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15 / 11 / 2016 | 7 vues
Philippe Deslande / Membre
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Brexit, Trump : comme si les électeurs n'étaient pas aussi des salariés

Ces élections n'ont été une surprise que pour les analystes qui ont « oublié » que les électeurs étaient, pour une bonne part d’entre eux, des salariés, et que leur bulletin était donc influencé par ce qu'ils vivaient dans leur emploi. En continuant d’expliquer tout par la peur de l'étranger et la situation financière personnelle, ils s’exposent à de nouvelles surprises.

Illustrons quelques exemples de « porosités » négligées entre ces votes et le monde de l'entreprise par de récentes déclarations.

1.      Le temps de cerveau disponible : « qui est aujourd'hui l'ennemi numéro un de l'armée américaine ? Les talibans ? Al-Qaida ? L'Iran ? Non, l'ennemi, c'est PowerPoint, comme l'a affirmé, en avril 2010, le général des Marines James Mattis, selon lequel « PowerPoint nous rend stupides » (présentation du livre La pensée PowerPoint de Franck Frommer, 2010). Outre la généralisation de PowerPoint dans l’entreprise, la communication interne de certaines entreprises se base sur la suspension volontaire (heureusement de moins en moins momentanée) de l'incrédulité de leurs salariés. Les habituant ainsi à relativiser l’importance de la vérité et privilégier présentation et récit.

2.      La fin de la méritocratie : « Le réseau, un « must have » de notre époque pour 66 % des cadres interrogés. Pour les 85 % restants, le réseau se construit essentiellement au gré des rencontres et des occasions. Rencontres qui se font notamment lors des études supérieures (50 %) et du premier emploi (58 %). Une tendance encore plus marquée chez les moins de 30 ans, qui sont les plus convaincus de l’efficacité des réseaux : ils sont 86 % à considérer le réseau comme indispensable pour progresser professionnellement » (étude HEC, IPSOS et BCG de 2015). La notion de compétence affaiblit au profit du réseau, ce que les salariés peuvent constater tous les jours dans bon nombre d’entreprises, comment les électeurs ne peuvent-ils pas l’étendre à la politique ?

3.      Les « bullshits jobs » : David Graeber (américain) écrivait en 2013 « la plupart des gens qui font ces métiers en sont en fin de compte conscients. […] Il y a une classe entière de salariés qui, quand vous les rencontrez à des soirées et leur expliquez que vous faites quelque chose qui peut être considéré comme intéressant (anthropologue, par exemple), éviteront de discuter de leur métier. Mais donnez-leur quelques verres et ils se lanceront dans des tirades expliquant à quel point leur métier est stupide et inutile ». La qualité de vie au travail ne résoudra pas magiquement ce besoin de reconnaissance, et la demande de moins de bureaucratie. Se sentir heureux dans un « boulot de merde » (parce qu’il est bien payé, confortable etc..) n’est un programme acceptable par personne.

4.      La fin du contrat de travail : « Les entreprises vont chercher des solutions plus flexibles que le CDI. La notion de recrutement et de rupture est de plus en plus liée aux projets et plus aux gens. La notion de « portefeuille de missions » se substitue à celle d« emploi » : les collaborateurs mènent de front plusieurs projets avec plusieurs employeurs dans plusieurs rôles (producteur ici, réalisateur ailleurs, bénévole, investisseur...) » (Travailler en 2040 : l’entreprise obsolète, Chronique de Martin Richer, JDN, 2015). Qu’ont-ils à perdre (rappelons le contrat zéro heure des Britanniques) ?

Comme les électeurs des prochains scrutins seront aussi des salariés et que les alertes des dernières années n'ont pas été entendues, on ne peut guère se sentir optimiste quant à leurs issues. Tombés de leur chaise les médias seront rapidement rassis dessus. Pour en tomber une fois encore probablement.

Une dernière suggestion pour illustrer : allez lire sur LinkedIn (ici) un supposé discours de départ du PDG de Coca-Cola. Une pure provocation qui a, selon nous, certainement rapporté plus d'une voix à Trump. Le plus remarquable sont les commentaires, en gros de deux sortes, soit « c’est scandaleux », soit « belle leçon de vie ». Notez les type de profils en fonction du type de commentaire : Oui vraiment, « Houston, we have a problem » (« nous avons un problème »). Coupure si profonde que c’est à se demander si les sociologues ne devraient pas être remplacés d’urgence par des ethnologues.

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