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18 / 03 / 2021 | 202 vues
Didier Forno / Membre
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Liberté d’expression au travail : peut-on tout dire au travail ?

La liberté d’expression est l’un des grands principes de notre droit. La Convention européenne des Droits de l’Homme, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen protègent ce bien capital.

 

Pour autant, peut-on tout dire au travail ?


Le droit du travail est peu disert sur le sujet. La jurisprudence a donc naturellement apporté les limites à cette liberté d’expression au fil du temps.
 

En règle générale, pour apprécier si le salarié a ou non dépassé ce droit d’expression, les juges analysent les circonstances, la nature des agissements, le caractère isolé ou non de l’agissement, les manquements antérieurs, l’existence de précédentes sanctions, les conséquences des agissements, l’ancienneté du salarié, les fonctions exercées, le niveau de responsabilité, l’attitude de l’employeur etc.
 

Une récente affaire illustre la mise en balance de ces éléments par les juges pour apprécier la gravité de la faute. Un salarié, employé d’un supermarché ayant deux ans d’ancienneté avait été licencié pour faute grave en 2015. Il lui était reproché d’avoir tenu des propos obscènes à sa supérieure hiérarchique. La Cour d’appel de Riom (arrêt du 26 janvier 2021) a considéré que la sanction était disproportionnée. Elle a estimé que, bien que le salarié ne contestait pas avoir tenu des propos grivois à sa supérieure hiérarchique, il contestait toute connotation sexiste ou à visée sexuelle quant à ses propos. Il précisait qu’il avait voulu plaisanter en interpellant sa supérieure hiérarchique en lui tenant ces propos. Les moqueries et grossièretés étaient courantes entre salariés dans l'entreprise. Plusieurs salariés (dont la moitié de femmes) ont confirmé cette « ambiance » de travail grivoise mais sans harcèlement sexuel ni intention de nuire. Il faut ajouter, confirmé par sa supérieure hiérarchique, que la veille de l’incident, le salarié avait connu une fin de journée de travail chargée et difficile. La Cour d’appel de Riom a souligné que l’employeur avait bien l’obligation de réagir face aux propos tenus par le salarié mais que la sanction disciplinaire infligée (licenciement pour faute grave) était disproportionnée, au vu des éléments du dossier.

Le licenciement est donc considéré sans cause réelle et sérieuse.


En cas de propos déplacés, l’employeur doit réagir et sanctionner le salarié mais il doit mesurer la gravité des faits, avant d’agir.

 

Qu'en est-il des représentants du personnel ? Ceux-ci peuvent-ils tout dire ?
 

Les représentants du personnel bénéficient d’un statut protecteur particulier. Celui-ci a pour but d’éviter que l’employeur n’inflige une sanction disciplinaire à un salarié, en raison de son engagement au comité social et économique (CSE), comme représentant syndical, représentant de proximité etc.
 

L’employeur conserve son pouvoir disciplinaire à l’égard du salarié protégé. Il peut donc infliger un avertissement, un blâme ou une mise à pied disciplinaire au salarié sans que ce dernier ne bénéficie d’une procédure particulière. La faute reprochée ne doit pas avoir de lien avec l’exercice du mandat.
 

Si la faute est d’une gravité suffisante pour justifier un licenciement, l’employeur doit obtenir l’autorisation préalable de licenciement auprès de l’inspecteur du travail. C’est le cas le plus délicat à traiter. Le salarié a-t-il commis une faute dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail ou dans le cadre de son mandat de représentant du personnel ? La frontière entre les deux n’est pas toujours facile à déterminer. L’inspecteur du travail procède donc à un contrôle approfondi du dossier.
 

Pour le Conseil d’État, le salarié protégé peut se rendre coupable de faits justifiant la rupture de son contrat de travail. Toutefois, il estime que le licenciement pour des faits commis dans le cadre du mandat ne se situe pas sur le terrain disciplinaire.
 

La situation peut se compliquer car des exceptions existent. En effet, « un agissement du salarié intervenu en dehors de l’exécution de son contrat de travail ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s’il traduit la méconnaissance par l’intéressé d’une obligation découlant de ce contrat ».
 

La Cour de cassation, elle, considère qu’une sanction disciplinaire à l’égard d’un représentant du personnel ne peut être prononcée qu’en raison de faits constituant un manquement du salarié à ses obligations professionnelles envers l’employeur.
 

Donc oui, en cas de trouble objectif, un représentant du personnel peut être sanctionné pour des propos déplacés tenus pendant son mandat de représentant du personnel. Mais attention ! Les faits doivent être d’une gravité certaine, se rattacher à sa vie professionnelle et caractériser un manquement à ses obligations contractuelles.

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