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10 / 05 / 2021 | 328 vues
paul santelmann / Membre
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Réformer le mode de scrutin aux élections syndicales : une exigence face à un émiettement qui s’aggrave

La récente consultation électorale nationale en matière de représentativité syndicale dans les TPE a vu une participation de 5,4 % (soit 257 000 suffrages exprimés pour 4,9 millions d’inscrits) qui s’est dispersée sur 11 syndicats. Le pôle « réformiste » (CFDT, UNSA, CFTC) a rassemblé 98 314 votes, le pôle « contestataire » (solidaires, CGT, CNT-SO) a mobilisé 83 688 votes ; quant à FO et la CFE-CGC qui oscillent entre réformisme et contestation, ils ont capitalisé 45 490 votes. Enfin, la Confédération autonome du travail (CAT), le syndicat des travailleurs corses (STC) et le syndicat anti-précarité (USAP) ont rassemblé 6 885 votes, auxquels il faut ajouter une quinzaine de syndicats professionnels ou locaux qui ont obtenu 22 731 votes. Parmi ces dernières organisations, notons que les syndicats des assistants maternels et familiaux (SPAMAF et CSAFAM) ont réuni 17 888 votes, soit davantage que la CFTC ou solidaires.



Concernant les cinq syndicats représentatifs du point de vue de la loi, leur audience pour 2017-2021 se répartit comme suit : 30,33 % pour la CFDT, 28,56 % pour la CGT, 17,93 % pour la CGT-FO, 12,28 % pour la CFE-CGC et 10,90 % pour la CFTC. Ce faible taux de syndicalisation prend ses racines dans la difficulté pour les salariés de pénaliser cette logique incompréhensible de fragmentation autrement que par la « désertion ». En effet, le mode de scrutin proportionnel, décidé par l’État dans l’immédiat après-guerre (voir à la fin de cet article), qui permet aux salariés des entreprises d’élire leurs représentants, a entretenu et aggravé cette situation. D’autant que la présence de délégués syndicaux, nommés par les syndicats représentatifs, et la possibilité pour des salariés non syndiqués d’être élus à l’occasion d’un second tour en cas d’un taux d’abstention de plus de 50 % au premier tour accentue ce brouillage de légitimité.

 

Représentation des salariés, où en est-on ?

 

Environ 630 000 salariés exercent un mandat de représentant des salariés (dont plus de 90 000 sont uniquement délégués syndicaux ). Par ailleurs, 44 % de l’ensemble sont non syndiqués, notamment dans les PME. La DARES souligne que, interrogés sur leur non-adhésion à un syndicat, « 42 % des élus sur des listes non syndicales déclarent ne pas avoir besoin d’adhérer à un syndicat pour se défendre et 33 % invoquent l’absence de section syndicale dans leur entreprise ». 


Aujourd’hui, un délégué du personnel peut être délégué syndical et, le cas échéant, délégué syndical central et représentant syndical au comité central d’entreprise. Le mandat de délégué du personnel est également cumulable avec le mandat de représentant de section syndicale.


En règle générale, le cumul des mandats est facultatif mais la loi l’impose dans les entreprises de moins de 50 salariés. Le cumul de fonctions entre délégué syndical (ou représentant de la section syndicale) et délégué du personnel est obligatoire. Dans ces entreprises, les syndicats représentatifs ne peuvent désigner qu’un délégué du personnel comme délégué syndical pour la durée de son mandat. De même, les syndicats non représentatifs ne peuvent désigner qu’un délégué du personnel en qualité de représentant de la section syndicale. En l’absence de délégué du personnel, cette désignation n’est pas possible : la possibilité de désignation est donc liée à un cumul de fonction. Il est néanmoins possible de désigner un délégué du personnel élu en tant que candidat libre comme délégué syndical. Le moins que l’on puisse dire est que ce système est devenu abscons et ne fait qu’entretenir la désintérêt des salariés de base (ouvriers et employés).
Jusqu’en 2017 il y avait quatre instances de représentation des salariés : les délégués syndicaux (DS), les délégués élus du personnel (DP), les comités d’entreprise et les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). En septembre 2017, les trois dernières instances ont été fusionnées par ordonnance gouvernementale pour créer un comité social et économique (CSE) supposé décloisonner les thématiques gérées par les anciennes institutions (DP, CE et CHSCT). Cette unification de la structure des élus du personnel n’a d’intérêt que si elle permet de clarifier le système, de mieux légitimer le rôle du syndicalisme et de permettre aux salariés d’être représentés par une majorité homogène d’élus face à l’employeur. 

