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20 / 12 / 2023 | 41 vues
Hélène Fauvel / Abonné
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Le grand décrochage de l’économie depuis la crise sanitaire

La crise sanitaire, les conflits géopolitiques et les crises environnementales font peser un risque sur la croissance mondiale pour les années à venir. C’est le constat implacable que fait le FMI dans ses dernières perspectives de l’économie mondiale : « L’activité économique est loin d’avoir repris la trajectoire qu’elle suivait avant la pandémie. Les principaux risques sont dus aux conséquences à long terme de la pandémie, de la guerre en Ukraine et de la fragmentation géoéconomique accrue ».
 

Le FMI prévoit un ralentissement progressif de la croissance de 3,5 % en 2022 à 3 % en 2023 puis 2,9 % en 2024.
 

Ces projections sont très inférieures à la moyenne de 3,8 % d’augmentation du PIB par an au cours des deux dernières décennies (2000-2019).


Le ralentissement se fait sentir dans la plupart des pays du G20, notamment dans la zone euro. Le FMI souligne également les conséquences désastreuses de la hausse des taux d’intérêt pour les pays en développement, dont le financement dépend de devises étrangères, en particulier du dollar.

La hausse des taux d’intérêt a provoqué l’appréciation du dollar en 2022 et d’importantes sorties de capitaux des pays en développement. La moitié serait actuellement surendetté ou s’en rapprocherait dangereusement.

 

Autre sujet d’inquiétude, les prix mondiaux de l’alimentation et de l’énergie restent élevés entrainant une explosion de l’insécurité alimentaire dans le monde.

 

Le programme alimentaire mondial estime que près de 300 millions de personnes se trouvent en situation d’insécurité alimentaire en 2023, soit près de 200 millions de plus qu’en début 2020. Le FMI résume la situation ainsi : « les prévisions de croissance mondiale à moyen terme, à 3,1 % sont les plus faibles depuis plusieurs décennies ».


Le fait d’avoir évité une récession de l’économie mondiale ne doit pas masquer le décrochage de la croissance depuis la crise sanitaire malgré les plans de soutien massifs à l’économie depuis la pandémie ou encore la relance des dépenses militaires à l’échelle internationale.

La crise sanitaire n’aura donc pas été qu’une parenthèse. Elle s’inscrit dans un cadre plus général depuis la fin des années 70, où chaque crise occasionne une cassure dans la dynamique de la croissance. Le FMI n’aborde pas ce sujet et considère que les causes du ralentissement seraient en grande partie conjoncturelles : crise immobilière en Chine, instabilité des prix des matières premières du fait de la fragmentation du commerce mondial, durcissement monétaire ou encore endettement public élevé.


Dans la mesure où de ce diagnostic découlent ses préconisations, le Fonds monétaire international prescrit encore et toujours les mêmes traitements. Il invite à une « consolidation » budgétaire pour assurer la soutenabilité de la dette et à un retour à la stabilité des prix, par le maintien d’une politique monétaire restrictive. Le FMI continue également de plaider pour des réformes structurelles, notamment de flexibilisation du marché du travail. L’objectif est de « réduire les frictions et d’encourager la participation au marché du travail » qui permettraient d’atténuer les pressions inflationnistes.
 

Un emballement de l’inflation est fortement redouté si les salaires augmentaient.


La flexibilisation du marché du travail consiste alors à revoir les modalités de revalorisations salariales afin de casser la dynamique des salaires. Le FMI craint également que les difficultés d’approvisionnement et les rivalités économiques apparues depuis la pandémie n’accélèrent la fragmentation de l’espace économique mondial en plusieurs blocs de pays. La relocalisation des entreprises occidentales vers des pays dits « amis » (cf. « friendshoring), c’est-à-dire partageant les mêmes valeurs et objectifs géopolitiques remet en cause la liberté de circulation des capitaux longtemps promue par le FMI.

Le FMI est bien conscient du coup porté au multilatéralisme. En réponse, il continue de défendre la libéralisation financière qui, selon son analyse aurait permis d’améliorer l’innovation, le transfert de technologies et la productivité. Elle aurait ainsi facilité « les transferts de capitaux vers les pays en développement (…) permettant une meilleure allocation de l’épargne vers des rendements plus élevés ».

Par ailleurs, le FMI y voit un autre aspect positif : la circulation des capitaux permet d’imposer une discipline (ou plutôt un chantage) sur les politiques macroéconomiques par la concurrence de capitaux étrangers et par la contrainte qu’elle impose sur la gouvernance des services publics.


