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08 / 04 / 2022 | 105 vues
Sébastien Simon / Membre
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Autoroutes : la mobilité ne doit pas se faire au détriment des classes populaires

Jean-Luc Mélenchon, candidat de l’Union populaire à l’élection présidentielle de 2022 et premier opposant de gauche à Emmanuel Macron, semble être l'un des rares à proposer un programme économique répondant aux grands enjeux de demain : mettre fin à l’ultralibéralisme, combattre les inégalités, porter haut la transition écologique. Au croisement de la planification écologique, d’une plus grande justice sociale et d’une mobilité pour tous, le sujet sensible de la gestion des autoroutes se pose. Faut-il les renationaliser, comme le propose Jean-Luc Mélenchon, ou trouver des solutions idoines permettant de répondre aux demandes des Français tout en ayant le dernier mot vis-à-vis de sociétés privées à la recherche perpétuelle de profits ?

 

Autoroutes

 

La voiture, mode de transport privilégié des Français

 

Le développement et l’amélioration des transports publics doivent être une priorité sur l’ensemble du territoire. Métro, tram, bus et trains sont appelés à être les vecteurs d’une mobilité respectueuse de l’environnement et accessible au plus grand nombre. Cette volonté est profondément ancrée à gauche et dans le programme de Jean-Luc Mélenchon mais n’occulte pas la réalité des déplacements en France. La voiture est aujourd’hui encore le moyen de transport privilégié des Français. En 2019, 86 % des foyers possédaient au moins un véhicule et 87 % des Français déclaraient utiliser leur voiture pour au moins un de leurs déplacements du quotidien. Ce constat vaut également pour l’utilisation de la voiture à des fins professionnelles. D’après une étude de l’INSEE, 74 % des actifs en emploi qui déclaraient se déplacer pour rejoindre leur lieu de travail utilisaient leur voiture. La voiture est un passage obligé pour une majorité de Français et il faut donc peu à peu les accompagner pour changer leur quotidien et à rendre l’utilisation d’un véhicule personnel (quand cela est indispensable) moins injuste et plus écologique.

 

 

État ou sociétés concessionnaires d’autoroutes : il ne doit y avoir qu’un seul maître à bord

 

À partir de 2005, le gouvernement de Dominique de Villepin, marqué par un ultralibéralisme économique (contrat nouvelle embauche et contrat première embauche) et un conservatisme sur les plans social et sécuritaire (état d’urgence face aux émeutes de banlieue, loi sur la récidive des infractions pénales), amorçait un processus de privatisation des concessions autoroutières. Sous prétexte de remplir les caisses de l’État (déjà vides), il vendait au rabais des infrastructures fonctionnelles et en bon état jusqu’ici gérées par des sociétés d’économie mixte. Seule consolation, la gestion coûteuse n’était plus du ressort de l’État, qui gardait par ailleurs son mot à dire sur le niveau d’entretien et de sécurité de ces infrastructures et prélevait toujours près de 40 % au tarif des péages sous forme de taxes. 

 

Aujourd’hui, ces autoroutes concédées et gérées par des sociétés concessionnaires d’autoroutes ne représentent qu’un peu plus de 9 000 km sur le million de km de voirie que compte l’ensemble du réseau routier national. En 2020, elles ont pourtant généré un chiffre d’affaires de 9 milliards d’euros, principalement par le biais du péage acquitté par les usagers. Leur taux de rentabilité oscille entre 6 et 8 % et 23 % du prix du péage va au remboursement de la dette et des investisseurs ! Le profil des sociétés d’autoroutes (principalement des majors du BTP français et européen) ne laisse aucun doute quant aux raisons qui les poussent à exploiter ce filon. Il est impératif que le régulateur s’assure que les bénéfices records dégagés par elles ne constitue pas une manne au détriment de l’État et des automobilistes. Sur le papier, la renationalisation des concessions autoroutières paraît donc comme une mesure authentiquement sociale. Le prix des péages, fixé par l’État seul, baisserait pour les automobilistes ; les revenus des autoroutes alimenteraient le budget de l’État plutôt que les comptes personnels d’une minorité d’actionnaires.

 

Dans les faits toutefois, l’appel à la renationalisation des concessions d’autoroutes pourrait paradoxalement n’être une bonne solution ni pour les finances publiques, ni pour les contribuables, ni pour les usagers.

 

 

Faire payer le coût des autoroutes aux plus riches : une mesure de justice fiscale

 

 

En choisissant le système de la concession, l’État a fait le choix de faire financer les autoroutes par les utilisateurs (via le péage), sans recours à l’impôt. Ce choix paraît pertinent au regard de la place que l’autoroute occupe dans le quotidien des Français. À titre d’exemple, les camions, destinés à une seule utilisation commerciale, sont surreprésentés dans l’économie des autoroutes : ils représentent 18 % du trafic (contre seulement 5,6 % du trafic sur l’ensemble des routes françaises) et 38 % des recettes des sociétés privées d’autoroutes. Contribuer au financement des autoroutes par l'impôt, alors que celles-ci sont des voies rapides principalement utilisées pour des fonctions commerciales ou des trajets exceptionnels, serait un non-sens.

