Participatif
ACCÈS PUBLIC
13 / 04 / 2022 | 103 vues
Benoît Robin / Membre
Articles : 5
Inscrit(e) le 14 / 10 / 2013

Vers une bénévolisation de l’action publique ?

Quand l’État et les collectivités locales mobilisent directement les bénévoles, peut-on parler de bénévolisation de l’action publique ? C'est le thème retenu pour  l'étude  (1) de Simon Cottin-Marx, enseignant-Chercheur, Université de Cergy [Laboratoire Ecole, Mutations, Apprentissages (EMA) et Laboratoire Techniques Territoires et Sociétés (LATTS)] réalisée pour la Confédération FO et l'IRES (2) et qui vient d'être publiée.
 

En France, le bénévolat est très majoritairement réalisé au sein d’associations. Mais ces dernières n’en ont pas le monopole. Les pouvoirs publics mobilisent aussi directement les bénévoles. Dans ce rapport, il réalise un panorama des dispositifs publics de mobilisation directe des bénévoles, qu’ils s’inscrivent dans le cadre de services publics étatiques ou de collectivités territoriales. En s' appuyant sur une enquête documentaire et de terrain, réalisée en 2021 dans un moment marqué par la crise sanitaire, il questionne ce que font ces bénévoles du Public et  cherche à déterminer si le travail qu’ils réalisent se substitue à celui de fonctionnaires.

 

Principaux éléments de synthèse

 

En France, le bénévolat est très majoritairement réalisé au sein d’associations. Mais ces dernières n’en ont pas le monopole. Les pouvoirs publics mobilisent aussi directement les bénévoles. Dans ce rapport, nous questionnons ce que font ces bénévoles du Public et cherchons à déterminer si le travail qu’ils réalisent se substitue à celui de fonctionnaires.

 

L’enquête que nous avons réalisée porte sur les différentes réserves de l’État (réserve citoyenne des territoires, réserve citoyenne de l’Éducation nationale, réserve citoyenne de la Police nationale, Réserve citoyenne de la Gendarmerie nationale, réserve civique) et des collectivités locales (réserve communale de sécurité civile, réserve citoyenne municipale, Monalisa). Réalisée entre février et juin 2021, une période marquée par la crise sanitaire, elle repose essentiellement sur une enquête qualitative : outre l’étude de la littérature grise (rapports, brochures, site internet, etc.) nous avons conduit une trentaine d'entretiens avec des acteurs impliqués dans ces différents dispositifs.

 

Lors de ce travail de recherche, nous avons constaté que plusieurs milliers de citoyens se sont engagés, s’engagent et s’engageront encore au sein des services publics. Cependant, il est notable qu’au moment de notre enquête, les dispositifs qui visent la mobilisation de bénévoles restent globalement restreints (Gendarmerie nationale) ou expérimentaux (Police nationale) et leur succès est parfois lié essentiellement au contexte exceptionnel de la crise sanitaire (réserve civique, réserves citoyennes municipales). La mobilisation directe des bénévoles par les pouvoirs publics reste encore modeste : aujourd’hui, si le Public fait appel aux bénévoles pour la mise en œuvre de politiques publiques, c’est massivement par le biais des associations.

 

Pour autant, ces initiatives de mobilisation directe des bénévoles par la puissance publique appellent à une vigilance syndicale. La tentation de mobiliser les bénévoles, comme ressource gratuite dans un contexte de restrictions budgétaires, est là. Le travail bénévole suscite l’intérêt : pour faire à moindres frais, pour faire faute de moyens, ou encore pour proposer un service public de meilleure qualité à coûts constants.

 

Dans la première partie du rapport, nous abordons les dispositifs d’État. Dans cette synthèse nous pouvons notamment évoquer le commissariat que nous avons étudié, un établissement où les bénévoles de la réserve citoyenne de la Police nationale sont parfois mobilisés pour « pallier » le manque d’effectifs. Les bénévoles viennent remplir certaines missions normalement dévolues à des fonctionnaires de police. C’est le cas de certaines tâches d’accueil du public ou encore de secrétariat. Ils sont aussi mobilisés de manière « complémentaire » aux fonctionnaires de police pour prendre en charge « des choses que la police ne ferait pas » comme réaliser des actions de prévention ou de médiation.

