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13 / 05 / 2025 | 15 vues
Jacky Lesueur / Abonné
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l'IA, nouveau défi RH pour la Fonction Publique

 "Profil Public", est une plateforme d'emploi créée avec notamment pour objectif de :
 

  • moderniser le recrutement dans le secteur public, en aidant les candidats à se projeter sur un poste qui leur correspond,
  • accompagner les organisations à valoriser leur identité employeur,
  • et diffuser des offres d’emploi attractives 

 

Dans sa dernière publication, Sigrid Berger, sa fondatrice insiste sur le fait que l’IA, l’automatisation et les réseaux sociaux transforment en profondeur le recrutement  et que ces outils ouvrent de nouvelles perspectives pour fluidifier l’expérience candidat, gagner en efficacité et mieux répondre aux attentes des talents.

 

A un moment où plus que jamais et de plus en plus , l'Intelligence Artificielle  s'installe dans tous les domaines et nourrit interrogations , voire inquiétudes, Yann Ferguson - docteur en sociologie à Inria et directeur scientifique du LaborIA  (*) un programme de recherche-action centré sur l’analyse des impacts de l’Intelligence Artificielle sur le travail, l’emploi et les compétences-  a livré ses réflexions à Léa Roux, Directrice Générale que nous reprenons avec l'autorisation de Profil Public.

 

Quel est le niveau d’intégration actuel de l’IA dans le service public ?

 

Certains ministères et grandes collectivités ont clairement pris de l’avance sur les enjeux liés à l’intelligence artificielle. Les premières institutions à s’être emparées du sujet l’ont fait dès la période pré-Covid, souvent à travers des expérimentations ciblées autour de cas d’usage concrets. Il s’agissait alors de développer un système d’IA pour répondre à une problématique précise. Par exemple, plusieurs collectivités ont utilisé l’IA pour anticiper le nombre de repas à préparer dans les cantines scolaires, afin de limiter le gaspillage alimentaire. Du côté de l’État, le ministère de l’Économie et des Finances joue aujourd’hui un rôle moteur, avec des solutions d’IA déjà déployées, notamment dans le champ du contrôle fiscal.


Résultat : un contrôle fiscal sur deux en entreprise est désormais déclenché à partir d’un schéma de fraude détecté par l’IA.

 

Ce type d’usage diffère fortement de celui de l’intelligence artificielle générative, dont on parle beaucoup aujourd’hui. Plus généraliste, cette technologie assiste les agents publics dans un large éventail de tâches quotidiennes. Son émergence a toutefois marqué un tournant : elle a fortement accéléré l’intérêt pour le sujet dans l’ensemble du secteur public.

 

Désormais, des collectivités de toutes tailles s’emparent de la question, souvent en dehors des cadres officiels. On assiste à l’essor d’une “shadow AI” : des usages spontanés par les agents publics d’outils non validés par les directions des systèmes d’information (DSI). Cette dynamique soulève des enjeux importants de sécurité des données, mais aussi de gouvernance et de sensibilisation aux bons usages.

 

Les grands enjeux RH soulevés par l’IA ?

 

L’IA fait émerger plusieurs défis RH, dont plusieurs sont communs au secteur privé et d’autres spécifiques ou portés avec davantage d’acuité au sein de la fonction publique. 

 

Un objectif commun émerge clairement : former massivement les collectifs de travail. Aujourd’hui, on est beaucoup dans l’incitation, de plus en plus d’institutions publiques organisent des journées de sensibilisation et d’acculturation et/ou qui passent à la vitesse supérieure autour de la formation facultative pour tous mais obligatoire pour les manageurs de proximité.  Ce mouvement marque un vrai passage à l’action et illustre une dynamique de massification de la formation sur les fondamentaux de l’IA. Sur ce point, la fonction publique ne présente pas de retard notable par rapport au secteur privé.

 

Le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) en est un bon exemple : il vient de lancer une série de modules de formation de six heures, dont deux consacrées aux fondamentaux, deux à des cas d’usage concrets pour les collectivités, et deux à des enjeux de société. C’est une approche structurée et adaptée aux besoins du terrain.

 

Quels besoins émergent du côté des agents ?

 

La demande monte en puissance du côté des agents publics, notamment autour de l’usage du prompt. Ils souhaitent apprendre à “passer commande” à l’IA générative, à mieux formuler leurs requêtes. Cela implique de faire émerger deux nouveaux gestes professionnels : la qualité de la requête et la capacité à contrôler et évaluer les réponses produites par l’IA. 

 

L’IA fait émerger une question importante :  que signifie “l’esprit critique” lorsque l’on est fonctionnaire ?

 

Former à l’IA, c’est aussi développer l’esprit critique. Il s’agit d’apprendre à formuler les bonnes questions, mais aussi à critiquer les réponses. Or, ce n’est pas un réflexe spontané dans nos organisations bureaucratiques. Cela soulève une question essentielle : que signifie réellement “développer l’esprit critique” quand on est fonctionnaire ?

 

Les points d’attention spécifiques à la fonction publique ?

 

Parmi les nombreuses questions soulevées par l’intelligence artificielle, celle de l’éthique occupe une place centrale, en particulier dans la fonction publique. L’éthique, ce n’est pas arbitrer entre le bien et le mal, c’est trancher entre plusieurs solutions en fonction du contexte. Et dans ce choix, le cadre de référence varie : on ne juge pas de la même manière quand on vise la rentabilité que lorsqu’on agit au nom de l’intérêt général.

 

L’éthique de l’IA préserve le sens du travail et la confiance dans l’action publique.

