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06 / 10 / 2020 | 182 vues
Philippe Charry / Abonné
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Orange : « Accepteriez-vous que votre espace de travail soit mis à la disposition d’autres salariés ? »

Tout le monde y va de ses prévisions pour « le monde d’après ». Allons-nous tirer les leçons de la pandémie ? Allons-nous protéger et renforcer le système de santé, les services publics et la protection sociale ? Intégrer les enjeux climatiques et environnementaux, faire de la justice et du progrès social des priorités ? Ou allons-nous, au contraire, poursuivre une fuite en avant mortifère pour l’humanité et pour la planète ? Concrètement, en Europe, l’aide aux économies nationales ou sectorielles sera-t-elle conditionnée à la poursuite de politiques d’austérité et de destruction des services publics menant à cette catastrophe ? Dans le monde du travail, tiendrons-nous compte des avertissements infligés par la crise sanitaire ?
 

Un virage serré mal appréhendé

 

Chez Orange, au début du confinement, le PDG avait répondu à nos interpellations sur le futur environnement du travail : la crise sera bien évidemment prise en compte. Le covid-19 ayant mis la nocivité des « open-spaces » et du « flex-office » climatisés en évidence, véritables pépinières à microbes et à virus, nous pouvions espérer que la raison l’emporterait sur le diktat de la réduction des coûts immobiliers.

Aujourd’hui, la course aux économies semble revenir en force. Manifestement, la direction prépare le personnel à ne plus avoir de poste attitré. Ainsi, sous divers prétextes, dans plusieurs entités, les salariés de retour sur site ne sont pas autorisés à retrouver leur poste de travail.
 

Un récent sondage sur le télétravail pose des questions pour le moins orientées telles que : « accepteriez-vous que votre espace de travail soit mis à disposition d’autres salariés ? ». La première priorité proposée concernant l’évolution des espaces de travail est : « des positions de travail individuelles partagées car moins occupées et une réallocation au profit d’espaces collectifs et de convivialité (espaces collaboratifs, modulables, cafétéria..) ».
 

La ficelle est énorme et ça promet pour la négociation à venir pour « actualiser » l’accord sur le télétravail ! Nous redoutons que la direction ne tente de remettre nos acquis en cause comme elle l’a fait pendant le confinement et le déconfinement, en instrumentalisant ces derniers.
 

Cette période a été émaillée de décisions contestables, assorties d’une communication en dents de scie (à l’image, il est vrai, des revirements gouvernementaux). Tout cela avec un souverain mépris des syndicats et des IRP, ce qui a sans doute contribué à fortement dégrader les relations sociales.

 

Premières dispositions : les agents ont le dos large !

 

Il y a d’abord eu la volonté d'imposer 6 JTL (RTT) pendant le confinement, ce qui était permis par les ordonnances issues de l’état d’urgence, en plus de l’écrêtement de jours impossibles à prendre pendant cette période etc. Une raideur aussi martiale qu’infondée dans la gestion des congés, les déclarations présidentielles sur la guerre contre le virus y incitant.

 

Alors qu’une souplesse renouvelée aurait montré la confiance accordée aux salariés et à leurs managers, à leur sens des responsabilités et à leur attachement à l’entreprise. Nous l’avons dit à la direction, nous n’avons pas été entendus. Le travail à domicile contraint adopté dans l’urgence, 5 jours sur 5, dans des conditions souvent très dégradées a également été très mal accompagné.
 

Il a fallu se battre pednant des semaines pour obtenir le principe d’une indemnisation des frais inhérents au travail à domicile, prime présente dans l’accord sur le télétravail. Celle-ci a été réduite à 30 euros bruts pour les seuls deux mois de confinement alors que le télétravail reste pour beaucoup pratiqué jusqu’à fin août et au-delà.
 

Ce n’est qu’un exemple significatif du mépris avec lequel les télétravailleurs ont été traités. Une fois encore, les femmes ont été les plus malmenées.

 

Pour ne prendre qu’un exemple, les 6 JTL à prendre pendant le confinement n’ont pas été proratisés au temps partiel. La direction a répondu à nos demandes pressantes : « c’est leur choix » ! Or, le temps partiel est bien souvent subi et, très majoritairement, féminin. Tout cela a débouché sur un échec de la négociation sur l’accompagnement de la crise.
 

