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02 / 07 / 2025 | 37 vues
Jean-Claude Delgenes / Abonné
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Syndicalisme 2.0 : se réinventer ou disparaître 

Depuis la pandémie, le monde du travail vit une double révolution silencieuse. D’un côté, le télétravail et la numérisation des organisations modifient en profondeur les formes de présence et d’engagement. De l’autre, l’intelligence artificielle bouleverse les processus de dialogue social, en remettant en question le rôle même des intermédiaires humains. Dans ce nouvel environnement, les organisations syndicales françaises sont à la croisée des chemins. Leur affaiblissement auprès des salariés et agents publics n’est ni inéluctable ni fatal, mais il impose un changement radical de pratiques, de culture et de stratégie.

 

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Une culture de l’oralité qui se heurte à un monde digitalisé


Historiquement, le syndicalisme des salariés repose sur une culture « chaude », relationnelle, orale. L’engagement prend racine dans la rencontre, la parole, le récit partagé. Ce sont des figures locales, souvent charismatiques, qui donnent un visage au collectif : des « héros sociaux sur le plan local » qui trouvent toute leur importance dans le fait d’oser se lever contre l’injustice en devenant les porte-voix de leurs collègues. Le lien de confiance naît dans le face-à-face, dans la constance, dans l’attention portée aux autres. Ce lien ne se décrète pas, il se construit par la présence.


Mais ce mode d’existence syndicale se heurte aujourd’hui à un monde transformé : la distance physique imposée par le télétravail, les éclatements horaires liés à la fragmentation des contrats, la dématérialisation des échanges réduisent drastiquement les occasions de rencontre. Pire, ils délitent l’expérience collective du travail. Dans ce contexte, la transmission orale ne suffit plus: il faut en sus inventer une nouvelle culture de la relation, hybride, ancrée à la fois dans l’humain et le digital. 
Attention il ne s’agit pas de substituer le digital à la relation humaine mais de renforcer celle-ci par l’usage de nouveaux outils adaptés à la communication et à la coopération et y compris de permettre aux organisations syndicales de conquérir d’autres espaces de développements par les effets de communication virtuelle et enfin de mieux comprendre les salariés qu’ils représentent par l’analyse de données.

Une syndicalisation des salariés faible et rationnellement peu incitative

La France compte environ 10% de syndiqués dans le privé (hors TPE) et 16% dans le public. Ces chiffres stagnent depuis des années, et il serait illusoire de penser qu’un simple « retour du social » inversera la tendance. Aussi dans un contexte exposé à des risques politiques majeurs, il convient de s’interroger pour renforcer ces corps intermédiaires essentiels à la démocratie sociale mais vraiment mis à mal par les gouvernements successifs. Pourquoi si peu d’adhésion, alors que les revendications syndicales bénéficient à tous ?


Deux raisons majeures :

  • La peur de se faire mal voir par la direction. Le fait de se syndiquer est encore souvent analysé comme un acte de défiance. En dépit de la protection statutaire des représentants, l’adhésion reste un signal risqué dans bien des entreprises. Une sorte de "tatouage symbolique " qui peut avoir un coût sur la carrière.
  • L’effet « passager clandestin » des conquêtes sociales. Les salariés profitent des acquis syndicaux sans en porter le coût. En France, les accords collectifs (d’entreprise ou de branche) s’appliquent à tous, même aux non-syndiqués. Résultat : pourquoi cotiser si l’on bénéficie quand même des hausses de salaire, du télétravail, des droits sociaux négociés ?
     

Dans ces conditions, le syndicat est souvent uniquement perçu comme un « joker en cas de coup dur », un recours d’urgence lors d’un conflit, d’un accident de parcours, mais rarement comme un acteur structurant du quotidien professionnel. À l’opposé d’autres pays où les syndicats jouent un rôle actif dans l’embauche (clause de closed shop), la gestion de la protection sociale ou la formation continue, les syndicats français restent cantonnés à une fonction consultative ou revendicative.

Une légitimité politique fragilisée


Les réformes institutionnelles récentes ont également affaibli leur capacité d’action :
 

  • Dans le privé, les ordonnances de septembre 2017 ont réduit le nombre d’élus et concentré leurs missions (fusion des CE, CHSCT et DP dans les CSE). Ce recul de la prévention au plus près du terrain a abouti à une remontée significative des accidents du travail mortels dans les structures PME de 100 à 300 salariés qui auparavant avaient le bénéfice des actions correctives déployées par les membres de CHSCT 
  • Dans le public, la suppression récente des commissions administratives paritaires prive les syndicats d’un levier d’influence important sur les carrières et donc limite leur possibilité de valoriser leur action collective et leur existence.

