Participatif
ACCÈS PUBLIC
01 / 04 / 2019 | 624 vues
Jean Yves Le Gall / Membre
Articles : 14
Inscrit(e) le 12 / 01 / 2018

« Nous assistons à une étatisation du système de protection sociale » - Djamel Souami, président du CTIP

Entretien avec Djamel Souami, président du Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP) dans le cadre des entretiens du CIRIEC.
 

Quels sont les enjeux de la protection sociale pour le CTIP en 2019 ?
 

Comportant aujourd’hui 39 organismes adhérents, le Centre technique des institutions de prévoyance a été créé en 1986. Depuis 2005, il est devenu une organisation professionnelle paritaire, comprenant des représentants des syndicats d’employeurs et de salariés.

Porte-parole des institutions de prévoyance, le CTIP est chargé de défendre les intérêts de ses adhérents.

Les enjeux de 2019 sont d’envergure car tout notre système de protection sociale va connaître une profonde mutation avec les réformes du système universel de retraite, de la santé, de la santé au travail et de la perte d’autonomie.

Dans le domaine de la santé, les organismes complémentaires (institutions de prévoyance, mutuelles et sociétés d’assurance) représentent aujourd’hui 13,2 % des dépenses de santé. Ils sont donc indispensables pour garantir un meilleur accès aux soins. Ainsi, la réforme 100 % santé est rendue possible car l’assurance maladie et les organismes complémentaires se sont engagés à augmenter leur prise en charge sur certaines dépenses de santé.

Concernant la retraite, le CTIP demande à ce que tous les produits de retraite supplémentaire soient soumis au même régime, celui du Fonds de retraite professionnelle supplémentaire (FRPS) en conformité avec le cadre européen retenu pour les institutions de retraite professionnelle (IORP II) qui gèrent les activités de long terme. Plus spécifiquement sur l’épargne retraite traitée dans le projet de loi PACTE, il prône également un versement des prestations sous forme de rente.

Côté prévoyance, les garanties doivent répondre aux nouveaux besoins découlant de nouvelles formes d’emploi : télétravail, plate-forme et allongement de la durée d’activité. Dans le même temps, elles doivent rester en adéquation avec les besoins spécifiques de certains secteurs professionnels. 


Or, nous assistons à une étatisation du système de protection sociale dans un cadre où la concertation est réduite. Pourtant, la retraite, la santé et la prévoyance devraient être des pôles à travailler dans le continuum de la vie de nos assurés, avec le travail et l’autonomie notamment. Aussi, les partenaires sociaux du CTIP et les adhérents ont des propositions à faire pour que ces réformes ne soient pas qu’un empilement de mesures et qu’elles ne restent pas dans une logique de silo. Elles reposent sur quatre idées fortes.
 

Fidèles à notre culture paritaire, nous souhaitons en premier lieu privilégier le dialogue avec toutes les parties prenantes (autres familles, État, assurance maladie, professionnels de santé etc.). Ensuite, nous nous sommes engagés à investir dans la prévention et l’innovation pour développer des garanties à haute valeur ajoutée, adaptées aux besoins de tous les publics (entreprises, salariés, aidants, personnes en perte d’autonomie). En s’appuyant sur ces deux principes, le CTIP a signé un accord-cadre national de partenariat avec la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) pour favoriser le développement d’accords contractuels entre médecins libéraux et institutions de prévoyance. Sont visées les actions de prévention de dépistage et la coordination de certains parcours de soins.
 

Par ailleurs, troisième axe, nous estimons indispensable de maintenir pérenne le cadre social et fiscal du contrat collectif et de l’étendre aux garanties collectives de dépendance. Enfin et c’est fondamental, nous devons assurer la pédagogie des avantages du contrat collectif en santé, prévoyance, retraite supplémentaire et dépendance.
 

Le CTIP cultive l’innovation dans les initiatives d’intérêt général liées aux entreprises et aux salariés, pouvez-vous nous les développer ?
 

Pour les institutions de prévoyance (IP) et groupes de protection sociale (GPS), parler d’innovation revient à témoigner d’une culture née de la nécessité de répondre aux besoins des entreprises, employeurs et salariés, en matière de protection sociale. Depuis plusieurs années, nous ne cessons d’adapter nos réponses et d’innover. Cette nécessité d’innover pousse les IP et les GPS, sensibles à ces impératifs, à faire de leurs propres salariés à la fois les premiers inventeurs de solutions mais aussi les premiers utilisateurs.À titre d’exemple, dans le cadre du programme « transportez-vous bien », la CSMF et Klésia ont mis en place une action de prévention spécifique concernant 600 000 salariés non cadres de la branche du transport ( environ 9 % des effectifs totaux). L’ensemble de ces salariés bénéficie d’une consultation et d’un suivi de prévention adaptés aux risques de santé de leur profession. Cette consultation est gratuite pour le salarié. Elle est intégralement prise en charge par le fonds de prévention de la branche du transport, géré par CARCEPT PREV.
 

Autre exemple, Malakoff Médéric Humanis a décidé de travailler sur le handicap, il y a plusieurs années. Il ne s’est pas agi de construire une nouvelle garantie onéreuse mais bien plutôt d’intégrer le handicap dans toutes les actions. Le groupe a créé une fondation pour bien connaître toutes les questions liées à ce sujet et agir. En commençant par l’interne avec une politique volontariste de recrutement de personnel présentant un handicap puis en externe avec des initiatives pour battre en brèche l’image erronée du handicap en agissant soit en partenariat avec des start-ups (par ex. « I Wheel Share »), soit avec des acteurs institutionnels comme la fédération handisport.
 

