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14 / 05 / 2020 | 1364 vues
Thierry Mevel / Membre
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Licenciement d'un candidat aux élections sans autorisation de la DIRECCTE : audience le 26 juin 2020

Je n'aurais jamais imaginé que mon CDI était sous le feu des projecteurs pendant mes congés d’été, du 1er au 16 août 2016. En effet, j'ai appris à mes dépens que la période d'appel à candidature syndicale constitue un véritable danger pour les salariés désireux de devenir élus du personnel, ce qui a été mon cas, à l'occasion des élections du 16 septembre 2016 chez NXP à Caen (ex-Philips).

 

Cette période d'appel à candidature :

 

  • a débuté à la signature du protocole d’accord préélectoral (PAP), le 4 août 2016 ;
  • et s'est terminée à la date limite du dépôt des candidatures, le 29 août 2016.
     

Or il se trouve que NXP a décidé de me licencier pendant cette courte période (et moi seul), alors que mon syndicat CFE-CGC présentait justement ma candidature...

 

Résumé des faits

 

À la fin de ma journée de travail du 18 août 2016, l'employeur m'a informé avoir envoyé une lettre de convocation à un entretien préalable à licenciement éventuel (EPL), datée du 17 août 2016, à mon adresse postale. Interloqué, j'ai demandé si c'était lié à ma candidature syndicale. NXP m'a répondu : « On ne peut rien te dire avant l’EPL. Ça ne sera pas une faute lourde ». Effectivement en rentrant chez moi le 18 août au soir, j'ai découvert un avis de passage du facteur dans ma boîte aux lettres. Dans la foulée, mon médecin m'a placé en arrêt jusqu’au 28 août 2016. J'ai informé l'inspectrice du travail par téléphone le 26 août 2016. Cette dernière m'a expliqué que l'employeur commettrait une « infraction nette et claire » s'il devait procéder à un licenciement sans autorisation préalable de l'inspection. Elle m'a demandé de la tenir informée des suites de l'EPL.
 

Lors de l’EPL du lundi 29 août 2016, l’employeur m'a reproché une insuffisance professionnelle malgré mes excellentes évaluations annuelles depuis 18 ans dans le groupe. J’ai expliqué que les reproches étaient infondés et qu'aucun avertissement ne m'a jamais été adressé. J'ai cité des exemples, par exemple un courriel de la direction de juillet 2016 me félicitant des excellentes performances de mes lampes connectées (pour lesquelles je devais déposer un brevet). La direction a répondu que la décision qu'elle prendrait, qui « ne sera pas forcément un licenciement », me serait communiquée à compter du jeudi 1er septembre 2016. Confiant, j'ai repris mon poste de travail et j'ai poursuivi ma campagne électorale...
 

L'inspectrice du travail m'a dit par téléphone le 30 août 2016 qu'elle ne pouvait rien faire sans connaître la sanction et m'a proposé d'informer l'inspecteur en charge de NXP dès son retour de congé, le 1er septembre 2016.
 

Lors d'une réunion sous tension, le vendredi 2 septembre 2016 vers 14h30 et en présence d'un collègue témoin,  l’employeur m’a verbalement annoncé mon licenciement pour « insuffisance professionnelle » et m'a prié d'immédiatement et définitivement quitter la société ! Le témoin a pris ma défense, indiquant que mon travail était exemplaire et a ajouté que « la direction [était] violente avec Thierry ». De mon côté j'ai expliqué que l'employeur était en train de faire une bêtise. Je lui ai même proposé de déchirer ma lettre de licenciement et de « tout oublier ». En effet, comment accepter une éviction si brutale et injuste après 18 ans de bons et loyaux services rendus dans cette multinationale (*), au sein de laquelle j'ai toujours accepté les postes proposés, au prix de sacrifices personnels (en changeant trois fois de région) ?
 

Malgré tout, l'employeur a procédé à mon licenciement, sans recueillir l'avis du CE (CFDT et CFE-CGC) et sans demander l'autorisation à l’inspecteur du travail, c'est-à-dire en violant mon statut de « salarié protégé » dont je bénéficiais en qualité de candidat aux élections. L'employeur a donc délibérément commis une infraction pénale : articles L. 2431-1 à L. 2437-1 du Code du travail.
 

