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12 / 01 / 2024 | 98 vues
Sandrine Lhenry / Abonné
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Prix de l’électricité : que peut-on penser véritablement de l'accord passé entre l’État et EDF?

Le 14 novembre dernier, les ministres Bruno Le Maire, Agnès Pannier Runacher, Roland Lescure et le PDG d’EDF Luc Rémont ont annoncé être parvenus à un accord entre l’État et EDF garantissant un prix moyen de l’électricité nucléaire de 70 € le mégawattheure.Cet Accord prévoit les mécanismes de ventes, rémunérations, de la production nucléaire actuelle. Comment peut-on analyser  les différents points de cet accord et ses conséquences pour le Groupe EDF, et pour les Français ?

 

L’ARENH va donc s’arrêter en 2025 et un nouveau dispositif devrait donc le remplacer

 

Dès 2026, les fournisseurs alternatifs ne pourront effectivement plus bénéficier du dispositif d’Accès Régulé à l’Énergie Nucléaire. Depuis 2011, EDF est dans l’obligation de céder 100 TWh/an de sa production nucléaire, voire plus (120 TWh en 2022) au prix, jamais révisé depuis sa création, de 42 €/MWh. Avec une production nucléaire en baisse du fait d’aléas industriels et de la politique de fermetures de réacteurs, cette réglementation est depuis sa création un non-sens commercial pour une entreprise, car elle revient à l’obliger de vendre à perte…
 

Après la sidération de la crise, à la fois énergétique et géopolitique, que nous continuons de traverser, une fenêtre de tir s’est donc ouverte à EDF pour y mettre un terme définitif
 

Un nouveau modèle commercial va être mis en œuvre, basé sur des offres de contrats long (10 ans) et moyen terme (4 et 5 ans) selon la typologie du client. L’objectif est de pousser le marché à se stabiliser en donnant  plus de visibilité sur le prix de l’énergie. Cette nouvelle mécanique va également être régulée par une redistribution progressive des revenus dégagés.


Ainsi, 2 seuils de captation seront mis en œuvre. Lorsque les revenus annuels du parc nucléaire historique dépasseront les 78-80 €/MWh, 50 % du dépassement des revenus d’EDF seront prélevés par l’État et redistribués aux consommateurs. Lorsqu’ils dépasseront les 110 €/MWh, le prélèvement sera de 90 %.

 

Sachant que le prix fixé jusqu’ici par l’ARENH était de 42  € le MWh, comment l’État et EDF en sont arrivés à un prix de 70 €, bien loin des pics sur les marchés de 1000 € le MWh en août 2022 ?

 

Ce montant est un revenu indicatif qui considère à la fois une prévision de la fluctuation des prix de marché, mais également une prévision des volumes vendus au travers de contrats long et moyen terme. En quelque sorte, plus EDF attirera de gros industriels avec des contrats long terme, plus la locomotive stabilisera les prix afin d’éviter les pics délirants. Enfin, ce prix de 70 €/MWh est une donnée sur une période de 15 ans prenant en considération le coût de production.

 

En octobre 2023, soit quelques semaines en amont de l’aboutissement de cet accord, la CRE avait établi un rapport à la demande du gouvernement sur le coût de production du nucléaire à 60 €/MWh. Ce fut un sujet de crispation, car ce prix ne prenait pas en compte l’intégralité des coûts dont le développement. Or, entre le grand carénage et la construction des nouveaux EPR2 et SMR, le groupe EDF doit retrouver des marges de manœuvre pour assurer une large partie de la transition énergétique du pays…

 

Si les prix sont plafonnés vers le haut, protégeant ainsi professionnels et particuliers, que se passerait-il pour EDF en cas de forte baisse du prix des marchés ?

 

À l’heure actuelle, les alternatifs n’ont pas l’obligation d’acheter des volumes ARENH à 42 €/MWh lorsque les cours chutent en dessous de ce tarif. Nous avons eu un cas d’école en 2016. Les prix du pétrole, du gaz et des énergies renouvelables étaient tellement bas que les cours de l’énergie ont chuté sur le marché de gros.