 

Les bénévoles de la réserve citoyenne de la Gendarmerie nationale sont quant à eux mobilisés pour assurer le rayonnement de cette institution ou pour apporter des expertises ponctuelles. A ces activités honorifiques et limitées, s’ajoute depuis peu la participation à la mise en place du Service National Universel (SNU). En effet, le Commandement des Réserves de la Gendarmerie (CRG) a appelé les réservistes citoyens à créer des associations de Cadets pour accueillir les jeunes effectuant leur SNU au sein de la Gendarmerie, mais aussi trouver des ressources privées pour compléter celles mises à disposition par l’État et les collectivités locales.

 

Notre enquête a également porté sur la Réserve civique, mieux connue sous le nom de sa plateforme jeveuxaider.gouv.fr. Celle-ci propose un site internet, où sont centralisées de nombreuses offres de bénévolat, essentiellement associatives mais aussi publiques. Avec cet outil, l’État ne mobilise pas directement les bénévoles, mais endosse un rôle nouveau d’interface entre bénévoles et structures (généralement associatives).

 

La seconde partie du rapport porte sur la mobilisation des bénévoles par les collectivités locales. Nous nous intéressons notamment à trois réserves citoyennes communales qui sont nées, dans le moment exceptionnel, de la crise sanitaire. La période du premier confinement (mars-mai 2020) s’est caractérisée par une forte augmentation des besoins sociaux et, dans le même temps par un ralentissement de l’activité des associations d'action sociale et de solidarité, puisqu’en raison des dangers pesant sur leur santé, les bénévoles les plus âgés n’étaient plus disponibles. Dans ce contexte particulier, plusieurs municipalités ont pallié le désengagement temporaire des associations de solidarité et créé des réserves citoyennes municipales en mobilisant des bénévoles sur des actions ponctuelles (comme les colis de noël) ou sur des tâches nouvelles liées au caractère exceptionnel de la situation sanitaire (contrôle des gestes barrières sur les marchés par exemple). Cependant, les entretiens ont révélé que les municipalités affichent clairement le projet de pérenniser ces réserves dans le temps et de continuer à mobiliser directement les bénévoles sur des actions toujours présentées comme exceptionnelles et ponctuelles. Une volonté qui augure peut-être une nouvelle forme de « démocratie participative », plus tournée vers l’action que vers la délibération et la consultation.

 

Enfin, nous nous sommes également intéressés à la Mobilisation nationale contre l’isolement social des âgés (Monalisa) qui associe acteurs publics et privés. Dans le cadre de ce dispositif, des collectivités sont amenées à organiser des bénévoles sur leur territoire. Les missions remplies par ceux-ci recouvrent certaines tâches que réalisent par ailleurs des professionnels du travail social, mais aussi des actions qui relèvent de la sphère privée. Un exemple qui montre que les frontières entre ce qui relève du travail salarié, du travail bénévole ou du travail domestique ne sont ni claires ni fixes.

 

Pour conclure, il ressort de ce rapport que la crise sanitaire commencée en 2020 a été une opportunité pour l’État et les collectivités locales pour expérimenter de nouveaux dispositifs de mobilisation directe (et indirecte) des bénévoles. Dans les études de cas réalisées, nous avons observé qu’ils sont directement « donneurs d’ordre » aux citoyens qui se portent volontaires. Ce sont les acteurs publics qui définissent les missions et mettent en mouvement les bénévoles (dans la limite de leur bonne volonté). Ainsi, si la tendance naissante à la mobilisation directe des bénévoles par les pouvoirs publics se confirme et se développe, elle ne cessera pas de soulever la question de la substitution à l’emploi. Et ce de manière d’autant plus prégnante que nous sommes dans un moment où la société salariale est déstabilisée, marquée par la montée de la précarité et du chômage.

 

(1) pour accéder à l'étude intégralement : http://www.ires.fr/index.php/etudes-recherches-ouvrages/etudes-des-organisations-syndicales/item/6452-quand-l-etat-et-les-collectivites-locales-mobilisent-directement-les-benevoles-une-benevolisation-de-l-action-publique

(2) http://www.ires.fr/index.php/institut/l-ires

 

Pas encore de commentaires