Sous le choc, je suis allé me réfugier dans une pièce, seul, quelque part dans l'entreprise. Personne ne s'est inquiété de savoir où j'étais. Avais-je quitté l'entreprise ? La direction a déclaré aux enquêteurs du CHSCT m'avoir cherché « partout dans l'entreprise jusqu'à 19h00 » ce vendredi soir mais sans me trouver. La direction a alors vérifié les entrées/sorties de mon badge. Résultat : « aucune trace de sortie ». Alors où étais-je ? Tellement abasourdi par ce coup de bambou du vendredi 2 septembre 2016, j'étais incapable de prendre la route pour récupérer mes enfants. Le matin du samedi 3 septembre 2016, mon médecin a constaté des lésions consécutives à la violente réunion de la veille et établi une déclaration d’accident du travail (DAT).

 

J’ai informé l’inspecteur du travail lundi 5 septembre 2016 par un document circonstancié. Mon manager m'a envoyé un texto lundi 5 septembre 2016, pas pour savoir ce qu'il était advenu de moi le vendredi 2 septembre au soir dans l'entreprise mais pour me réclamer la restitution immédiate de mon ordinateur portable professionnel. 

 

De la preuve datée du dépôt des listes de candidats

 

Quelques jours plus tard, j'ai décidé de saisir le Conseil de prud’hommes de Caen en référé. Entre temps, l'inspecteur du travail a adressé une lettre de rappel à la loi à NXP, le 12 septembre 2016. L'inspecteur a également demandé la preuve datée du dépôt des listes de candidats de chaque syndicat pour tous les établissements à NXP (Caen, Sophia, Toulouse et Saclay). Pour ce faire, l'employeur fourni les accusés de réception électronique par courriel (des preuves incontestables) de toutes les listes à l'inspecteur du travail, sauf de celle sur laquelle ma candidature figurait (CFE-CGC de Caen).
 

Pour ma candidature, l'employeur a transmis un papier non daté par le syndicat à l'inspecteur, sur lequel figurait la liste des candidats (dont moi), avec la mention manuscrite du DRH « remis en main propre le 24 août 2016 » (une preuve contestable). N'était-ce pas là « se constituer une preuve à soi-même » ?
 

Malgré deux radiations du rôle de mon affaire par le Conseil de prud'hommes, j'ai décidé de réintroduire mon affaire une troisième fois. Finalement, le juge (qui était le président général des prud'hommes de Caen, côté employeur) m'a débouté sous prétexte que ma saisine n'aurait pas relevé de l’urgence, m’invitant à « mieux me pourvoir au fond ».
 

La Cour d’appel de Caen ne l’a pas entendu de cette oreille et a jugé ma demande recevable en formation de référé, suite à une audience en novembre 2017.
 

Le problème est que l’employeur NXP a effrontément affirmé aux magistrats de la Cour d’appel ignorer ma candidature avant l’engagement de ma procédure du 17 août 2016 et également ignorer mon étiquette syndicale, ainsi que mon engagement syndical. Comme prétendue « preuve » de date de la connaissance de ma candidature par la direction, cette dernière a produit le papier précité non daté par le syndicat, affichant la date manuscrite du 24 août 2016 écrite de la main de l'employeur au tribunal.
 

Résultat : cette « preuve constituée à soi-même » fournie par NXP a dupé la Cour d’appel de Caen puisque cette dernière m'a débouté dans un arrêt de décembre 2017.
 

De manière non exhaustive, nous avons pourtant démontré que :
 

  • je travaillais dans un service de 60 personnes, dont le directeur n'était autre que le PDG (lequel a été mon N+1 en 2011). Nous échangions souvent. Je lui ai même parlé de ma candidature en juin 2016 ;
  • le représentant syndical CFE-CGC (collègue du même service) m’avait inscrit sur la liste des candidats pour les élections de septembre 2015, ces dernières ayant été reportées à 2016 pour cause de fusion mondiale avec notre concurrent Freescale (ex-Motorola) ;
  • afin de prendre part aux réunions syndicales, j'ai adhéré à la CFE-CGC en février 2016 ;
  • les 27 adhérents CFE-CGC (soit 10 % des effectifs à Caen), dont une directrice, ont immédiatement été informés de mon adhésion à la suite d'un courriel « maladroitement » envoyé par notre délégué syndical (DS) en mars 2016 ;
  • j’ai assisté aux réunions syndicales (avec uniquement des élus) tous les mardis dans un local situé à côté du service RH de mars à juillet 2016 ;
  • la DRH et le DS ont validé une formation syndicale CFE-CGC que j'ai suivie en juillet 2016 ;
  • la DRH et le DS ont signé un PAP à Saclay (en s'y rendant en covoiturage), le 4 août 2016 ;
  • le DS a envoyé l'ancienne liste 2015 des candidats aux 14 candidats (dont moi) par courriel, pour « la mettre à jour », le 5 août 2016 ;
  • j'ai envoyé une proposition de tract de campagne avec la mention « la CFE-CGC n'est pas pro-patronat ! », par courriel aux élus de Caen et de Toulouse, le 15 août 2016 ;
  • le DS a envoyé la liste « mise à jour » des candidats aux 14 candidats (dont moi) par courriel, le 16 août 2016, étant rappelé que ma lettre de convocation pour un EPL était datée du 17 août 2016.
     