La faiblesse de la croissance exacerbe la concurrence économique et militaire autour de l’accès aux ressources, aux technologies et aux marchés. Face au « risque géopolitique », le FMI est pris de court. Il invite à repenser la mondialisation (pour ne pas dire la poursuivre) tout en restant aveugle sur la pression qu’elle impose aux salaires, à l’Etat social et aux conditions de travail.

 


Economie française

 

  • Croissance du PIB


Le gouvernement se félicite des dernières données macroéconomiques confirmant selon lui le bien-fondé de sa politique économique. L’inflation parviendrait à reculer sans récession en 2023 grâce notamment à une croissance surprenante au deuxième trimestre 2023 (0,5 %) et au maintien d’une croissance positive au troisième trimestre (0,1 % du PIB). Pourtant, l’heure n’est évidemment pas à l’optimisme.


La communication du gouvernement occulte la situation extrêmement préoccupante de l’économie française, en particulier des salariés, retraités et bénéficiaires des minima sociaux. La France à l’image de la plupart des pays développés accuse un net ralentissement de sa croissance sur l’ensemble de l’année 2023, estimée à 0,9 % contre 2,5 % en 2022.


Le risque de récession ne doit pas être écarté d’autant qu’elle est déjà une réalité en Allemagne et en Italie. La zone euro dans son ensemble a connu une baisse du PIB au troisième trimestre (-0,1 %), une première depuis la pandémie.


Les prévisions de la Commission Européenne ont ainsi été révisées à la baisse avec une croissance ralentie à 0,6 % en 2023 contre 3,3 % en 2022. La France ne fait pas exception dans ce marasme. L’activité décroche par rapport à sa tendance avant la pandémie, la croissance française étant inférieure à la moyenne de la zone euro depuis 2019.

 

  • La modération salariale pèse sur la demande et sur l’activité économique.


La confiance des ménages ne s’est pas redressée depuis son point bas de la mi-2022, de sorte que la consommation des ménages diminuerait de 0,2 % en 2023. Elle s’affiche en baisse depuis 4 ans (-0,5 %). Cette baisse s’explique en particulier par la forte inflation alimentaire ayant provoqué un effondrement de la consommation de produits alimentaires de 9 % par rapport à son niveau de 2019 (1).


Si l’investissement des entreprises progresse toujours, il pourrait être freiné par la paralysie de la consommation et l’absence de perspectives de débouchés. L’Insee signale ainsi que depuis le début de l’année 2023, « les difficultés de demandes apparaissent, notamment dans l’industrie et l’opinion des chefs d’entreprises sur leurs carnets de commande se détériore ». Les entreprises réduisent leurs achats
de services de même que l’investissement en construction. L’activité ralentit dans l’industrie et les services au second semestre, tandis qu’elle est en baisse dans la construction depuis le début de l’année.


De même, l’indicateur du climat des affaires, mesurant l’opinion sur les perspectives généralesb d’activités fléchit depuis juin 2021 et est même passé sous sa moyenne de long terme en octobre 2023.


L’Insee note que tous les secteurs d’activité contribuent à la baisse : commerce de détails, bâtiment, services et industrie. Enfin, les statistiques publiées par la Banque de France sur les défaillances d’entreprises témoignent du ralentissement en cours. Leur nombre continue de croître atteignant 52 695 en octobre 2023, contre 38 842 en août 2022, soit une augmentation de 37 %.
 

La restauration rapide, l’alimentation générale, la coiffure, l’habillement sont les secteurs les plus durement touchés. Si l’économie française évite pour le moment la récession technique, c’est en grande partie grâce au commerce extérieur, qui contribue à près de 80 % de la croissance économique en 2023. En effet, d’importantes livraisons aéronautiques et navales ont contribué au dynamisme des exportations. De même, l’industrie automobile et la forte progression du tourisme en France tirent la croissance du PIB.


A l’inverse, les importations stagnent en 2023 du fait du recul de l’inflation et d’une demande en berne. Compte tenu de la forte volatilité des cours du pétrole, de la hausse des taux d’intérêt et des difficultés que rencontrent de nombreux partenaires commerciaux, peu de raisons laissent penser que le commerce extérieur puisse maintenir la croissance française à l’avenir.

