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03 / 01 / 2022 | 585 vues
Jacky Lesueur / Abonné
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« Les frais de gestion sauvent des vies » - Jean-Paul Benoît, président de la FMF

Jean-Paul Benoît, président de la Fédération des mutuelles de France, revient longuement sur les questions posées à la protection sociale aujourd’hui. Il dénonce les voies sans issue d’un débat caricatural et mal informé. Il formule des pistes pour améliorer le niveau et la qualité de la sécurité sociale de la population, véritable ciment d’une société démocratique.

 

Le gouvernent a commandé un rapport sur l’avenir de l’Assurance-maladie obligatoire et complémentaire au Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM). L’un des scénarios envisagés par le Haut Conseil a été médiatiquement surexposé, celui bâti sur une « grande Sécu » se substituant totalement ou partiellement aux mutuelles. Mais avant même la finalisation du rapport, le Président de la République et le Ministre de la Santé ont annoncé l’abandon de cette piste. Comment interprétez-vous cet échec ?

Jean-Paul Benoît : Vu de l’extérieur, cet épisode peu glorieux peut interroger et renvoie l’image d’un pouvoir qui fait preuve d’une légèreté inquiétante sur un sujet crucial : la protection sociale de la population et le droit à la santé. Quel était l’objectif de cette proposition claironnée dans tous les médias puis visiblement retirée ? Aux Mutuelles de France, nous sommes convaincus que le gouvernement n’a jamais eu l’intention d’accroître le niveau de couverture sociale en France, malgré la pandémie que nous traversons. Les dogmes ont la vie dure, à l’Élysée, avenue de Ségur et à Bercy. Pour « agrandir » la Sécurité sociale, il faut mettre de l’argent sur la table. Dès le mois d’août, le Ministre de l’Économie et des Finances a sifflé la fin de la récréation. D'ailleurs, Bruno Le Maire a choisi l’endroit puisqu’il a martelé « le ”quoi qu’il en coûte”, c’est fini » devant  l'université du MEDEF.

 

Mais cette « manip », comme on dit familièrement, n’est pas un échec. Le gouvernement entendait d’abord dissimuler ses insuffisances face aux enjeux d’accès aux soins par une opération médiatique : aucune des crises qui secouent le système de santé depuis longtemps maintenant (crise de la médecine de premier recours, crise de l’hôpital public et crise des EHPAD) n’a trouvé l’amorce d’une solution durant ce quinquennat. Pas plus que la déstabilisation de notre système de protection solidaire. On voit bien que pareils échecs sont difficiles à assumer, alors ils ont préféré faire diversion. Cette tactique avait un autre « avantage », celui d'à nouveau jeter l’opprobre sur les mutuelles leur faisant porter, aux yeux de la population et singulièrement des retraités, la responsabilité de l’augmentation du coût de la complémentaire de santé. Vous voyez, ce projet mal calibré et avorté avant d’être finalisé a permis de rouvrir les procès en sorcellerie sur ce que l’on appelle nos frais de gestion.

 

Pourtant, ces « frais de gestion » sont bien un problème…

J.-P. B. : Il y a un véritable enfumage sur ces questions. Sous prétexte de comparer des pourcentages de frais de gestion entre le régime obligatoire et le régime complémentaire, on compare des chevaux et des alouettes et on en déduit opportunément que les organismes complémentaires gèrent moins bien que le régime obligatoire. Or, c’est faux. Ni plus, ni moins. Les mutuelles liquident des prestations pour moins cher que l’Assurance-maladie. Ce n’est pas une critique de la Sécurité sociale qui a des situations lourdes de patients à assumer, mais de là à inverser la réalité, il y a un pas que d’aucuns auraient dû ne pas franchir.

 

Dans cette histoire, on juge nos mutuelles sur la base du plan comptable des sociétés d’assurance. Or, ce plan, taillé pour les sociétés de capitaux, n’identifie que des prestations monétaires. Aucune des autres prestations n'est prise en considération et n'est assimilée à des « frais de gestion ». Ces derniers sont subdivisés en trois parties : frais d’acquisition, frais de gestion des sinistres et frais d’administration. Comme rien n’est calibré pour des organismes comme les nôtres, qui délivrent aussi des prestations sociales en nature à leurs adhérents, on nous oblige à arbitrairement répartir ces prestations dans l’une de ces trois rubriques. Convenez que ça fausse singulièrement le raisonnement. C’est alors que les accusations pleuvent : frais de gestions trop élevés, dépenses de marketing somptuaires etc.