De facto, la demande ARENH a été nulle provoquant des pertes importantes pour l’entreprise. Le nouveau dispositif ne permettra pas non plus de protéger l’entreprise d’un retournement du marché. En effet, le mécanisme ne propose pas de prix plancher protégeant EDF.


Cela étant, on peut considérer que le contexte est différent et le cap est désormais fixé vers une demande d’électricité croissante avec une prévision multipliée par 2 d’ici à 2050. Il s’agit du pari de l’électrification de nos usages pour ne plus être dépendant des énergies fossiles. Autre phénomène, il est prévu un bilan dans 6 mois, puis tous les 3 ans du nouveau dispositif.

 

On a pu lire que ce système permet d’éviter que la Commission européenne ne reproche à l’État d’aider EDF, quelles en sont les conséquences ?

 

En effet, tout en respectant les directives européennes, car nous sommes dans un modèle d’offre de marché complètement ouvert, ce système ne fait pas appel à l’aide d’État. Cela aurait été le cas s’il y avait eu un prix plancher et donc un filet de sécurité pour EDF. Il ne s’agit plus de réguler en captant les revenus d’EDF pour créer de la concurrence fictive comme avec l’ARENH…Et on le sait, s’il y avait eu une mécanique d’aide d’État, il aurait fallu prévoir des contreparties comme le projet Hercule et le démantèlement du groupe… mais les plans de cessions sont tout aussi illogiques lorsqu’ils rapportent de la richesse au groupe…

 

Dans ce cadre, qu’en est-il des TRVe (Les tarifs réglementés de vente d'électricité )?

 

Les TRVe vont continuer d’exister. Ils vont même être étendus à certains professionnels dépassant la puissance de 36 kVA. C’est la CRE qui décidera du nouveau cadre réglementaire.
 

Tout est à refaire dans sa construction.
 

En effet, à l’heure actuelle, le TRVe est établi par un système d’empilement de coûts, comme le coût : de l’approvisionnement à l’ARENH, du complément d’approvisionnement au marché en énergie et en capacité, de commercialisation, d’acheminement ainsi que d’une rémunération normale de l’activité de fourniture.
 

On peut espérer que certains coûts soient gommés de cette équation incompréhensible pour le client. Mais je crains que le schéma futur ne soit qu’une adaptation du modèle existant et non plus les TRVe d’avant 2015, avant l’empilement des coûts et donc l’augmentation des factures…

 

On a pu voir la réaction de certains fournisseurs alternatifs, réclamant la remise sur les  rails d’un nouvel «  Hercule  » séparant commercialisation et production. EDF aurait donc, en plus de la Commission européenne, de nombreux «amis qui lui veulent du bien » ?

 

C’est une réaction assez logique des principaux concurrents d’EDF. Tout le monde sait pertinemment que l’ARENH est un poison mortel pour le groupe EDF. Entériner sa fin, c’est possiblement laisser à l’entreprise l’opportunité de s’en sortir, voire se développer. Sa dette est aujourd’hui abyssale et on lui demande à la fois de protéger les consommateurs, de fournir de l’énergie en masse et de générer sa propre concurrence : c’est une équation aberrante que la crise énergétique a mise au grand jour.

 

Pour autant, qu’ils se rassurent, le pari ne va pas être aisé et l’État attend des retours importants. EDF n’est pas non plus à l’abri d’une nouvelle régulation désastreuse à l’avenir.

 

Enfin, pour réindustrialiser le pays, il faudra bien augmenter massivement la production d’électricité décarbonée pour peu cher, et donc redevenir compétitif d’où les tensions également avec nos voisins européens antinucléaires… Il faut aussi être cohérent, la pénurie organisée de l’énergie provoquée depuis des années sous l’influence européenne a fait augmenter les prix.

 

Il est donc nécessaire et urgent d’augmenter les moyens de production de tout notre mix énergétique. Repenser le modèle sous le seul prisme d’un service public de l’énergie décarbonée au service des citoyens pour les années futures serait l’idéal…

 

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