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16 / 02 / 2019 | 82 vues
Eric Yahia / Membre
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Ambivalence du management de SAP

« Avoir de l’ancienneté, ça use, ça use. Avoir de l’ancienneté, ça use chez SAP ». Si l'on chantait dans l’entreprise pour balayer le découragement ? Car nous vivons une époque dans laquelle les contraires cohabitent. Les modes de management nous le rappellent trop souvent.

Si l’on prend la peine de méditer sur le communiqué de presse (cf ressources) de la CGT, on peut s’interroger sur la gestion de SAP.

1. Une entreprise de haute technologie peut être riche et très profitable et avoir besoin de se débarrasser de 4,4 % de son personnel pour en réembaucher 15 % avant la fin de l’année.

2. C’est en faisant partir 4 400 salariés que l’on pense simplifier l’entreprise et lui permettre d’investir dans les marchés porteurs.

3. 
Puisque l’expérience des employés est importante, on envisage donc de faire partir les vieux en priorité.

4. On a sans doute bien identifié qui devait partir mais on voudrait qu’ils partent d’eux-mêmes car on se réserve le droit de refuser les départs de volontaires qui disposeraient d’une compétence « stratégique ».

Tout se passe comme si la gouvernance de SAP, assez obscure, cherchait à étayer ses décisions et à faire porter sa responsabilité sur le choix volontaire des gens auxquels elle s’adresse. On peut spéculer que ce mode de gestion ne doit pas se limiter au domaine social. Ici ou ailleurs, il n’a d’efficacité que dans les apparences.

L’expérience réussie d’hier et d’aujourd’hui ne serait plus une condition de réussite pour demain. Elle devrait donc être effacée : le changement s’imposerait comme un dogme. En même temps, le nouveau slogan de l’entreprise est « experience matters » [1].

Il faut garder à l’esprit qu'en 2018 SAP vient d’acheter Qualtrics « la première plate-forme de gestion d’expérience au monde » pour 7 milliards d'euros. Mais les dirigeants de SAP ne prennent pas le temps de l’activer dans l’entreprise avant de « restructurer ». La solution « Qualtrics » serait-elle faite pour les clients mais pas pour SAP ?

J’ouvre ici un aparté car mon « experience » d’employé et de représentant du personnel est aussi déconcertante. SAP a acheté Concur en 2013. C’est un logiciel de gestion des déplacements professionnels aux nombreuses applications. Entre autres choses, il compte la fonctionnalité « ordre de mission » mais SAP, ne l’utilise pas. Pire, chez SAP France, on refuse trop souvent d’établir des ordres de mission pour le déplacement professionnel d’un salarié. La direction va même jusqu’à chercher à licencier un représentant du personnel qui réclamait un ordre de mission avant de partir chez un client (pour faute grave) !

Autre produit, même résultat… SAP comprend également dans son portefeuille de produits, une solution de gestion des RH. Mais SAP France est incapable d’ouvrir cette application logicielle de RH aux délégués du personnel (DP) pour un accès direct au registre du personnel. Tous les mois, il faut passer par un fichier d’extraction obtenu grâce à Microsoft Excel ! Aux DP qui s’en plaignent, la DRH répond en réunion : « On a des contraintes venant du « corporate » [2] ; ce sujet n’est pas prioritaire ».

Non, la métaphore du cordonnier ne pourra pas nous éclairer. Il faut une analyse plus fine de l’approche de SAP.

Alors que le slogan « experience matters » était répété à satiété en début d’année, lors des grandes messes commerciales et dans le monde entier, SAP a relancé une nouvelle vague de départs en préretraite afin de se débarrasser des salariés les plus âgés. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, à en croire l’article du Mannheimer Morgen du 8 février dernier : « À 55 ans, on est trop vieux chez SAP ».

Selon le représentant de l’IG Metall au comité d’entreprise de SAP, « on » craindrait que les salariés de plus de 55 ans ne puissent tout simplement plus offrir de « perspective ». « On » penserait même qu’ils ne le veulent plus ! La direction SAP aurait été accusée de « jeunisme ». Certains propos maladroits de managers auraient mécontenté les salariés allemands. La direction a dû fermement démentir en déclarant que toutes les générations travaillant chez SAP sont importantes. « Les régimes de préretraite ne sont que l’un des éléments constitutifs d’une réponse au changement démographique » [3],  aurait déclaré un responsable des RH. Ah, le changement démographique…

En somme, les dirigeants de SAP sont prêts à payer des salariés pour les voir partir mais par pour les adapter aux marchés d’avenir, ni même pour conserver une expérience utile pour des clients qui, depuis 1987, vivent une longue expérience dans les produits SAP.

À sa décharge, ce type de management s’inscrit dans l’air du temps, quand il ne le façonne pas. C’est devenu un cliché : les seniors sont trop vieux pour travailler. La seniorité commence jeune, dès la quarantaine parfois. En même temps, nos dirigeants politiques ne pensent qu’à augmenter l’âge du départ à la retraite. Nos dirigeants seraient-ils devenus schizophrènes ? Cette question se pose de plus en plus souvent.

Comme le souligne Farid Yandouz, spécialiste en conduite du changement et directeur exécutif à Trusted Advisors Group, « ces comportements quasi schizophréniques font partie du paysage de toutes les organisations au point où l’on finit par s’y habituer et que l’on essaie même de leur trouver des justifications ». Cependant, justifier les dirigeants n’empêchera pas d’éviter les conséquences de leur gestion : perte de compétences, démotivation et fragilisation des organisations.

Sans changer de personnel mais en évitant les dérives schizophrènes du management, on pourrait partir sur de nouvelles bases reposant sur les qualifications, l’expérience, l’ancienneté et les compétences. Mais c’est une autre histoire...


[1] Tentative de traduction : La réalité vécue a de l’importance.
[2]On le cherche encore et toujours, mais il reste insaisissable.


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