Pour les fins limiers, le DS n'a pas pu retirer ma candidature car il savait que j'avais déjà pris connaissance de la composition des listes dès le 5 août, grâce à mes connexions à la messagerie professionnelle depuis mon domicile (afin de poursuivre ma campagne électorale pendant mes congés)...
 

Il a donc fallu que la direction imagine un stratagème avec la complicité du DS pour pouvoir me licencier malgré tout, sans passer par l'autorisation administrative. Il se passe de drôles de choses dans l'entreprise, y compris en plein mois août, lorsqu'on a le dos tourné...
 

À noter...
 

  1. Bien que le DS ait connu les adresses électroniques privées des 14 candidats, ce dernier a cru bon de leur envoyer la liste des candidats par voie de messagerie professionnelle @nxp.com, sans mentionner le terme « personnel » dans la la rubrique « objet », laissant ainsi tout loisir à la direction d'en prendre connaissance ;
  2. Le DS a refusé de m’envoyer son courriel de dépôt des candidatures adressé à l’employeur (modalité obligatoire fixée dans le PAP). De plus, « n'adhérant pas à ma réintégration », le DS m’a radié de son syndicat en novembre 2016, suite à une pétition signée par les élus CFE-CGC.
  3. L’employeur a bloqué mes accès à l’entreprise dès le 3 septembre 2016, m’empêchant de fait de poursuivre ma campagne électorale (badge et courriels bloqués).
  4. Je n’ai pas été élu aux élections du 16 septembre 2016, mon nom ayant subi le plus grand nombre de rayures dans les quatre établissements de NXP en France .
  5. Bien qu'élu pour quatre ans, le DS, lui, a quitté NXP en juillet 2017 avec le financement d'une formation de trois ans pour devenir praticien du shiatsu.

 

La DRH a quitté NXP juste après mon licenciement. J'ajoute que l'ex-DRH, Didier Bille, arrivé chez NXP pour remplacer la DRH qui venait de m'évincer (je suis sa dernière victime avant son départ), a eu connaissance de mon éviction. Didier Bille a également eu connaissance de mon accident du travail du 2 septembre 2016, en sa qualité de président du CHSCT de NXP à Caen...
 

Enfin, cerise sur le gâteau :
 

  • Didier Bille a témoigné de mon « exécution pour l'exemple » et a dit pourquoi il refusait de retravailler pour de tels employeurs dans une interview sur France 3 : Tout est bon pour licencier.
  • Mon histoire a fait l'objet d'un « émoi national » dans Envoyé Spécial de 2018, dont voici l'extrait de mon intervention à visage découvert : Chasse au syndicaliste.
     

Lors de l’audience de fond du 26 juin 2020, je veillerai à ce que l’employeur ne puisse pas alléguer que la liste des noms lui avait a été transmise sept jours après l’entretien préalable, comme cela a été le cas lors du procès de 2017 en référé. En effet, comme le confirme cet article d'Ouest-France de novembre 2017 , NXP a martelé les propos suivants lors l'audience de 2017 : « Quant à sa candidature aux élections, la liste des noms a été transmise sept jours après l’entretien préalable [du 29 août 2016] ».
 

  • En réalité ce n’est pas sept jours après mais quinze jours avant l'entretien : ça change tout !
     

(*) La division des semi-conducteurs de Philips a fait l'objet d'un LBO pour devenir NXP en 2007, société détenue, entre autre, par le fonds Blackrock.

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