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05 / 05 / 2011 | 180 vues
Gilles Calmes / Membre
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Inscrit(e) le 02 / 05 / 2011

Pour sortir de l'injonction de la perfection

La financiarisation des entreprises, qui n’échappe pas aux établissements de santé, l’importance prise par les résultats à court terme, la globalisation des économies ont de lourdes conséquences sur la gestion des hommes et des femmes.

Qui réfléchit vraiment à ce qu’est la performance ?

Les dirigeants sont conduits à penser que les messages dominants des affaires peuvent être systématiquement appliqués aux ressources humaines : court terme, adaptabilité systématique, productivité, « toujours plus », critères d’évaluations impensées et parfois insensées.

La tentation est grande de déverser tout ce non-sens dans les attributions des directeurs en attendant d’eux qu’ils redonnent du sens à ce qui n’en a plus.  

Les organisations : lieux de mise sous tension, synonyme de vitalité et de dynamisme  

Toutes les organisations, quelles qu’elles soient, sont soumises à des tensions : ce qui en soi n’est pas un véritable problème mais plutôt un signe de dynamisme. On peut distinguer 4 types de tension.

  • La tension « individu/collectif » : situation de l’individu dans une organisation, qui a certes son identité mais qui doit évoluer.
  • La tension due au « contexte » : de la stabilité, il convient de passer au changement.
  • La tension « division des tâches/coordination » : la logique fonctionnelle s’oppose à la logique projet.
  • Enfin, la tension « collaboration/compétition », de plus en plus implicitement encouragée, et qui peut conduire à des dérives. 

La dictature de l'immédiateté et de la « société spectacle »

  • La performance immédiate : la facilité.

Les dirigeants vivent aujourd’hui dans l’impératif de l’immédiateté, qui se traduit par une tension à court terme, exigeant une performance visible immédiate, constante et maximale. À l’échelle d’un pays, elle prend la forme d’une société du spectacle. Cette performance immédiate ne permet pas l’innovation, ni l’ouverture à long terme et anéantit le temps de la réflexion.

  • La performance à long terme : l’insécurité.

La performance à moyen et long termes exige, elle, une vision, un projet, et constitue donc un risque pour le directeur. Ces deux types de demande (immédiateté et projection) adressées au dirigeant créent des tensions et par là-même une peur qui conduit rapidement inconsciemment à la notion de survie. Il n’y a alors qu’un pas vers la volonté farouche de contrôle pour le directeur qui espère ainsi se rassurer. 

La peur pousse le directeur à vouloir maîtriser l'autre, sa propre vie

  • La culture du contrôle

Depuis la Renaissance, les hommes et les femmes veulent que l’humanité soit heureuse ici et maintenant. Ils veulent jouir des fruits de la terre ici bas : pour cela ils ont décidé de maîtriser la nature. L’humanité s’oblige ainsi depuis 500 ans à s’approprier son monde et orienter sa vie.L’homme moderne veut modifier, changer, manipuler le monde et les autres pour qu’ils soient « mieux ». C’est-à-dire qu’ils correspondent à des critères, des normes qu’il fixe arbitrairement. Ainsi, l’homme, au lieu de s’identifier aux rythmes du vivant, impose sa logique, sa rationalité.

  • L’injonction de perfection

Dans le contexte mondial actuel, ce contrôle excessif conduit aujourd’hui à l’injonction de perfection, qui à son tour exige un bouc émissaire, un coupable lorsque tout n’est pas parfait. Pascal n’écrivait-il pas au XVIIème siècle : « Qui veut faire l’ange, fait la bête »? L’homme ne voit pas que s’il se débat, il se noie, alors que s’il s’abandonne, il flotte.

  • La gestion par la peur

L’impératif de perfection crée ainsi des tensions extrêmes et favorise une gestion par la peur, voire la tyrannie ou la terreur. Toute idée de perfection, plus conçue comme régulatrice mais comme absolument réalisable, devient dès lors tyrannique pour la simple raison qu’elle cesse de tenir compte de la réalité humaine. Comprendre cette tyrannie, c’est en explorer les occurrences diverses ; mais c’est aussi comprendre ce qu’elles ont de commun dans leur diversité.

