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30 / 11 / 2020 | 267 vues
Béatrice Clicq / Abonné
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Télétravail : un accord national interprofessionnel normatif

Au terme d’une négociation express de trois semaines, émaillée  de multiples rebondissements, la négociation s’est finalement achevée en fin de semaine dernière, après une ultime séance qui s'est avérée déterminante, notamment au regard des réponses apportées sur le droit syndical et sur la prise en charge des frais en circonstances exceptionnelles.
 

Depuis 2015, notre organisation syndicale militait pour une négociation nationale interprofessionnelle mettant les dispositions relatives au télétravail à jour, en vue d’assurer la protection des salariés. Cette revendication a été portée par FO, à plus forte raison au terme de la délibération sur le sujet entre les organisations patronales et les confédérations syndicales en 2017 et, de nouveau en 2019, lors des échanges avec le patronat sur les sujets pouvant faire l’objet d’un agenda social paritaire autonome.
 

Ces derniers mois, la nécessité d’une telle négociation est redevenue d’actualité dans le contexte de la crise sanitaire, avec la mise en télétravail à domicile de millions de salariés dans le contexte du confinement. Elle s’est heurtée au refus du patronat, qui, à l’évidence, est moins enclin aujourd’hui à la négociation nationale, privilégiant le niveau de l’entreprise, ou, en l’occurrence, l’accord de gré à gré entre l’employeur et le salarié. C’est déjà ce que le patronat nous opposait lors des discussions sur l’agenda social.
 

La situation créée sur le sujet par le contexte des confinements et par notre persévérance notamment ont contraint le patronat à consentir à une première discussion sur les situations et constats du travail à domicile et, finalement, à accepter d’ouvrir une négociation. Dans ce contexte difficile, la confédération s’est résolument engagée dans cette négociation, avec la volonté de bout en bout de déboucher sur un accord.
 

Outre le contenu même de l’accord, dont nous voulions qu’il conforte les droits et protections des salariés, dans un contexte où ceux aspirant à bénéficier de la possibilité de télétravailler sans appréhender les risques potentiels de cette forme d’organisation du travail sont plus nombreux, notre objectif était aussi de réinstaller une logique de négociation collective et de pratique contractuelle (hors ingérence de l’État) et de mettre en avant l'esprit de la hiérarchie des normes, auquel nous tenons, sur un sujet sur lequel la négociation au niveau de l’entreprise, quand elle a lieu, et, plus souvent, l’accord de gré à gré entre l’employeur et le salarié l'emportent aujourd'hui.

L’existence même d’un accord le rend normatif. Il est prescriptif ne serait-ce que sur les points relatifs aux modalités de mise en œuvre du télétravail, confirmant les droits et protections existants, les complétant ou améliorant sur certains aspects. Au regard de la négociation collective et de la pratique contractuelle dans les branches et entreprises, il sera un point d’appui auquel les fédérations et syndicats en faveur de la négociation sur le télétravail pourront se référer.
 

Après des échanges tendus tant les employeurs y sont entrés à reculons, le texte auquel nous sommes arrivés répond, sur les points suivants, aux conditions essentielles que nous avions mises en avant.