 

D’autant que les sociétés d’autoroutes doivent aussi contractuellement adapter leurs infrastructures aux nouvelles formes de mobilité. L'essor de la voiture électrique oblige ainsi les aires à s’équiper en bornes de recharge coûteuses pour faciliter la mobilité extra-urbaine des usagers. Or, les véhicules électriques affichent encore aujourd’hui un surcoût important par rapport à leur équivalent thermique (la parité de coût d’acquisition ne sera pas atteinte avant 2025) : seuls les plus riches ou les entreprises peuvent actuellement se permettre de les acquérir. En-dehors des aires d’autoroutes, les bornes de recharge sont principalement situées dans des parkings privés, à domicile ou au siège d’entreprises, ce qui contribue à renforcer leur adoption par les plus riches. Il serait inique de faire reposer le financement d’un service et ses adaptations à la mobilité électrique sur l'ensemble des contribuables, alors que seule une minorité l’utilise. Au contraire, la transition écologique du secteur du transport doit d’abord être financée par les plus riches (sociétés d’autoroutes privées et utilisateurs), de manière à faire baisser les coûts pour les Français les plus modestes. La lenteur de la transition vers l’électrique semble n’être qu’une stratégie du gouvernement actuel pour dispenser les acteurs de la mobilité « traditionnelle » (sociétés d’autoroutes incluses) de mettre les mesures nécessaires en place. Une accélération de la transition est possible avec un gouvernement authentiquement de gauche, qui inverserait le rapport de force avec les sociétés d’autoroutes au profit de la mobilité verte.

 

Ne pas affecter le pouvoir d’achat des ménages est un préalable à une plus grande justice fiscale. Faire peser le coût de l’adaptation des infrastructures et des modes de transport sur les riches, en est un deuxième. Mais il est possible d’aller encore plus loin en restant dans le cadre existant de la concession, si tant est bien sûr qu’un gouvernement au service du bien commun émerge des élections.

 

 

Des pistes pour faire évoluer le système des concessions sans renationaliser

 

Renationaliser les autoroutes, comme le propose Jean-Luc Mélenchon, est un objectif à atteindre sur le long terme. Annoncer dès le lendemain des élections leur renationalisation risquerait de créer un bras-de-fer contre-productif entre l’État et les sociétés d’autoroutes. Ces dernières pourraient par exemple retarder voire arrêter les investissements nécessaires au développement et à l’entretien des infrastructures en réaction, alors que les concessions courent au moins jusqu’en 2031. De même, une renationalisation immédiate reviendrait pour l’État à hériter d’une dette de plus de 34 milliards d’euros. En bout de chaîne, il est possible que le risque repose sur les contribuables. Cette situation aurait pour conséquence de fragiliser un pouvoir d’achat déjà en berne pour les plus modestes d'entre eux, et en tête des préoccupations des Français pour la présidentielle.

 

Plusieurs pistes peuvent être envisagées pour progressivement aboutir à cet objectif. Au préalable, il convient de ne pas remettre le principe d’utilisateur-payeur en cause, où ceux qui payent pour l’autoroute sont ceux qui l’utilisent. Maintenir le système des péages permet de ne pas générer l’illusion au sein de la population que les autoroutes sont devenues « gratuites » alors qu’elles seraient financées par l’impôt. Faire gérer les autoroutes à des entreprises privées permet également à l’État de faire peser les risques financiers inhérents sur ces dernières, tout en gardant sa position de décisionnaire en dernier ressort.

 

Parmi les pistes à explorer pour faire évoluer le système sans renationaliser dès 2022, on peut imaginer la mise en place d’un pass gratuité dont l’obtention serait conditionnée à un certain montant de ressources par foyer. Ce pass serait financé par les sociétés d’autoroutes et permettrait aux foyers les plus modestes qui s’en privent actuellement à cause du prix des péages un accès aux autoroutes. Autre mesure envisageable, un gel de l’augmentation du prix des péages ou la mise en place de mécanismes la limitant : augmentation en-dessous du taux de l’inflation, conditionnée à des critères de déploiement de la mobilité verte par les sociétés d’autoroutes… Un tel système rognerait mécaniquement leurs profits et le montant des dividendes versés à leurs actionnaires, tout en maintenant leurs capacités financières à un niveau suffisant pour développer et entretenir le réseau selon leurs obligations contractuelles. En affichant un niveau tarifaire plus accessible, les autoroutes verraient affluer de nouveaux usagers qui privilégiaient jusqu’alors les routes gratuites, plus lentes et moins sûres.

 

Le cas particulier des autoroutes requiert donc de trouver un équilibre entre la planification écologique (prônée à raison par Jean-Luc Mélenchon) et les moyens à mettre en œuvre pour l’atteindre. Le développement de formes de mobilité plus durables ne pourra se faire sans une période de transition. Le mouvement des Gilets Jaunes est né de l’incapacité du gouvernement actuel à entendre les revendications des travailleurs silencieux dont le labeur ne suffisait plus à assurer d’un niveau de vie suffisant. Dans la perspective de 2022, il est possible d’inverser le rapport des forces entre le gouvernement et les majors du béton, sans prendre le risque d’un changement trop abrupt. La renationalisation suivra pas à pas.

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