 

Mettre fin au scrutin proportionnel

 

Une réforme de la représentation des salariés incombe à l’État qui, pendant longtemps, s’est gardé d’un dialogue trop dynamique préférant un syndicalisme oscillant ente la protestation et l’intégration institutionnelle. La récente tendance d’une partie de la puissance publique à créer les conditions d’une responsabilisation des partenaires sociaux (réduction des conventions collectives, création du CSE et transfert de l’apprentissage au branches professionnelles) ouvre la voie à d’autres réformes favorisant notamment le dialogue social d’entreprise et la revitalisation du mouvement syndical.



Ainsi, le scrutin proportionnel est devenu obsolète et source d’impuissance et de déresponsabilisation des syndicats. Mais il est surtout un vecteur de marginalisation de la parole des 20 millions de salariés du secteur marchand dans les enjeux de transformation du travail (numérique, défi écologique, nouvelles organisations, télétravail, reconnaissance des compétences des moins qualifiés etc.).


Il est grand temps de remettre à plat les modalités en place de représentation des salariés afin de revaloriser le rôle des élus par rapport aux délégués nommés et de créer les conditions d’une clarification positive du rôle des syndicats. Cette perspective repose sur un changement radical qui consiste à passer au scrutin majoritaire à un tour où le syndicat qui arrive en tête de l’élection obtient la majorité des élus au sein du CSE, les autres syndicats se partageant les mandats restants. 


Le scrutin majoritaire a pour vertu d’obliger le futur syndicat « élu » à porter un ensemble de revendications et de propositions prenant en compte tous les enjeux des différents services et métiers de l’entreprise. Il permettrait aussi de simplifier les dispositions actuelles qui régissent les accords d’entreprise soumis au poids des délégués syndicaux (non élus) et à la nécessité d’une coalition de syndicats représentatifs représentant plus de 50 % des suffrages exprimés au premier tour des élections des titulaires au CSE. 


Le scrutin majoritaire suppose de revisiter toutes ces dispositions en fonction des tailles d’entreprise et faire perdre le monopole de négociation des délégués syndicaux dès lors qu’ils sont présents. Même si les ordonnances Macron ont élargi et renforcé les modalités de négociation dans les entreprises dépourvues de délégué syndical , le système majoritaire permettrait de légitimer le vote des salariés et de repositionner les délégués syndicaux dans un rôle d’animation des sections syndicales, tout en pouvant cumuler cette fonction avec celle d’élu au CSE. Le DS pourrait donc bénéficier d’un double adoubement dans ce cas (par le syndicat et les salariés). La nécessité de conserver des DS tient d’abord à la reconnaissance du droit syndical dans l’entreprise et non à un monopole de représentation des salariés face au patron. Certes, si le gouvernement, le Parlement et la partie réformiste du syndicalisme n’ont pas la volonté d’engager un débat sur une réforme radicale des modalités de représentation des salariés, la fuite en avant dans une logique stérile de confrontation sociale s’imposera.

 

Un peu d’histoire…

 

Le choix de l’immédiat après-guerre du scrutin proportionnel aux élections des délégués aux comités d’entreprise (CE) et des délégués du personnel était supposé permettre à la très minoritaire CFTC d’avoir des délégués face à une CGT très puissante. Mais cette option sous-estimait d’emblée la capacité des salariés à peser sur le mouvement syndical lui-même. 


La démocratie ouvrière a été confondue avec le pluralisme syndical, comme l’illustre l’argumentaire de l’époque de Jean-Paul Murcier de la CFTC (futur dirigeant de la CFDT) : « La représentation proportionnelle, à l'encontre de ce que pensent ses adversaires, qui y voient un dissolvant de l'unité ouvrière, doit donc aider à créer cette atmosphère de confiance réciproque et de collaboration mutuelle qui, dans les tâches quotidiennes, scellera l'union du personnel au sein des entreprises et décuplera la portée de son action ».


Dans la même revue, Georges Delamarre (de la minorité FO encore au sein de la CGT) insistait sur les effets pervers du mode de scrutin proportionnel : « ... le scrutin proportionnel aura pour résultat d'empêcher la représentation des secteurs vitaux de l'entreprise, sous le seul prétexte qu'ils occupent des effectifs moins importants. De même, certaines catégories (employés, ingénieurs et ouvriers d'entretien) pourront se trouver éliminées. Ceci est un non-sens, aussi bien pour les élections concernant les délégués du personnel, que pour celles concernant les comités d'entreprise. En effet, s'il y a nécessité pratique pour le premier organisme à ce que toutes les catégories de personnel soient représentées, il y a nécessité technique à une représentation reflétant la structure de l'entreprise, pour que les CE puissent fonctionner efficacement (...) le scrutin proportionnel ouvre la porte aux surenchères démagogiques et crée ainsi un climat défavorable aux réalisations constructives ». Pourtant, la CGT et FO, hostiles au système proportionnel, s’en accommoderont malgré une spirale délétère qui a mené à la fragmentation et à la dispersion du mouvement syndical dès les années 1960.

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