 

Justement, qu'appelez-vous « prestations sociales en nature » ?

J.-P. B : Pour des mutuelles qui maintiennent un réseau d’accueil et d’accompagnement, ce sont des dépenses liées à ces points d’accueil, le salaire des conseillers, la location du local, le mobilier et le système d’information. Or, en 2019 (dernière année avant la pandémie), les points d’accueil des mutuelles interprofessionnelles comme les nôtres ont passé l’essentiel de leur temps à aider les bénéficiaires de la complémentaire de santé solidaire (CSS), récente invention bureaucratique de la Ministre de la Santé qui a démissionné en pleine pandémie.

 

Les dossiers de demande et le dispositif sont tellement complexes que les conseillers mutualistes ont passé entre une et deux heures avec chaque bénéficiaire pour leur permettre d’accéder à leur droit. Ces coûts sont allés directement en « frais d’acquisition ». On nous reproche de dépenser trop en « frais d’acquisition » alors que plus de la moitié des bénéficiaires potentiels de la CSS n’ont toujours pas accès à leur droit. Les mutuelles font trop pour les aider. Puis, outre cet accompagnement social, il y a tout le travail que nous faisons pour le droit à la santé, la prévention, le développement des services de soins, l’information sanitaire, l’éducation thérapeutique etc.

 

Alors quand on nous dit que les frais de gestions sont des dépenses indues, il faudrait préciser le réquisitoire. Qu’est-ce qui est indu ? Le développement des centres de santé sans dépassement d’honoraires et pratiquant le tiers-payant, dans un pays en proie aux déserts médicaux et où un quart des 18-24 ans renoncent à des soins pour des raisons financières ? Qu’est-ce qui est indu ? Les actions de prévention dans un système de santé qui peine à sortir du tout-curatif ? Vous le voyez, ce que l’on appelle les « frais de gestion » des mutuelles sert à permettre l’accès aux soins ; cela sauve des vies.

 

Alors d’où viennent ces accusations ?

J.-P. B. : Que le gouvernement ou les chantres du libéralisme utilisent de telles ficelles ne nous surprend pas. La protection sociale solidaire ne les intéresse pas. Mais que l’on tombe dans le panneau dans des milieux qui se veulent progressistes (voire proche de l’économie sociale) me sidère. On a même entendu des économistes plutôt adeptes d’alternatives à l’économie libérale, confondant frais d’acquisition et marketing, affirmer sans vergogne que 40 % des frais de gestion des mutuelles sont des dépenses de marketing. Je croyais ces « Messieurs Jourdain », qui font du libéralisme sans le savoir, plus au fait des enjeux réels de protection sociale, d’accès aux soins et d’effectivité des droits. Certes, le plan comptable des assurances est spécifique mais affirmer de telles énormités sans prendre la peine de vérifier est inacceptable. Non, les dépenses marketing des mutuelles ne sont pas de 40 % mais de moins de 1 % des cotisations et les dépenses de publicité de 0,2 %. Non, ce ne sont pas ces dépenses qui grèvent les cotisations.

 

Permettez un mot encore, à propos de l’Assurance-maladie. Même si elle ne fait pas mieux que les mutuelles pour la gestion des remboursements, elle a des frais de gestion trop bas. Faut-il s’en réjouir ? S’ils sont à ce niveau, c’est dû aux politiques successives de réduction de moyens menées au détriment des salariés de l’Assurance-maladie et des assurés sociaux. De nombreux points d’accueil ont été fermés, les postes de conseillers réduits. Aujourd’hui, l’accueil, le suivi et l’accompagnement des bénéficiaires de l’Assurance-maladie sont gravement déficients. Des caisses primaires ne répondent qu’à moins d’un appel téléphonique sur deux. Rencontrer un conseiller demande beaucoup de temps libre, une grande détermination et les moyens de se déplacer parfois fort loin. Est-ce vraiment le modèle à suivre ? L’Assurance-maladie est victime des conventions d’objectifs et de gestion toujours plus restrictives qui lui sont imposées année après année. Les mutuelles en sont les victimes collatérales, qui doivent compenser les insuffisances d’accompagnement, comme elles complètent les remboursements des restes à charge croissants.