Ajoutons également une décision aussi unique qu’inique, incluant en plus l’attribution parcimonieuse, opaque et injuste d’une « prime covid-19 » à moins de 8.000 salariés sur les 80.000 engagés dans la sauvegarde d’Orange, de ses activités et de ses missions essentielles pour le pays.

 

Après la dramatisation de la « reprise » pour justifier les décisions sur les congés, le psychodrame de la situation commerciale et financière, malgré la confirmation de bons résultats, a été le leitmotiv pendant toute la négociation salariale qui n'a débouché sur rien.
 

Toutes les organisations syndicales refuseront de signer un projet d'accord indigne.
 

À noter que la direction s’est glorifiée de ne pas recourir au chômage partiel pour justifier toutes ses autres mesures. Or, à l'issue du confinement, elle a pris la peu glorieuse décision (discrète mais bien réelle) de pousser les parents sans solution de garde vers le chômage partiel.

 

Alors comment se traduira « être Orange demain » ?

 

Un détour par la villa Bonne Nouvelle, au top des futurs modes de travail, n’est pas inintéressant. Pour répondre au constat que 76 % des Français ont regretté leur bureau après dix jours de confinement, ses ingénieux ingénieurs ont planché sur le thème « l’entreprise se réinvente, ses bureaux aussi ».

 

Ils préconisent de vieilles recettes comme l’éclatement du travail en plusieurs lieux et l’accélération du nomadisme mais aussi cette nouvelle création : un double numérique immobilier et un avatar du salarié qui pourra interagir virtuellement avec les environnements de travail, les collaborateurs et les managers.

 

Il est certain que des avatars de salariés évoluant dans des bâtiments virtuels fait sérieusement baisser le coût de l'immobilier devenu le « principal levier pour faire face à une nouvelle contrainte économique, de leur propre aveu.
 

Notre organisation syndicale demandait à revenir à des modes de travail sécurisants ; la réponse ici est d’aller encore plus loin et plus vite dans la déshumanisation. On nous rétorquera qu’il ne s’agit que d’élucubrations de geeks hors sol.
 

Lors du remaniement du comité exécutif mi-juin, le communiqué de la direction a expliqué que la « nouvelle équipe sera engagée autour de Stéphane Richard pour accélérer la mise en œuvre du plan stratégique du groupe ».
 

Ce que la directrice d’Orange France a confirmé, en lançant « quatre chantiers pour construire l’après-crise sanitaire » fin juin. Il n’y a donc aucune marge de manœuvre pour ajuster la stratégie du groupe, nos priorités aux effets de la crise, notamment pour aménager nos trajectoires financières.

 

Alors quelle sera la place laissée à l’humain dans ces chantiers ?

 

Quoi qu’il leur en coûte, les salariés devront-ils continuer de se conformer à ce qui leur est présenté comme impératif et indiscutable, comme ils ont dû le faire tout au long du confinement ? La première « piste de travail » du « think tank d’anticipation » mis en place par Fabienne Dulac part du constat que « seulement 25 % des salariés qui étaient dans l’entreprise en 2015 seront encore là en 2025 ».

 

C’est donc bien sur la capacité d’adaptation du personnel que les animateurs de ce laboratoire d’idées tablent pour atteindre leurs objectifs, pas sur des emplois et des moyens supplémentaires. Ils se proposent par ailleurs de « sortir des conventions » et de « casser les codes ». Mais nous rappelons qu’adaptabilité ne signifie pas ingénuité. Pas plus que les « salariés plus expérimentés », la jeune génération n’acceptera la dégradation de ses conditions de travail et le manque de reconnaissance. Plus que jamais, notre fédération est vigilante.

 

La direction annonce une « nouvelle organisation repensée après la période de crise sanitaire d’une ampleur inédite ». Pour nous, cette nouvelle organisation doit mettre les dimensions sociales, humaines et environnementales au centre de ses priorités.
 

Très concrètement, cela signifie dans l’immédiat d’abandonner les « open-spaces » et le « flex office », de contractualiser un nouvel accord sur le télétravail protecteur des droits et des conditions de travail, de favoriser le collectif et le lien social, de sanctuariser un dialogue social de qualité…

Cela doit également se traduire par une politique de rétribution ambitieuse avec, pour commencer, l’octroi d’une prime de reconnaissance de l’engagement de tous et une révision de la politique salariale.

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