 

  • Inflation


Les déclarations du ministre de l’Économie et des finances, Bruno Le Maire, peuvent laisser perplexe. Selon lui, la France est « en train de sortir de la crise inflationniste », et ce serait une bonne nouvelle. Il en veut pour preuve le recul du taux d’inflation en octobre à 4 %, après 4,9 % en septembre et autour de 6 % au deuxième semestre 2022. Le recul de l’inflation en cette fin d’année 2023 était attendu depuis de nombreux mois. Il ne résulte pas de la hausse des taux d’intérêt (2) mais d’un ralentissement des prix de l’énergie et des matières premières.


Notons toutefois qu’après un ralentissement des prix, les cours de l’énergie et des matières premières sont repartis à la hausse durant l’été 2023. Les pays de l’OPEP+ (organisation des pays producteurs de pétroles plus certains pays non-membres) ont annoncé réduire leur production de pétrole jusqu’à la fin de l’année entrainant une augmentation dépassant les 90$ par baril en octobre. Le conflit au Proche-Orient contribue à maintenir des cours élevés du baril de Brent. Le prix du gaz est, quant à lui, revenu à un niveau « normal », inférieur à 40 euros par Mwh, loin des 200 euros par Mwh atteints en 2022. Enfin, malgré un recul depuis l’année dernière, certaines matières premières (blé, tournesol, etc…) affichent des cours supérieurs à leur niveau d’avant crise. Ces hausses récentes n’ont rien de comparable avec l’explosion des prix de l’année 2022.


L’optimisme du ministre doit tout de même être relativisé. Avec la fin annoncée du bouclier tarifaire, l’inflation en France ralentit plus lentement qu’ailleurs en Europe. A ce titre, le gouvernement actera très probablement une hausse autour de 10 % du tarif réglementé de l’électricité en 2024. Les prix de l’alimentation notamment des produits que les ménages consomment le plus fréquemment, sont supérieurs de près de 25 % à ceux d’il y a trois ans.


En résumé, la crise inflationniste est toujours bel et bien présente. En septembre 2023, près des trois quarts des ménages (73 %) déclarent avoir changé leurs « habitudes de consommation », 47 % pour la consommation alimentaire (10 points de plus qu’en décembre 2022). Ils se sont réorientés vers les marques de distributeurs et les premiers prix.
 

Le baromètre de la pauvreté, publié par le Secours populaire, confirme une situation sociale alarmante. Les difficultés financières concernent une part croissante de la population en 2023. Moins d'un français sur deux déclare parvenir à mettre de l'argent de côté ; près d'un français sur cinq (18 %) vit à découvert.


Assurer les dépenses courantes est de plus en plus difficile : 45 % des Français interrogés déclarent des difficultés pour payer certains actes médicaux, 45 % pour payer les factures d'énergie, 43 % pour consommer des fruits et légumes frais.


Près d'un français sur trois déclare avoir du mal à assurer trois repas par jour…


En moyenne annuelle, il n’y a pas de recul. L’inflation sera quasi identique en 2023 à celle de 2022. Elle est attendue à 5,8 % (pour l’IPCH et 5 % pour l’IPC) selon la Banque de France en 2023 contre 5,9 % en 2022. Il faudra surtout attendre 2024 et 2025 pour que l’inflation recule plus franchement. La Banque centrale est cependant tenue par son mandat de stabilité des prix, c'est- à - dire une cible d'inflation autour de 2 %. Elle doit donc construire ses projections macroéconomiques en respectant un retour vers cette cible.

Aujourd’hui, l’inflation sur un an dépasse encore les objectifs de la politique monétaire de sorte que celle-ci pourrait continuer de se durcir, en particulier si les salaires augmentent. A l’heure actuelle, l’inflation a entrainé une baisse des salaires réels du secteur privé comme des fonctionnaires, la boucle prix-salaires n’a pas eu lieu.


Dans ce contexte, les augmentations des taux d’intérêt vont freiner davantage la demande globale avec pour conséquences l’augmentation du chômage et la baisse du pouvoir de négociation des travailleurs. Le recul de l’inflation est donc un phénomène recherché par la politique économique. Selon les outils de l’analyse économique, la lutte contre l’inflation ne peut se faire sans provoquer un ralentissement économique majeur voire une récession, condition nécessaire pour forcer une baisse des salaires. Il est difficile, dans ces conditions, de se réjouir des chiffres de l’inflation s’ils se traduisent par des salaires moins élevés et un chômage en hausse.