 
Cette perte d’influence concrète réduit leur attractivité : à quoi bon adhérer si les syndicats n’ont plus de poids dans l’avancement ou la prévention ? Cette tendance n’est pas à négliger ce d’autant qu’à la suite de fortes mobilisations sans aboutir dans la satisfaction des revendications, l’impuissance nourrit la montée de l’individualisme et le repli sur « le chacun pour soi ».
 

Il ne reste bien souvent qu’un espace de visibilité médiatique, celui des grandes négociations nationales (retraite, chômage, assurance maladie) qui sont dépendantes de l’existence et du maintien d’un paritarisme « à la française » qui ne cesse hélas de refluer. Mais que se passera- si cet espace venait à se refermer ? Les syndicats seraient alors relégués hors champ, confinés à une présence formelle sans impact. 

L’importance de la mise en visibilité médiatique

Dans ce contexte mouvant, la mise en visibilité médiatique des organisations syndicales n’est pas un simple atout parmi d’autres, mais un levier vital de leur renouvellement et de leur légitimité. Lorsqu’une personne ou un groupe décide de créer une section syndicale dans une entreprise, il s’appuie – souvent de façon plus ou moins consciente – sur les images, les discours et les récits diffusés dans les médias.


Il existe certes un effet d’héritage et de tradition, où des militants s’inscrivent dans le sillage d’un parent ou d’un « héros local » reconnu. Mais au-delà, c’est la perception publique qui forge l’envie d’engagement. Un syndicat visible, crédible, porteur d’idées et d’actions, attirera plus facilement de nouveaux militants et suscitera un écho favorable auprès des salariés. À l’inverse, une organisation absente ou discréditée restera marginale, voire invisible.


Cette visibilité permet aussi aux syndicats de peser dans le débat public et dans les négociations. C’est par elle qu’ils entretiennent leur rôle d’« arbitre social », de porte-voix des intérêts collectifs, à une époque où la parole syndicale peine à se faire entendre dans la cacophonie informationnelle.

L’IA, nouvel acteur de la médiation sociale ?

Parallèlement, une autre concurrence silencieuse émerge : l’intelligence artificielle. Les chatbots RH, les plateformes d’auto-diagnostic, les FAQ automatisées, les assistants juridiques génératifs se multiplient. Ils apportent aux salariés des réponses immédiates, souvent standardisées, quelquefois biaisées… mais malgré tout utilisées.


Si les syndicats ne s’en emparent pas, ces outils deviendront la nouvelle interface entre les salariés et l’entreprise, au détriment de l’expertise syndicale. Et dans ce cas, ce sont les directions qui piloteront l’information sociale – avec tous les risques que cela implique en termes de partialité, d’opacité, de déshumanisation. J’entends déjà les protestations et les haussements de têtes par déni mais je ne vois pas pourquoi les organisations syndicales, en dépit de leur importance, ne seraient pas menacées par le déclin. Les Templiers au moyen Age, les guildes commerciales à la Renaissance pour ne citer que ces deux exemples ont connu des heures fastueuses mais ont fini par disparaitre faute d’adaptation. Et que dire des grandes entreprises ou de grands partis politiques qui ont disparu en quelques années, refusant de s’adapter à un monde en changement…

Syndicalisme 2.0 : un chemin vers la renaissance

Face à cette double pression – perte d’influence réelle et compétition technologique – une réponse s’impose : se doter d’un véritable réseau syndical digital, structuré, interactif, permanent.


Il ne s’agit pas simplement d’ouvrir une page Facebook ou d’alimenter un site web vitrine. Il s’agit de bâtir une stratégie de présence, de capillarité, d’écoute active :

  • Créer des applications mobiles syndicales avec FAQ juridiques, notifications personnalisées, messagerie sécurisée.
  • Organiser des sondages flash anonymes pour identifier les attentes, mesurer les tensions, nourrir les revendications.
  • Développer des groupes d’échange en ligne (par métier, site, collectif) avec modération syndicale.
  • Maintenir une relation directe et récurrente via les smartphones qui centralisent désormais 70% des échanges d’information (notifications push, vidéos pédagogiques, lives d'information).
     

Et surtout, à partir de la démultiplication des échanges numérisés, capter des millions de données permettant de maîtriser les grandes tendances et redevenir ainsi un acteur incontournable dans les débats.