Autre initiative intéressante, celle de PRO BTP en direction des aidants. Environ 11 millions de Français aident quotidiennement un proche en perte d’autonomie ou dépendant. Conscient du soutien à apporter à cette population, PRO BTP propose des solutions globales et innovantes répondant à leurs besoins.

Véritable guichet unique, « jesuisaidant.com » s’adresse aux aidants, aux aidés, aux entreprises et aux partenaires. Simple et pédagogique, cet espace est accessible au grand public et comporte des informations pratiques sur l’actualité des aidants (demande en ligne de carte d’urgence de l’aidant et accès à des contacts faciles). Il comporte un espace privé consacré aux aidants permettant de réaliser un auto-diagnostic personnalisé afin d’obtenir des conseils et des recommandations. Avec l’association AFM Téléthon, le groupe est aussi à l'initiative de la création du premier lieu de vacances pour les aidants et les aidés en même temps. De plus, tout salarié affilié à BTP prévoyance et en congé de proche aidant peut percevoir une indemnisation financière sur la base d’une analyse individualisée. En complément, le relayage en test dans plusieurs départements permet de prendre un aidé en charge à son domicile 24h sur 24 et sur plusieurs jours. 

Encore récemment, AG2R-La Mondiale, partenaire de nombreuses branches professionnelles, a conçu « branchez-vous santé ». Ce programme de prévention en santé a pour objectif d’accompagner les branches dans leur politique de gestion des risques. Il s’intéresse à trois enjeux de santé majeurs : la prévention bucco-dentaire, l’épuisement professionnel du chef d’entreprise de TPE-PME et les cancers et la prévention de leur récidive. Il sera déployé à compter d’avril 2019.
 

Quels sont les défis du paritarisme pour le CTIP ?
 

La gouvernance paritaire a ceci de particulier : elle est à la fois l’impulsion et le moteur de l’action. Grâce à elle, nous avons une capacité à dégager du consensus, du bien commun qui est, comme vous le savez, le bien le plus important. Croyez-moi, une décision prise par un conseil d’administration paritaire après des heures de dialogue et de négociation, c’est du solide ! Ces atouts sont essentiels pour les institutions de prévoyance qui sont des acteurs majeurs dans le champ de la protection sociale. D'autant que 73 % des salariés et 49 % des entreprises déclarent avoir une bonne image de la gouvernance paritaire (12e baromètre de la prévoyance CTIP-CRÉDOC 2017).
 

La gouvernance paritaire du CTIP reflète celle des IP. Le Conseil d’Administration du CTIP se compose ainsi de 30 membres : 15 pour le collège des employeurs (CPME, MEDEF, U2P, FNSEA) et 15 pour le collège des salariés (CFDT, CFTC, CFE-CGC, CGT, CGT-FO). La présidence alterne tous les 2 ans entre le collège des employeurs et le collège des salariés.
 

Pour le paritarisme, le défi en 2019 est de parvenir à faire entendre notre voix dans le débat. J’aimerais que les pouvoirs publics comprennent enfin que les corps intermédiaires ne sont pas des freins à l’action mais peuvent au contraire en être les moteurs dès lors que l’on accepte ce qu’ils ont à apporter comme propositions. Je pense que notre modèle basé sur la solidarité, le dialogue, le collectif, l’innovation sociale, la responsabilité sociétale et l’engagement non-lucratif est en réalité un modèle d’avenir. Il s’agit là d’un mode de fonctionnement dont on ne dira jamais assez combien il est adapté à la complexité du monde d’aujourd’hui.
 

Quelle a été la réaction du CTIP à l’annonce du dépôt d’un texte à  l’Assemblée nationale sur la résiliation en cours d’année sans frais des contrats complémentaires santé ?
 

Nous avons déclaré que cette initiative, annoncée sans discussion préalable avec les acteurs et sans étude, était une rupture de confiance. Le CTIP et la FNMF ont expliqué en quoi cette proposition était une fausse « bonne idée ». En plus de réduire la santé à un simple bien de consommation, cette mesure porte des idées reçues dangereuses. Non la résiliation ne va pas renforcer la concurrence (déjà très forte) dans le secteur de la complémentaire de santé, notamment d’entreprise. L’équilibre technique des contrats de santé est précaire et il n’y a quasiment plus de marge technique. Non, elle ne va pas améliorer le pouvoir d’achat des Français car elle ne sera pas « gratuite ». Cette mesure risque d’entraîner une démutualisation et une segmentation résultant sur une hausse des frais de gestion, donc des tarifs. Tout particulièrement pour nos aînés.
 

De plus, cette mesure appliquée aux contrats collectifs est un nouveau coup porté au dialogue social en entreprise et aura des effets sur le rôle de l’entreprise en tant qu’acteur de la prévention. Inscrites dans la durée, ces démarches sont menées de concert avec l’organisme complémentaire ; si ce partenariat peut être remis en question à tout moment par une résiliation infra-annuelle, les actions risquent de perdre en pertinence et en efficacité au détriment de la santé des salariés.

Pas encore de commentaires