 

  • Chômage


Depuis 2019, la production du secteur privé a progressé de 2 % tandis que l’emploi a progressé de 5 % (1,3 million d’emplois (3) ce qui signifie qu’il faut plus de salariés pour produire la même quantité de richesses qu’en 2019, ou dit autrement que la productivité par tête est inférieure à celle d’avant crise (4). Plusieurs explications ont pu être apportées : la hausse de l’apprentissage, la baisse du « coût du travail » favorisant le développement d’emplois dits non qualifiés, la modération salariale, les aides ayant pu maintenir en vie des entreprises peu productives, la hausse des arrêts maladie depuis la pandémie (Covid long, dépressions, burn out, etc…).


Beaucoup estiment que cette chute exceptionnelle de la productivité est temporaire. Le rattrapage de la productivité, au moment où la croissance ralentit, impliquerait alors des destructions d’emplois.


C’est ce que nous constatons déjà : le chômage remonte au troisième trimestre de 0,2 point pour atteindre 7,4 % de la population active, soit 64 000 chômeurs supplémentaires. Il est trop tôt pour dire que nous assistons à l’inversion de la courbe du chômage, mais c’est le deuxième trimestre consécutif de hausse. C’est tout de même notable car, depuis 2015, le taux de chômage au sens du BIT diminuait, passant de 10,5 % à 7,1 % entre le deuxième trimestre 2015 et le premier trimestre 2023. La Banque de France estime que c’est probablement plus qu’une tempête passagère. Le taux de chômage atteindrait près de 8% en 2025. De son côté, l’observatoire français des conjonctures économiques
(OFCE) prévoit une hausse plus brutale du chômage autour de 8 % dès 2024 (5). La politique économique, en cours, en Europe (durcissement monétaire et surtout restrictions budgétaires à venir) provoque la montée du chômage au nom de la lutte contre l’inflation.


Par ailleurs, le taux de chômage n’est pas le seul indicateur à augmenter. Au troisième trimestre 2023, 164 000 personnes supplémentaires ont basculé dans le halo du chômage. Aux 2,3 millions de chômeurs au sens du BIT, il faut ajouter 2 millions de personnes constituant le halo du chômage. Ce sont des personnes souhaitant un emploi sans être considérées au chômage car elles ne recherchent pas « activement » ou ne sont pas disponibles immédiatement.

 

  • Dette publique


Après plusieurs années ayant mis en évidence le besoin de dépenses publiques, la parenthèse du « quoi qu’il en coûte » s’est refermée. Il est désormais temps de payer l’addition. Les vieux dogmes budgétaires resurgissent, témoignant de l’incapacité de la zone euro à tirer les leçons des crises et erreurs du passé. L’argument souvent répété est qu’il est nécessaire de baisser la dette afin de pouvoir, plus tard, répondre à une future crise. Ainsi, la loi de programmation des finances publiques planifie l’austérité budgétaire pour les prochaines années. L’objectif affiché est de revenir sous les 3 % de déficit public par rapport au PIB en 2026 (contre 4,9 % en 2023) par une réduction de 2,1 points de la part des dépenses dans le PIB.


Notre organisation syndicale  rappelle que cette trajectoire n’est pas compatible avec la mise en place des investissements publics nécessaires, qu’elle n’est pas non plus compatible avec la réduction de la dette publique. À la suite de la crise financière de 2008, les politiques d’austérité se sont généralisées, sous la pression combinée des marchés financiers et des institutions internationales mais, en dépit de politiques budgétaires restrictives, les ratios de dette publique n’ont pas été réduits.

 

En effet, le niveau de la production est déterminé par les carnets de commande qu’anticipent les entreprises. Or, il n’y a aucune raison que le secteur privé anticipe spontanément une demande (et donc des profits) suffisante pour embaucher toute la main d’œuvre disponible. Dans ce cadre, lorsque la demande est insuffisante (que le chômage est élevé), une hausse de la consommation ou de l’investissement public a un effet d’entrainement sur l’investissement privé. C’est la raison pour laquelle l’austérité budgétaire se paye par une asphyxie de la croissance ne permettant pas de réduire les ratios de dette publique.


Preuve en est dans le scénario tracé dans le projet de loi de finances 2024 : A la faveur d’hypothèses de croissance exagérément optimistes, la dette publique française resterait à peu près stable, malgré le gel des dépenses publiques, la baisse du poids des dépenses publiques dans le PIB, la baisse des dépenses sociales et du pouvoir d'achat des agents de la fonction publique. Il n’est dès lors pas difficile d’imaginer les conséquences sur les finances publiques si la rigueur budgétaire réussissait à étouffer la reprise tant espérée par le gouvernement. Ça tombe bien, c’est justement ce que prévoit l’OFCE : En 2024, malgré la réduction des dépenses publiques exceptionnelles, le déficit public se stabiliserait et la dette publique augmenterait « en raison principalement d’une croissance atone qui pèserait sur les recettes fiscales ».