  • En rassemblant et en structurant les dispositions, depuis l’ANI de 2005, il clarifie et rend les droits et protections existantes explicites pour les syndicats et salariés.
  • À maints endroits, le texte met l’accent sur le rôle de la négociation collective depuis l’ANI en cours de négociation (l’ANI de 2005 étant explicitement intégré *) et les négociations de branche jusqu’à l’entreprise ; le niveau de la branche est notamment souligné dans le cas des entreprises dépourvues de délégués syndicaux ou de CSE (§ 2.2) ; nous avons obtenu que le projet d’ANI soit explicitement considéré « dans l’entreprise et dans les branches professionnelles » comme « un appui à la négociation, […] permettant de favoriser une mise en œuvre réussie du télétravail » (cf. préambule) et « insiste sur l’importance de faire de la mise en place du télétravail un thème de dialogue social et de négociation au niveau de l’entreprise et, le cas échéant, au niveau de la branche professionnelle » (§ 2.2) « en vue d’aboutir à un accord collectif relatif au télétravail », intégrant le périmètre du télétravail (activité éligibles), les conditions de mise en œuvre et les modalités de prise en charge des frais professionnels (dont le principe est rappelé qu’ils sont supportés par l’employeur, y compris dans le cas du télétravail en raison de circonstances exceptionnelles cf. 7.4.1), qui font à tout le moins l’objet de la consultation du CSE relatives à l’organisation du travail.
  • Tout en favorisant la connaissance et le bénéfice de ces droits et protections pour les salariés, il met l’accent sur les risques de « difficultés entre les salariés » et de « distanciation sociale accrue voire de perte de lien social », sur l’articulation entre télétravail et le travail sur site dans le cadre du dialogue social (cf. préambule et § 1.1).
  • Distinguant clairement le télétravail à domicile actuel (circonstances exceptionnelles dont nous avons fait en sorte qu’elles restent définies par les dispositions du code du travail) du télétravail, nous avons empêché toutes les formulations, que les employeurs proposaient, qui auraient pu être interprétées comme faisant un mode d’organisation généralisé du télétravail. À ce sujet, le texte rappelle que le télétravail n’affecte pas la qualité de salarié et le maintien du lien de subordination contractuel (§ 3.1.1).
  • Nous avons obtenu de conforter le volontariat du salarié en obtenant une pleine réversibilité qui améliore même l’ANI 2005 (cf. § 2.3.5). Ainsi, le retour à la demande du salarié qui avait été embauché sans télétravail et est passé en télétravail, sur quelques durée et fréquence que ce soit, est de droit dans les locaux de l’entreprise et « dans l’emploi tel qu’il résulte de son contrat de travail ». Le refus du télétravail demeure bien sûr explicitement comme n’étant pas un motif de rupture du contrat de travail (cf. § 2.3.3). Au chapitre des salariés handicapés ou atteints de maladie chronique ou invalidante, le volontariat est rappelé afin d’éviter que la solution de télétravail ne conduise à créer des situations d’isolement (cf. § 4.3.3). Un chapitre est consacré à l’égalité hommes-femmes (cf. § 4.4.1 et § 4.4.2).
  • Le texte confirme que les durées de travail et temps de repos et de pause sont identiques, que le salarié soit sur site ou en télétravail (cf. § 3.1.2) et que les plages horaires doivent être fixée en concertation avec le salarié en cohérence avec les horaires dans l’entreprise (cf. § 3.1.3).
  • Le texte introduit que la mise en place du télétravail prend le droit à la déconnexion en compte, lequel doit faire l’objet d’un accord afin de respecter les temps de repos et de congé et la vie personnelle, en assurant le droit de ne pas être connecté en dehors de son temps de travail (cf. § 3.1.3).
  • Le texte rappelle les dispositions du code du travail en matière de santé et de sécurité au travail et concernant les accidents du travail. Nous avons empêché les velléités premières des employeurs qui voulaient se désengager des dispositions en la matière de l’ANI de 2005 (accès au lieu du télétravail suivant les modalités prévues par les dispositions légales et conventionnelles en vigueur, notamment pour les représentants du personnel compétents en matière d’hygiène et de sécurité et les autorités administratives) (cf. § 3.4 et suivants).
  • Alors que le code du travail (ordonnances travail 2017) avait fait disparaître la notion d’avenant au contrat de travail, le projet de texte conforte l’obligation de la formalisation entre le salarié et l’employeur en soulignant le recours à l’écrit afin d’établir la preuve de l’accord (cf. § 2.3.2), en rendant l’écrit des conditions de mobilisation et de mise en œuvre du télétravail obligatoire pour toutes les formes de télétravail régulier (y compris pour le gré à gré). Il est également obligatoire de prévoir les modalités de retour sur poste pour la période d’adaptation (même pour le gré à gré) et en cas de réversibilité.
  • Au titre du droit syndical, FO a été l’organisation syndicale la plus mobilisée, en particulier lors des séances ultimes de négociation pour obtenir que « les représentants élus du personnel et les mandataires syndicaux, lorsqu’ils existent, bénéficient, en vertu de la loi, de moyens de fonctionnement équivalents, qu’ils soient dans les locaux de l’entreprise ou en télétravail. Afin de leur permettre de maintenir le lien avec les salariés en télétravail, il est utile de préciser les modalités adaptées d’utilisation des outils numériques à la destination des acteurs du dialogue social dans l’entreprise (cf. § 6.2) par accord collectif ou, à défaut, par charte.
  • Un paragraphe précis est consacré à la protection des données personnelles du salarié en télétravail, pour lequel notre contribution a également été précieuse (cf. §3.1.4)


Le bureau confédéral ayant pris connaissance de l'ensemble des éléments du projet d’accord et analysé les points principaux sur lesquels la confédération s’est mobilisée, il a convenu de donner son accord pour la signature du projet d’ANI. Toutes les organisations syndicales (à l’exception de la CGT) ont finalement donné un avis favorable à l’ultime version du texte qui leur avait été soumise par le patronat.
 

* Cf. le préambule : « c’est au niveau de l’entreprise que les modalités précises de mise en œuvre du télétravail sont définies, dans le cadre fixé par le code du travail, les dispositions de l’ANI ».

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