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15 / 12 / 2010 | 18 vues
Fernando L. Teixeira / Membre
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Inscrit(e) le 14 / 12 / 2010

Obligation spécifique d'adaptation et obligation générale d'adaptation : les liaisons dangereuses

La Cour de Cassation (Cass.soc., 23 octobre 2007, n° 06-40.950) distingue 2 obligations d'adaptation à la charge de l'employeur :

  • d'une part, l'obligation générale d'adaptation ou obligation de veiller à l'employabilité des salariés : obligation d'adapter les salariés à leur poste et de veiller au maintien de leurs capacités à occuper un emploi tout au long du contrat de travail ;
  • d'autre part, l'obligation spécifique d'adaptation : obligation d'adapter les salariés à l'évolution de leur emploi et de tenter leur reclassement à l'occasion de la procédure de licenciement pour motif économique.

Deux obligations distinctes ayant des sanctions propres mais qui peuvent se cumuler


En cas de manquement à son obligation générale d'adaptation, l'employeur s'expose à être condamné à devoir verser au salarié des dommages et intérêts à ce titre.

En cas de manquement à son obligation spécifique d'adaptation, l'employeur s'expose à être condamné à devoir verser au salarié des dommages et intérêts au titre du licenciement sans cause réelle ni sérieuse.

En cas de manquement à ses deux obligations, l'employeur s'expose à être condamné à devoir verser des dommages et intérêts au titre de chaque préjudice.

Deux obligations souvent confondues


Dans une affaire récente, une Cour d'Appel (CA Versailles, 24 mars 2010, n° 09-02034), pour condamner un employeur à verser à un ancien salarié la somme de 15 000 euros (c'est-à-dire ce qui représente pour ce dernier 9 mois de salaire) de dommages et intérêts au titre du manquement à l'obligation générale d'adaptation, a relevé l'existence de deux préjudices :

  • premièrement, le salarié n'a pas été en mesure de développer son employabilité ;
  • deuxièmement, il a été mis dans l'impossibilité de postuler aux offres de reclassement proposés préalablement à son licenciement pour motif économique par son employeur, car les postes requéraient des compétences et un savoir-faire particuliers qu'il ne possédait pas.


Ce faisant, la Cour d'Appel a indirectement réparé un préjudice lié à la rupture du contrat de travail alors que le salarié n'a jamais remis en cause le caractère réel et sérieux du licenciement, que ce soit sur le plan de la validité du motif économique ou sur le plan du respect de l'obligation spécifique d'adaptation.

  • La solution est d'autant plus critiquable à nos yeux que le choix du salarié de refuser les postes de reclassement proposés est dépourvu de lien avec le manquement de l'employeur à son obligation générale d'adaptation. En effet, en cas de reclassement, l'employeur aurait été tenu d'adapter ce salarié à son nouvel emploi, via des actions de formation, en vertu de son obligation spécifique d'adaptation. La Cour de Cassation n'aura pas à se prononcer sur la validité de la décision puisque l'arrêt n'a pas fait l'objet d'un pourvoi.
La haute juridiction a récemment rappelé que le manquement de l'employeur à son obligation générale d'adaptation ne vicie pas de ce seul fait le licenciement prononcé par l'employeur (Cass.soc., 23 juin 2010 n° 09-41912).

Gageons que le message sera entendu par les juges du fond.

Prudence !

Il est fortement suggéré aux employeurs :

  • d'une part, d'inciter les salariés à développer leur employabilité ;
  • d'autre part, de préciser que les salariés acceptant les offres de reclassement bénéficieront d'actions de formation.

 
Article co-rédigé par Caroline Masson, avocate associée, et Fernando L. Teixeira, avocat, Reed Smith LLP

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Bonjour,

 

Je ne vous suis pas bien dans votre analyse de l'arrêt "union des opticiens" auquel vous faites allusion.

 Vous nous dites en particulier que la Cour de Cassation distinguerait une "obligation générale d'adaptation" d'une obligation "spécifique" d'adaptation.

 Dans cette affaire qui concernait deux salariées qui n'avaient  l'une et l'autre suivi que quelques formations dans une carrière de respectivement 24 et 12 ans,  la Cour de Cassation ne fait qu'utiliser une distinction préexistante (les deux premiers alinéas de l'article L6321-1 du code du travail ) : l'obligation d'adaptation au poste de travail d'une part (alinéa 1 de l'article L6321-1) et obligation de "veiller à" l'employabilité du salarié" visée elle au second alinéa du même article.

 Ce qui caractérise l'arrêt en question est que la Cour de Cassation précise bien que ces deux obligations ne se confondent pas et peuvent par conséquent donner lieu à des préjudices distincts pouvant justifier l'octroi de dommage-intérêts également distincts...

 Ce qui pourrait rendre l'arrêt "dangereux" pour les employeurs pourrait (entre autres) résulter par ricochet d'une modification de l'inteprétation de l'article L1233-4 du code du travail :

" Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient.(...)".

 On  s'est souvent posé la question de savoir ce que recouvrait exactement l'obligation de réaliser tous les "efforts de formation, d'adaptation et de reclassement"...

 Jusqu'à présent, on avait tendance à penser que les "efforts de formation" n'étaient au fond qu'une modalité de l'effort d'adaptation si bien que l'on était en présence de deux obligations : l'adaptation et le reclassement.

 Maintenant, on pourrait être tenté de penser qu'il n'y a plus deux mais trois obligations.

 Une obligation d'adaptation qui serait reliée au premier alinéa de l'article L6321-1 : "

"L'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail"

 Une obligation de formation qui gagne désormais son autonomie reliée elle  au second alinéa de l'article L6321-1 :

 " Il (l'employeur) veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations.

 Et pour finir une obligation générale de reclassement, censée être facilitée par l'exécution des deux obligations précédentes...

 

Cordialement

 

Bruno Callens

Docteur en Droit