Mais au-delà de la réduction de la dette publique, la logique sous-jacente est d’affaiblir progressivement le modèle social français, considéré comme une entrave à la compétitivité des entreprises et l’attractivité du territoire.


C’est pourquoi l’essentiel des baisses d’impôts a été maintenu bien que cette politique fiscale creuse le déficit public. Son but non avoué est de servir de prétexte pour imposer de nouvelle baisse des dépenses.

En effet, en dépit de résultats peu glorieux, que ce soit en matière de finances publiques ou de croissance, le gouvernement n’en démord pas. Il faudrait « poursuivre l’effort collectif » selon le Président de la République, une façon détournée d’exprimer ce qu’avait déjà dit le ministre de l’économie et des finances, à savoir « transformer en profondeur notre modèle social ».

 

  • Partage de la valeur ajoutée


Le choc extérieur que constitue la hausse brutale des prix des importations énergétiques et autres matières premières a été en grande partie répercuté en 2023. L’inflation est désormais une affaire de répartition de la valeur ajoutée entre capital et travail. Globalement, malgré le recul de la productivité, la crise inflationniste n’a pas entrainé une baisse des marges des entreprises, contrairement à ce que l’on a par exemple observé dans les années 70. Le taux de marge des entreprises se situe à un niveau historiquement élevé et supérieur de près de 2 points à son niveau pré-Covid. Il atteignait 33,2 %, au deuxième trimestre 2023 contre 31,6 % en 2018 avant la crise sanitaire.

 

Avec l’envolée de l’inflation, certains secteurs ont non seulement pu défendre leurs marges mais ont même pu les augmenter en répercutant le coût des matières premières. Les plus grosses entreprises ont tiré avantage de la hausse des prix, accumulant des profits records, en particulier dans les secteurs de l’agroalimentaire, de l’énergie et des transports. Ces profits sont, pour une grande part, le produit de rentes en dehors de toute logique économique ou de gains de productivité.


Le FMI, l’OCDE et la Banque centrale européenne reconnaissent que, loin de la boucle prix-salaires, ce sont les profits des entreprises qui contribuent à l’essentiel de l’inflation. En France, l’OFCE estime que la moitié de l’inflation est due aux marges des entreprises tous secteurs marchands confondus.


Le pendant de ce constat se trouve dans les pertes subies par les salariés depuis deux ans. Les beaux discours appelant les entreprises à augmenter les salaires n’y feront rien ; nous assistons à une baisse du pouvoir d'achat des salariés. Entre le 4ème trimestre 2020 et le 2ème trimestre 2023, l’indice des prix à la consommation augmente de 11,5% alors que le salaire mensuel de base n’augmente que de 7,7 %. Selon la Banque de France, les salaires ont subi en moyenne une perte de pouvoir d’achat de 1 % en 2022 et de 1,2 % en 2023. Ils pourraient augmenter en 2024 et 2025 grâce à l’effet combiné du recul de l'inflation et du rebond – hypothétique – des gains de productivité. Le taux de profit pourrait donc se maintenir s’il y a un rattrapage des pertes de productivité dans les années à venir. Sans gains de productivité, la stabilisation du taux de profit suppose une baisse de la part des salaires : intensification du travail, augmentation de la durée du travail sans augmentation équivalente des salaires, et donc modération salariale.

 

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(1) Il faut cependant nuancer le propos. Le recul de la consommation ne reflète pas seulement une baisse
« pure » des quantités achetées mais aussi des achats de gamme inférieure ou encore un transfert des achats vers des enseignes discount.

(2) Les effets de la hausse des taux ne se font pas encore pleinement ressentir car la durée de transmission de la politique monétaire est de 12 à 18 mois.

(3) Une performance non négligeable puisque c’est autant que les créations d’emplois au cours de la période 2009-2019.


(4) Attention, dire que la productivité du travail a baissé ne veut pas dire que les salariés pris individuellement sont moins productifs qu’avant. Il y’a un effet de composition lié à la structure de l’emploi derrière la baisse de la productivité moyenne.


(5) Voir même 8,5% dans un scénario pessimiste. A noter l’effet de la réforme des retraites sur la hausse du
chômage qui accroit la population active en imposant un recul de l’âge de départ sans garanties que tous les séniors soient en emploi.

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