travail répétitif de 20 %.


Il est à noter que les négociations entre organisations d'employeurs et de salariés n'ont pas abouti, relativement au plan de réduction des risques musculosquelettiques, qui a donc été imposé unilatéralement par l'État, ce que les partenaires sociaux considèrent comme un échec de leur part.

En ce qui concerne les risques psychosociaux (RPS) qui nous intéressent plus spécifiquement, leur prise en compte au Danemark nous a semblé partielle.

  • On a le sentiment qu'il s'agit d'un point parmi beaucoup d'autres alors qu'en France, le thème paraît aujourd'hui central.
  • Curieusement, à nos yeux, la prévention semble plus tournée vers les individus que vers l'organisation du travail (voire plus tournée vers la prévention tertiaire que primaire ou secondaire), distinctions dont il n'a aucunement été question lors de nos échanges variés.
  • On nous a présenté le problème du stress, ce qui est déjà une définition réductrice des RPS, comme un « problème individuel », mais dont la solution peut être collective.

Les mesures correctives envisagées sur les RPS sont les suivantes :

  • augmenter la tolérance individuelle des salariés au stress,
  • sensibiliser systématiquement les managers et dirigeants aux risques RPS liés au management par des formations.

Le sujet du harcèlement « individuel ou collectif » été fréquemment abordé mais sans vraiment préciser quelles actions de prévention sont conduites dans ce cas.

  • Enfin, et c'est un point de clivage important, il nous a semblé que le sujet était réellement dépassionné.

Le sujet a pu être négocié par les partenaires sociaux, alors que la prévention des TMS, qui en France nous apparaît comme plus facile à objectiver, plus proche des risques professionnels classiques et donc plus aisée à traiter, n'a pas débouché sur un accord.

« Je suis fragile aujourd'hui, faites attention à moi. »

On cite aussi au Danemark une grande campagne de sensibilisation qui visait à faire prendre conscience à la population. Cette campagne a été conduite avec des outils ludiques et a provoqué de nombreux débats. Des citoyens ont pu dire que porter le bracelet orange à l'effigie de cette campagne pouvait signifier « je suis fragile aujourd'hui, faites attention à moi », ce qui étonne un œil français.

Mais globalement, les mesures annoncées paraissent globalement pauvres au regard des enjeux.

Notre analyse collective française tend à considérer qu'il « faut interroger le travail » ; qu'en analysant les tâches de chacun, sans remettre en cause le souci de productivité des entreprises, on peut aller vers une meilleure prise en compte des PRS, bénéfique aussi bien aux salariés qu'aux entreprises.

  • Une position plus ambitieuse consiste à  considérer que la productivité doit être mesurée globalement et que soustraire un certain nombre d'individus considérés comme non rentables économiquement (lesquels survivent au moyen d'aides étatiques) du marché du travail est une solution qui confine à l'absurde.

En France, si les employeurs considèrent que l'augmentation de la productivité est incontournable en raison de la concurrence mondiale, les représentants des salariés comme certains chercheurs émettent l'idée que l'intensification du travail, le « toujours plus » commencent à trouver leurs limites, rendant malades trop de salariés et compromettant les conditions collectives de bonne santé au travail en ne permettant plus le fonctionnement de collectifs de travail.

  • Au Danemark, la question d'une limite à l'augmentation de la productivité semble au contraire ne pas se poser, celle-ci étant considérée par tous les acteurs comme une donnée à prendre en compte, en raison notamment du haut niveau des salaires auquel il n'est pas question de renoncer.


En résumé, les partenaires sociaux danois affirment que les défis qu'ils doivent relever n'ont pas été modifiés par la crise.

Ils continuent de partager le double souci de la productivité d'une part et la santé et la sécurité au travail d'autre part.

Dans cet esprit, la priorité demeure l'analyse du marché du travail, effectuée par les « conseils du travail » au niveau des branches, au moyen d'une grande diversité d'outils, et pour trois domaines prioritaires :

  • la réduction des AT (accidents du travail),
  • l'environnement psychique du travail,
  • l'évaluation de la charge de travail.