 

Malgré tout, il y a un vrai problème d’accès aux soins et à la complémentaire de santé dans notre pays…

J.-P. B. : Effectivement. Ce problème à plusieurs causes : les attaques subies par la Sécurité sociale qui ont réduit son efficacité, la crise majeure de l’offre de soins ambulatoire et hospitalière, la désorganisation de la solidarité mutualiste par le système assurantiel et la taxation délirante d’un service de première nécessité.

 

La première tâche de la Sécurité sociale est d’assurer le socle de tout notre système de protection sociale par la solidarité nationale. Beaucoup parlent avec des trémolos dans la voix de la « Sécu de 45 ». Il est plus intéressant d’examiner en quoi elle constituait une avancée majeure pour la santé et la dignité humaine. Son principe fondateur est clair : « chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins ». C’est l’expression de multiples solidarités, entre malades et bien portants, entre générations, entre riches et pauvres. C’est l’essence même de ce système original dicté par les besoins de la société française. C’est ce qui fait qu’il fonctionne.

 

Sauf que, ces solidarités ont été mises en cause et amoindries au fil des plans prétendant « sauver la Sécu » de son soi-disant « trou ». Les « restes à charge » après intervention de la Sécu sont de plus en plus problématiques. Les gens en affection de longue durée (ALD), les plus malades, ont des « restes à charge » deux fois plus élevés que les autres assurés sociaux. Du fait des franchises, forfaits et dépassements de tarifs et d’honoraires qui se multiplient et augmentent régulièrement, la Sécu ne joue plus pleinement son rôle de solidarité entre biens portants et malades.

 

On dit souvent que si la Sécu ne rembourse pas toujours bien les soins de ville, elle couvre en revanche les soins hospitaliers. Là encore, c’est de moins en moins vrai. Le ticket modérateur hospitalier et les forfaits et autres dépenses non remboursées par l’Assurance-maladie représentent des montants considérables. Ainsi, on a vu des patients atteints de formes graves de covid-19 sortant de réanimation avec des factures hospitalières de plusieurs milliers (voire plusieurs dizaines de milliers) d’euros non pris en charge par l’Assurance-maladie. Où sont la solidarité et la justice ?

 

Êtes-vous des mutualistes qui défendent la Sécurité sociale ?

J.-P. B. : Oui, constamment. Depuis le début. Ce n’est pas par habitude que les Mutuelles de France militent pour une Sécurité sociale au plus haut niveau, ni par dogmatisme : c’est parce que c’est indispensable pour assurer l’accès aux soins à tous. Parce que c’est efficace. Parce qu’une société dont la population est bien protégée est une société plus libre, plus ouverte et plus dynamique. Une « grande Sécu » est d’abord une Sécu qui remplit sa mission de solidarité envers les malades. Le fait qu’elle ne puisse plus le faire suffisamment pèse lourdement sur les plus malades (particulièrement sur les plus âgés) qui se retrouvent avec de très lourdes dépenses non prises en charge.

 

Les complémentaires de santé amènent un deuxième niveau de remboursement de ces restes à charge. Mais, si les mutuelles ont pu remplir cette tâche pendant des décennies, l’augmentation des inégalités et l’introduction des assureurs et de leurs logiques de sélection des risques et, quoi que l’on en dise, des gens qu’elles protègent, ont porté un coup à leurs capacités de mutualisation. Jusqu’aux années 1980, les mutuelles ne pratiquaient pas de cotisations en fonction de l’âge. Mais si les mutuelles couvrent aujourd'hui toujours les trois-quart des personnes âgées, elles sont confrontées à une concurrence exacerbée pour la couverture des plus jeunes. Pour ne pas compromettre quelque possibilité de mutualisation que ce soit, elles ont dû se résoudre à adapter leurs pratiques à une concurrence qui n’a rien à faire de l’intérêt général, ni même de l’intérêt à long terme des assurés sociaux.

