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09 / 09 / 2020 | 472 vues
Jérémy Girard / Membre
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Mort programmée des prospectus : autant achever la filière graphique tout de suite

Déconfinement oblige, les Français ont progressivement vu le retour des prospectus publicitaires dans leurs boîtes aux lettres début juin. Une source d’informations et de promotions commerciales appréciée par les deux-tiers des Français, dans les grandes villes comme en zones rurales car synonyme de lien social et de bons plans commerciaux. Surtout pour les classes les plus défavorisées. Malheureusement pour celles-ci, ce retour pourrait ne durer que quelques mois seulement : l’écologie politique ayant le vent en poupe, un projet est aujourd’hui sur la table pour très largement limiter la diffusion des prospectus, dès janvier 2021.

 

La distribution de prospectus (avec la radio) fait pourtant partie des médias de proximité par excellence. Mais elle est dans le collimateur de certains députés écologistes, portés par l’aura des 149 propositions de la convention citoyenne pour le climat. En juillet dernier, ces derniers ont proposé 22 mesures susceptibles de « réduire les incitations à la surconsommation et les effets de la publicité ». Parmi ces mesures, l’instauration d’un autocollant « Oui Pub » pour remplacer l’actuel « Stop Pub ». Une mesure présentée comme juste mais qui, dans les faits, aurait un effet catastrophique sur l’équilibre économique de la distribution des imprimés sans adresse (dit « ISA »).

 

Le prospectus serait-il alors le « bouc-émissaire du green-washing » ? C’est bien ce que pense l’UNIIC (Union nationale des industries de l’impression et de la communication) : « L’UNIIC reste vigilante et ne manquera pas de rappeler les répercussions sévères qu’aurait la généralisation d’un tel dispositif (celui de la normalisation du « Oui Pub ») sur la filière dans son entier, tant en termes d’emplois que d’activité économique ». Car, oui, il s’agit bien de la survie de tout un secteur économique.

 

Menaces sur l’emploi

 

Si certains se réjouissent de la fin annoncée de cette distribution, le sort de nombreux professionnels de l’industrie graphique est aujourd’hui sur la sellette et la situation est grave. Le 14 avril dernier, en plein confinement, le président du Groupement des métiers de l’imprimerie (GMI), Christophe Lartigue, donnait ainsi déjà l’alerte dans une lettre directement adressée au Président de la République, Emmanuel Macron : « Un secteur est particulièrement touché, avec plus de 35 000 emplois et près de 3 000 entreprises. Il s’agit de l’industrie graphique. […] Aujourd’hui, toute notre filière est en danger. La crise sanitaire que nous traversons en ce moment fait fondre la trésorerie, directement liée à un chiffre d’affaires qui s’est écroulé de 80 % en moyenne depuis un mois ». Symbole de cette filière, le prospectus publicitaire (touchant 25 millions de foyers quotidiennement) est en danger de mort.

 

Le mot « danger » ressemblerait presque à un euphémisme. En amont, selon l’Obs-Commédia, les filières « création, impression, routage, transport et distribution » représentaient quelque 150 000 emplois directs en France, en 2016, salariés et freelances compris. D’après la Fédération de l’imprimerie et de la communication graphique (FICG), 80 % des entreprises de la filière graphique emploient en effet moins de 20 salariés. En 2012, quelque 6.200 entreprises ont réalisé 9,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Ces prospectus que l’on retrouve dans nos boîtes aux lettres ne sont que la partie visible de l’iceberg. La filière de la distribution à elle seule regroupe 17.000 personnes pour lesquelles ce « petit boulot » est vital, que ce soient des chômeurs entre deux emplois salariés, des gens non qualifiés ou des étudiants.

 

En aval, ce sont les commerces de proximité qui seraient les plus affectés par la disparition des prospectus publicitaires. Médias d’information directe par excellence, ils permettent en effet aux habitants d’être informés des promotions faites par les commerces, de petite taille voire plus grands, comme les supermarchés de quartier. Selon un baromètre sectoriel, les Français liraient en moyenne 6,9 courriers publicitaires chaque semaine. Toucher à ce média, c’est rompre le lien entre consommateurs (souvent en quête de bons plans et de promotions) et les commerçants qui souhaitent vendre leurs marchandises. Les effets seraient donc directs sur ces petits commerçants et sur l’emploi dans les TPE locales. « À l’heure de la numérisation, nous pouvons penser que l’imprimé publicitaire n’est plus efficace auprès du grand public ou qu’il serait délaissé au profit des moyens de communication numériques. Or, le courrier publicitaire est un média puissant, responsable, aimé des consommateurs et créateur d’emploi », martèle André Garcin, ancien chargé de mission auprès du Ministère de l’Économie.

 

De nombreuses formations touchées

 

L’industrie graphique (notamment celle des prospectus publicitaires) représente également un débouché pour de très nombreux jeunes diplômés en France car les formations sont nombreuses, selon la liste de l’ONISEP. Que ce soit via les bacs pro des métiers d’art (communication visuelle, marchandisage visuel, enseigne et signalétique, photographie etc.) ou via les formations supérieures (pré-presse, impression, sérigraphie, reliure et finitions etc.), des milliers de jeunes Français se destinent à l’industrie graphique chaque année.

 

Dans une enquête publiée fin juin, Paris-Match s’inquiétait du chômage, « fléau de la jeunesse » : « L’année s’annonce catastrophique, avec un chômage des jeunes d’une ampleur comparable au point haut (atteint fin 2012) des vingt dernières années et avec, en septembre, quelque 700.000 arrivants sur le marché du travail qui rencontreront des difficultés accrues par le gel des embauches. Même les plus diplômés n’échappent pas au marasme : selon l’Association pour l’emploi des cadres (APEC), les offres d’emploi pour les jeunes diplômés ont chuté de près de 65 % entre janvier et avril 2020, par rapport à la même période en 2019. Déjà, après la précédente crise de 2009, la France avait mis des années à faire baisser le chômage des jeunes, lequel avait été ramené à 19,4 % en décembre dernier ».

 

Dans ce contexte général, la filière des arts graphiques ne sera évidemment pas épargnée et toucher à l’un de ses principaux débouchés sur le marché du travail (avec la disparition de fait des prospectus publicitaires) aura des répercussions sociales et économiques désastreuses. Un luxe que ni la France ni les pouvoirs publics ne peuvent se permettre...

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