Il semble bien que contrairement à l'impression première qui tend à considérer comme largement réglé le problème des RPS au Danemark, ceux-ci demeure préoccupant. Ce, d'autant que la protection de la santé mentale est incluse dans les textes depuis 1975. Une prise en charge du problème depuis si longtemps aurait d'ailleurs pu aboutir à son règlement, ce qui ne semble pas être le cas.

Les mêmes termes reflètent deux réalités très différentes.


Nos modèles respectifs sont complexes et si différents qu'il semble difficile de les comparer. La prise en compte des RPS est-elle partielle parce que de nombreux problèmes sont déjà résolus ou nous paraît-elle ainsi parce que nos définitions, approches et constats diffèrent au point que nous parvenons mal à nous comprendre ?

Les questions d'organisation du travail semblent évacuées alors qu'elles semblent essentielles chez nous. Les Danois nous expliquent que le travail bien fait est la règle. Le dialogue entre l'ouvrier (qui sait de quoi il est question) et du chef d'établissement (qui demeure à l'écoute) permet de prendre des dispositions pratiques immédiatement applicables et efficaces. Ces discussions constantes et faciles permettraient d'éviter tout problème de qualité et de limiter l'importance du contrôle ex-post, notamment du reporting.

Il semble donc bien que si l'organisation du travail ne fait pas l'objet d'une analyse sous l'angle des RPS, c'est que le problème ne peut exister aux yeux des Danois, le « système danois » l'ayant résolu a priori.

Néanmoins, certaines explications n'ont pas réellement répondu à nos questions et attentes.

  • Par exemple, l'un de nos interlocuteurs nous disait que, comme en France, en raison de la charge de travail qui augmente, les horaires de travail ont tendance à ne plus être respectés. Il lui semblait normal de parfois consulter ses courriels le week-end et de parfois prolonger son temps de travail par goût du travail bien fait et parce qu'au Danemark, on aime son travail

Au cours d'une discussion plus informelle, il nous a expliqué que le repas familial se prenait à 19h00, ce qui semble tardif par rapport aux habitudes du pays. En tout cas, il n'est pas question de rentrer chez soi après cette heure-là, étant précisé que les enfants doivent tous être couchés pour 20h00.

Les Danois aimeraient simplement que les crèches gardent leurs enfants parfois jusqu'à 18h00, le jour où une urgence particulière les retient au bureau, au lieu de 16h30 ou 17h00 maximum.

Le phénomène n'est donc pas du tout de la même nature ni de la même ampleur qu'en France. Certains Danois quittent peut-être leur travail plus tard qu'auparavant mais il ne s'agit aucunement de travailler 60 ou 70 heures par semaine au lieu des 35 ou 40 heures prévues au contrat.

  • Si nous évoquons ici un peu longuement ces détails de la vie quotidienne, c'est qu'il a fallu rentrer dans le détail de l'organisation d'une journée au travail et dans la vie privée, pour comprendre que les mêmes termes reflétaient deux réalités très différentes.

 
Néanmoins, nous pourrions nous inspirer des méthodes et des outils utilisés au Danemark :

  • privilégier des mesures pratiques, capitaliser sur les retours d'expérience conduits dans les entreprises ;
  • être inventifs dans communication et attentifs aux populations concernées lors de changement d'organisation et avant tout promouvoir un type de management réellement participatif où le respect de chaque personne demeure un principe intangible quels que soient la fonction tenue et le rang hiérarchique dans l'entreprise.

Conclusion

Au Danemark, le dialogue social est apparemment nourri et apaisé, dans une société  égalitaire mais dont le marché du travail connaît de profondes mutations, ce qui commence à remettre en cause certains principes du « modèle danois ».

Les plans d'amélioration des conditions de travail sont ambitieux et donnent des résultats mais la prise en compte des risques psychosociaux, déjà ancienne, semble demeurer partielle.

  • Nos modèles respectifs sont complexes et si différents qu'il semble difficile de les comparer. La prise en compte des RPS est-elle partielle parce que de nombreux problèmes sont déjà résolus ou nous paraît-elle ainsi parce que nos définitions, approches et constats diffèrent au point que nous parvenons mal à nous comprendre ?
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