Des freins puissants à lever

Mais cette mutation rencontre de lourdes résistances :
 

  • Un sous-investissement chronique : les syndicats manquent de moyens. Or, développer des outils numériques efficaces exige des compétences, des ressources, des budgets.
  • Un effet générationnel réel : les directions syndicales sont encore majoritairement issues d’une génération peu formée aux usages numériques. Au-delà des boucles WhatsApp, peu perçoivent tous les enjeux liés à la construction d’un véritable réseau syndical numérique, fondé sur une stratégie de présences et d’interactions permanentes. Les leaders syndicaux sont comme tout un chacun éclairés par leur propre expérience, mais ici celle-ci est bien impuissante à leur donner une boussole et une large majorité d’entre eux reste persuadée à ce jour qu’avec de la « tchatche » ils parviendront à leur fin. 
  • Une culture de silo persistante : chaque structure, chaque fédération, chaque confédération avance à son rythme. Il manque une mutualisation des expériences, une architecture commune, un socle partagé.

Technologia et les outils numériques « anthropocentrés »

Depuis sa création en 1989, Technologia s’est donné pour mission de mettre la technologie au service des humains. Le choix du nom n’est pas anodin : face à la montée en puissance des progiciels de gestion et des systèmes informatiques qui, hier, ont commencé à impacter négativement les conditions de travail, notre action a toujours privilégié une approche centrée sur l’humain. Aujourd’hui, avec l’émergence de l’intelligence artificielle, cette mission prend une dimension encore plus cruciale. Au-delà des suppressions de tâches, l’IA entraînera une mutation profonde des emplois eux-mêmes, et même une suppression massive d’emplois dans certains secteurs… l’altération des capacités cognitives de la majorité de la population se fait déjà ressentir. 


Face à cette menace, Technologia propose des applications opérationnelles et incontournables, conçues pour accompagner salariés, représentants du personnel et syndicats dans la compréhension et la gestion de ces transitions. Ces outils permettent notamment de :
 

  • Faciliter l’accès à l’information juridique et sociale par des interfaces adaptées (fonction FAQ)
  • Faciliter la communication en direction des adhérents et des salariés, avec le support de spécialistes dans le domaine, des Community managers
  • Réaliser des sondages (fonction sondage)
  • Favoriser un dialogue constructif entre les différents acteurs (fonction chat)
  • Aider à mieux comprendre les situations de travail et les enjeux économiques par l’analyse des données
     

Les organisations syndicales doivent se doter de « data analysts » car les données sont essentielles dans les processus de compréhension des phénomènes et donc de négociation.


C’est vital !!! Aucune organisation économique, politique, activistes… ne peut envisager d’être au-devant de la scène sans une approche numérique structurée !
Par ailleurs, les organisations syndicales doivent revoir leur rapport à l’expertise. Les directions sont bardées d’experts stratégiques, techniques, juridiques… Il faut combiner les forces entre celles issues des compétences internes et celles externes.


Prenons l’exemple de la complexité des analyses stratégiques qui conduisent à l’émergence des risques psychosociaux dans grand nombre d’entreprises en restructuration permanente. Ce n’est pas en « dénonçant des situations de détresse que l’on se fait toujours entendre » Les directions des ressources humaines tente le plus souvent de relativiser si ce n’est disqualifier la parole du leader syndical : ‘votre jugement repose sur l’avis de dix personnes que vous avez croisées dans les couloirs’. En revanche, un expert peut déployer des outils plus puissants, démultipliant les données analysées aboutissant d’une part à une analyse quantifiée des risques. Il peut proposer une comptabilité analytique des risques psychosociaux afin de permettre de mesurer les externalités négatives liées au mode d’organisation et de management.


D’autre part, l’expert s’appuyant sur l’analyse des données peut questionner la stratégie de l’entreprise qui ne peut se faire qu’avec l’adhésion des salariés. C’est la notion de leadership qui est remise en question, au service des salariés et des entreprises qui les emploient.


Le syndicalisme d’aujourd’hui doit conjuguer tradition et innovation. Dans un monde aussi complexe et mouvant que celui du numérique et de l’intelligence artificielle, il est essentiel de bâtir des réseaux d’expertise ouverts, pluridisciplinaires et renouvelables. Afin de permettre aux syndicats de ne pas rester isolés, de croiser les regards, et d’anticiper les défis à venir avec davantage de robustesse et d’agilité. C’est une voie exigeante, mais indispensable pour préserver la place des travailleurs dans la société et pour continuer à défendre efficacement leurs droits, dans un monde où la technologie ne doit jamais devenir une fin en soi, mais un moyen au service de l’humain.

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