 

Dans le secteur public, cette exigence éthique est fondamentale. Elle est au cœur de la mission de service public, et elle fonde le sens que les agents donnent à leur travail, guidés par l’utilité sociale de leur action. Lorsqu’un système d’IA porte atteinte à ce sens – par des biais, un impact environnemental mal maîtrisé, ou l’usage de solutions non souveraines – c’est toute la chaîne qui se dégrade : la qualité du service, l’engagement des agents, et in fine, la confiance des citoyens. Car l’institution ne se contente pas de délivrer un service, elle incarne notre contrat social. Si cette incarnation vacille, c’est le lien social lui-même qui s’effrite. Le véritable défi RH consiste donc à intégrer ces enjeux éthiques dans le pilotage des transformations.

 

Les principaux risques à anticiper ?

 

Un autre enjeu RH concerne l’alignement en matière de transition écologique et numérique. Cet impératif de cohérence n’est pas seulement stratégique : c’est une nécessité pour garantir la cohérence de la mission d’intérêt général, la crédibilité de l’institution, mais aussi pour donner du sens au travail des agents.

 

Il serait difficilement compréhensible, par exemple, de faire de la transition écologique une priorité institutionnelle… tout en ajoutant une exception discrète : *sauf pour le numérique et l’intelligence artificielle. Une telle dissonance affaiblit le sentiment d’utilité des agents, leur volonté d’être une partie de la solution et pas du problème. À terme, elle peut engendrer une véritable souffrance éthique.

 

D’autres risques de perte de sens au travail ?

 

La quête de performance portée par l’intelligence artificielle ne doit pas prendre excessivement le pas sur le référentiel qualitatif du service public. Il est essentiel de trouver un juste équilibre. Le discours dominant sur l’IA met en avant la productivité. Mais dans la fonction publique, il ne s’agit pas de soutenir un discours uniquement porté sur l’efficacité du travail des agents. Il s’agit aussi – et surtout – de défendre l’impact de l’IA sur le sens de la mission publique.

 

Aujourd’hui, dans les collectivités, environ 30 % des usages de l’IA concernent l’organisation du travail des agents, tandis que 70 % sont orientés vers les missions de service public : optimisation des consommations énergétiques, gestion de l’espace public, ou encore préservation de la ressource en eau.

 

Il me semble qu’il est important de porter le message d’une IA capable d’améliorer la société plutôt que d’insister sur le fait qu’elle permet de rendre davantage de dossiers à l’heure. 

 

Ces mutations peuvent-elles contribuer à l’attractivité du service public ?

 

À condition, bien sûr, que l’introduction de l’intelligence artificielle ne vienne pas freiner les perspectives d’évolution en interne. Car l’IA, par nature, oblige à repenser les trajectoires professionnelles. Cela suppose d’évaluer finement son impact sur le « coût d’entrée » des métiers : quels savoir-faire seront nécessaires demain pour accéder à un poste ? Et que fait-on du temps que l’IA permet de gagner ? En profite-t-on pour tendre vers plus de flexibilité ou maintient-on une culture du présentéisme ?

 

Ces questions ne sont pas anecdotiques. Elles redessinent en profondeur les contours des missions, l’équilibre des tâches, les conditions d’évolution, et jusqu’à la culture même du travail au sein des institutions.

 

Quelles attentes du côté des jeunes générations ?

 

C’est auprès des plus jeunes que l’usage de l’intelligence artificielle est le plus marqué. En France, 70 % des utilisateurs de ChatGPT ont moins de 25 ans. Pour 65 % d’entre eux, la place de l’IA dans leur futur environnement de travail pèsera lourd dans le choix de leur premier employeur. La raison est simple : la moitié reconnaît qu’il leur serait difficile de se passer de l’IA pour certaines tâches.

 

Dans cette même tranche d’âge, on retrouve aussi celles et ceux dont le métier est justement l’IA : data scientists, ingénieurs en machine learning, analystes… Des profils très recherchés, qu’il devient essentiel d’attirer vers le secteur public. Pour certains d’entre eux, mettre leurs compétences au service de l’intérêt général a du sens, surtout dans un contexte où la tech connaît une remise en question de ses valeurs. Pour séduire ces talents, la fonction publique doit valoriser le sens de sa mission. 

 

(*) Créé à la fin des années 1960, Inria incarne une volonté forte de construire une souveraineté française et une autonomie stratégique autour de ces enjeux.

Depuis novembre 2021,Yann Ferguson dirige scientifiquement le LaborIA, un laboratoire de recherche-action né d’un partenariat entre Inria et le ministère du Travail et de l’Emploi.

Sa mission principale : produire des connaissances sur l’intégration de l’intelligence artificielle dans les environnements de travail. En complément des approches macroéconomiques ou strictement expérimentales, il se concentre sur l’observation de situations concrètes, actuelles, vécues.

Son  regard porte sur les impacts de terrain, les perceptions des professionnels, et les transformations en cours. 

 

Documents à consulter:

 

  • Recruter à l’ère de l’IA et des réseaux sociaux dans la fonction publique

C’est dans cette dynamique que Profil Public, plateforme d’emploi dédiée au secteur public, avec le soutien de la Casden Banque Populaire, que nous publions ce nouveau guide employeur : “Recruter à l’ère des réseaux sociaux et de l’IA dans la fonction publique“. Ce guide est un appel à l’action. Il propose des pistes concrètes pour avancer collectivement vers un recrutement public moderne et attractif.

 

  •  Guide d’usage de l’IA dans la fonction publique d’Etat

 

La Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) a publié un guide encadrant l'intégration de l'IA dans la gestion des ressources humaines de la fonction publique d'État. Ce guide identifie cinq usages fortement recommandés, tels que l'analyse des enquêtes internes et la rédaction de fiches de poste, tout en proscrivant des applications sensibles comme l'analyse des relations entre collègues ou les entretiens vidéo automatisés. ​

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