 

Les mécanismes de sélection et ses logiques d’individualisation, discriminatoires et court-termistes de l’assurance sont contagieuses. Comme la mauvaise monnaie chasse la bonne, l’assurantiel chasse la solidarité et la mutualisation. Non, les mutuelles ne sont pas que des assureurs avec un vernis de valeurs humanistes. Les logiques mutualistes et assurantielles et les techniques qui en découlent sont aussi différentes que la répartition et la capitalisation dans le domaine des risques longs, comme la retraite. L’assureur cherche individualiser le risque pour le tarifer précisément et générer le maximum de profit. C’est sa logique. La mutuelle est à but non lucratif ; elle cherche la mutualisation la plus large possible pour solidariser le risque entre mutualistes et tout au long de la vie. En santé, plus le système est assurantiel, moins il est efficace, plus il est discriminatoire, inégalitaire et coûteux. Dès lors, simultanément confrontées à une couverture moins efficace par l’Assurance-maladie obligatoire et aux logiques prédatrices des assureurs, les mutuelles sont en difficulté pour assurer l’accès aux soins pour tous.

 

Vous parliez tout à l’heure de « taxation délirante »…

J.-P. B. : Oui, en plus de l’amoncellement de difficultés que je viens d’évoquer, nous devons faire face à une taxation croissante, délirante. Aujourd’hui, la taxe sur les cotisations mutualistes a dépassé les 15 %. Compte tenu des mécanismes fiscaux, le coût de cette taxation est supérieur au coût d’une taxation au taux maximum de TVA de 20 %. C’est-à-dire qu’un besoin de première nécessité (se soigner) qui n’était pas du tout taxé jusqu’à la fin du XXe siècle et qui ne l’est toujours pas (ou très peu) dans les autres pays européens, est aujourd’hui, plus taxé qu’un bien de luxe en France. La protection sociale mutualiste est plus taxée qu’un yacht, qu’un jet ou qu’une Ferrari.

 

Tout cela renchérit considérablement le coût de la complémentaire de santé. Pour ne parler que de la taxe, deux mois de cotisations s’évaporent chaque année. Au lieu d'annuellement faire du théâtre sur les cotisations mutualistes, s’il veut vraiment réduire le coût de la couverture complémentaire, le Ministre de la Santé devrait sérieusement s’atteler à la désescalade des taxes au lieu d’en inventer de nouvelles chaque année.

 

Parlons des retraités... Le coût de leur complémentaire est souvent exorbitant. Pourquoi ?

Les mécanismes que j’ai décrits pénalisent particulièrement les retraités. La Sécurité sociale leur laisse les restes à charges les plus élevés. Plus de mille euros par an en moyenne pour les plus âgés pour les seuls soins hospitaliers, soi-disant bien remboursés. La sélection assurantielle qui mène à segmenter les populations réduit considérablement les possibilités de mutualisation intergénérationnelle. Les contrats groupes obligatoires imposés aux salariés du privé interdisent toute solidarité entre actifs et retraités. C’est d’autant plus préjudiciable que quand ces mêmes actifs prendront leur retraite, ils perdront simultanément la participation de l’employeur, le bénéfice de l’âge et les aides publiques qui, de façon incompréhensible, sont réservés aux contrats du groupe. Résultat : leur taux d’effort pour accéder aux soins (la part de leur revenu qu’ils doivent consacrer au paiement de leurs restes à charge ou au paiement de leur cotisation mutualiste) sera multiplié par plus de 4. Il n’est dès lors pas étonnant qu’ils éprouvent de grandes difficultés à faire face.

 

Cette situation est d’autant plus ahurissante que, comme l’a relevé la Cour des comptes, les aides publiques, sociales et fiscales, concentrées sur les contrats de groupes obligatoires, sont deux fois supérieures au coût de la CSS destinée à permettre aux plus démunis d’être couverts. En résumé, on a non seulement rompu la solidarité intergénérationnelle mais on met une solidarité en œuvre à l’envers au détriment des plus démunis.

 

J’ai dit l’absurdité de la taxation de la complémentaire mais, face à la situation insupportable de beaucoup de retraités, une mesure d’urgence consistant en une réduction rapide et massive des taxes sur les complémentaires individuelles paraît indispensable. Par exemple, ramener le taux de la taxe de solidarité additionnelle (TSA), au niveau de celle appliquée aux bénéficiaires du régime agricole, la moitié du taux appliqué en général, pourrait constituer un premier pas utile pour les retraités, les jeunes et les précaires exclus des contrats groupes.

 

Aux Mutuelles de France, nous défendons le droit à la santé pour tous. Pour le rendre effectif, nous continuerons de travailler pour que la campagne électorale qui s’ouvre permette un vrai débat sur l’accès aux soins, la protection sociale solidaire.

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