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10 / 02 / 2014 | 13 vues
Sylvain Thibon / Membre
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Pourquoi Canal+ a peur de Netflix ?

Canal+ va bientôt fêter ses 30 ans. C'est alors qu'une une nouvelle concurrence apparaît, plus internationale, plus riche, plus offensive : Netflix. Les couloirs, les conférences, les séminaires... À chaque réunion, le nom de Netflix est cité : Canal+ devrait donc redouter l’arrivée de cet opérateur américain ?

Orchestrée au plus haut niveau de l’État français, cette arrivée questionne, dérange et inquiète. Ces derniers mois, David Hyman (l'un des dirigeants de Netflix) et Christopher Libertelli (patron des affaires publiques) sont venus en visite de courtoisie pour explorer les conditions légales et commerciales d'une arrivée en France. Une arrivée qui serait programmée pour le dernier trimestre de l'année 2014. 

  • Qu'est-ce que Netflix : 44 millions d’abonnés (mais 35 aux États-Unis), un chiffre d’affaire de 1,2 milliards de dollars (ou 900 millions d’euros environ). Cette société née au tournant des années 2000 proposait alors aux Américains des films en format cassettes vidéo, loués et expédiés par la poste. Le DVD a ensuite fait son apparition mais en 2010, Netflix a pris le tournant d’internet en proposant ses films en réseau. En 2012, Netflix s'est lancé dans la production de séries comme Lilyhammer, House of Cards, Bad Samaritans, Hemlock Grove, Arrested Development, Orange Is the New Black.


House of Cards, l'une des séries produites par Netflix est aujourd'hui diffusée sur Canal+. Cette arrivée dans la production de séries répond pour Netflix au moins à deux impératifs. En premier lieu, les films proposés par Netflix ne sont pas de première jeunesse, de nouvelles séries étoffent ainsi un catalogue assez pauvre. Le second impératif vise à répondre aux besoins d’un marché international où les séries excellent et se taillent un part importante de la consommation télévisuelle ou délinéarisée.

Notre avantage réside dans notre modèle de consommation, contrairement à Netflix cantonnée à internet. Canal+ bénéficie d’une exposition de ses programmes sur tous les canaux. Avec une programmation éclectique qui ne se limite pas aux séries, aux films ou aux sports, Canal+ maîtrise un marché en révolution, une offre qui répond aux canons de la demande française

Le seul service de Canal+ qui pourrait pâtir de cette arrivée, c’est Canalplay, un service identique lancé en France il y a peu.

Quels sont les avantages de Netflix ?

Sa puissance internationale. Sans nul doute, son ancrage américain en fait un interlocuteur sérieux. Ou encore ses moyens financiers ou une politique marketing puissante mais aussi une technologie géniale, développée pour Netflix et qui permet de systématiquement proposer à ses clients des programmes de remplacement si le souhait de l’abonné ne peut être satisfait immédiatement. Quand bien même le programme serait indisponible, il y aura toujours une réponse.

Un avantage indéniable en la matière. Comment cette société est-elle arrivée à créer un moteur de recommandation aussi puissant ? Tout simplement en lançant un concours international doté d’une prime de 1 million de dollars pour récompenser des ingénieurs qui inventeraient un logiciel capable de systématiquement répondre à la demande du client.

C'est l'une de nos différences majeures. Qui, aujourd'hui, aurait l’audace à Canal+ de lancer un programme aussi audacieux pour trouver des solutions technologiques innovantes ?

  • En cette période où télé rime avant tout avec économies, on peut douter de la volonté de nos dirigeants de s’engager sur cette voie.

La force et la puissance de Canal+, ce sont bien sûr son portefeuille d’abonnés ; c’est encore son catalogue de droits. Ce devrait également être son capital social : des salariés engagés et motivés. De ce point de vue, le constat est alheureusement amer. Nous nous enfonçons année après année dans un abîme qui semble sans fond : équipes bousculées, management sous pression, désorganisation rampante...

Manque d’investissement et politique sociale déplorable sont les deux talons d’Achille du Canal+ trentenaire. Pour affronter les défis d’aujourd’hui, accueillir avec sérénité les nouvelles concurrences, il faut résoudre ces deux contraintes. Netflix, Amazon, Apple pourraient alors débarquer et trouver face à elles une entreprise motivée, volontaire et créative.

Trente ans d’une vie déjà bien remplie. Des concurrents nationaux absorbés ou contraints, un développement international qui doit nous permettre de tailler des croupières aux plus grands acteurs de l’audiovisuel mondiaux, notamment américains...

En cette période troublée, nous ne devons pas avoir peur de ce débarquement mais plutôt de nous-mêmes. Les forces nécessaires pour engager cette nouvelle résistance sont encore présentes. Mais pour beaucoup, elles sont fatiguées d’une politique contraignante, victimes d’un affaiblissement collectif alors que nos dirigeants sont exclusivement orientés sur le maintien du résultat financier et d’une politique d’économies contre-productive.

Pour assurer notre avenir face aux Netflix de tous bords, il faut d’abord libérer les esprits, remettre dans le droit chemin une organisation en forte tension, desserrer les cordons de la bourse, au besoin en diminuant le rendement pour notre actionnaire afin d’accroître la part réservée aux investissements.

On ne gagnera pas avec une entreprise affaiblie, bousculée, parfois déboussolée, menant jusqu’au « burn-out » certains de ses principaux cadres. Nouveau pacte social, stabilisation des organisations, arrêt des décisions prises à l’emporte-pièce, comme ce déménagement organisé à la va-vite pour 800 salariés du groupe…

Demain pourrait alors être un nouveau jour : un Canal+ à nouveau conquérant, avec des salariés respectés, une organisation comprise et stabilisée, des moyens redéployés... Parce que Netflix n'est que le vaisseau amiral de nouveaux acteurs internationaux de l'audiovisuel, il est urgent d'agir pour que cela change.

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