  • Qu’on recherche la perfection dans la relation professionnelle, dans la relation amoureuse ou dans la relation parentale, et l’on aboutit soit au harcèlement moral, soit à la déception passionnelle, soit à une éducation pathogène et névrotique. Dans tous les cas en effet, ce qui est nié, c’est la relation elle-même, puisqu’il n’y a perfection que dans l’absolu, c’est-à-dire précisément dans le non-relatif, hors de toute relation possible. L’injonction de perfection (tout doit être parfait) est donc contradictoire avec la complexité du monde.   L’homme ne maîtrise pas les conséquences de son action sur la nature. Il doit donc renforcer la prise de conscience de ses responsabilités face à un monde qui l’accueille, mais dont il ne peut se dire propriétaire. Il en est de même pour le directeur qui ne peut pas se dire propriétaire de ses collaborateurs.

La vertu de la résistance : le directeur n'est pas proprétaire de ses collaborateurs

  • Solliciter les consciences individuelle et collective

Le directeur se doit de résister à l’injonction de perfection et pour cela conduire une action ajustée, accompagnée d’un contrôle partagé. Le dirigeant doit alors accepter d’apprendre, et surtout d’apprendre à réapprendre : cela exige de prendre le temps d’écouter avec humilité et donc de s’exercer à l’échec.

  • Reconstruire des lieux d’échanges

Aujourd’hui, oser être en désaccord avec autrui vous condamne à être abandonné par ce dernier. Alors qu’être en désaccord devrait être synonyme de franchise, d’honnêteté et de responsabilité. En effet, les résultats positifs escomptés du contrôle (au service de la perfection) ont des limites. C’est la raison pour laquelle il est impératif de fabriquer des lieux où l’échange est franc, et de favoriser des comportements créant la confiance. Il s’agit de reconstruire des espaces d’échanges sur les difficultés que pose le travail. La reprise de ce dialogue est un préalable indispensable pour repenser les organisations et les finalités du travail. On ne maîtrisera pas les risques psycho-sociaux sans reconstruire des collectifs de travail.

  • Cesser de dire le contraire de ce que les gens vivent

Prendre en compte la dimension humaine. La compréhension de la prise en compte des dimensions humaines constitue une source incontournable de progrès économiques. Les systèmes de reconnaissance doivent être cohérents avec ce qui est attendu, mais ils doivent aussi être le reflet d’un respect des personnes et des collectifs au quotidien. Il convient de cesser de dire le contraire de ce que les gens vivent : il faut arrêter de parler du sens sans arrêt, alors que la gestion par la peur n’en a pas. Enfin, les individus ont besoin de temps pour aller bien et produire intelligemment. Il faut du temps pour apprendre, du temps pour se parler et travailler ensemble : en définitive, du temps pour créer du collectif, du temps pour prendre du recul et progresser. Selon Descartes, que personne ne soit parfait, signifie précisément que l’être parfait n’est pas un être humain.    

  • L’éthique du directeur : ouvrir le jeu

La qualité d’une organisation dépend beaucoup de la coopération entre acteurs et de leurs réactions aux imprévus, donc de leur acceptation à entrer dans un jeu partagé. La contrepartie de l’engagement dans le travail est l’accomplissement de soi : à côté des compétences pratiques sont mobilisées des valeurs qui guident l’action. Si les acteurs sont déjà mobilisés, l’enjeu est de les réinvestir et de soutenir cette mobilisation par la reconnaissance.  En définitive, l’homme moderne, en découvrant le pouvoir de sa raison, a oublié qu’il est redevable à la nature d’un certain nombre d’obligations. S’il se découvre « roseau pensant », il ne doit tout de même pas oublier qu’il est le plus faible des roseaux. En effet, il doit se souvenir qu’il est dépendant d’un équilibre naturel fragile s’il souhaite survivre, et qu’il est dépendant de ses semblables s’il souhaite préserver sa spécificité humaine.

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Très bel article qui plus est écrit par un Directeur d'établissement de santé ou la perte de repères et de sens du service public liés à la santé doit buter face aux contraintes de la RGPP.

Descartes nous a fait beaucoup de mal, nos élites sont séduites par les chiffres et même la DGAFP est pilotée par le Lean Management, quelle horreur.

Ils veulent pouvoir prévoir les conséquences de leurs actes et pour cela créent des modèles de gestion prévisionnelle.

 La vie est avant tout un aménagement du désordre, agrémentée de croyances, de mythes, de rêves et de légendes, véhiculée par du language et articulée sur plusieurs niveaux organisationnels. Très difficilement compatible avec la mort pointée par le tableau de bord,

 et le hasard dans tout cela ? ils vous répondront ( les barbares)nos modèles d'ananlyse et de prévision sont perfectibles