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02 / 02 / 2015 | 1 vue
Didier Cozin / Membre
Articles : 59
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Quelles sanctions en cas de non-formation suite à la loi du 5 mars 2014 ?

Si en matière de formation le compte personnel de formation occupe le devant de la scène médiatique, la réforme de la formation compte bien autres mesures importantes sur lesquelles il faut désormais se pencher. L'une des grandes nouveautés est le passage de l'obligation fiscale de dépenser à l'obligation sociale de former.

Cette obligation aura des conséquences bien plus importantes pour les entreprises que l'instauration d'un compte personnel de formation en lieu et place du DIF.

Le passage à une obligation de formation

 

En 45 années de règlementations formation, notre pays est donc passé d'une obligation de dépenser (un montant proportionnel aux salaires) à celle de former chaque salarié sur une nouvelle qualification ou une certification.

Le choc risque d'être rude dans nombre d'organisations pour qui la loi de Parreto s'appliquait invariablement : 80 % des budgets formation consacrés aux 20 % des salariés les plus qualifiés.

Trois critères formation sont à prendre en compte

Tous les six ans, l'employeur doit désormais remonter à son OPCA l'intégralité des entretiens et du parcours professionnel de chacun de ses salariés. Cette remontée d'informations professionnelles se fera par le biais d'un état des lieux complet pour chaque salarié (dès le premier salarié).

« Cet état des lieux, qui donne lieu à la rédaction d’un document dont une copie est remise au salarié, permet de vérifier que le salarié a bénéficié au cours des six dernières années des entretiens professionnels et d’apprécier s’il a :

  • suivi au moins une action de formation ;
  • acquis des éléments de certification par la formation ou par une validation des acquis de son expérience ;
  • bénéficié d’une progression salariale ou professionnelle ».

Notons que si cette obligation de formation concerne toutes les entreprises (dès le premier salarié), seules les entreprises de plus de 50 salariés seront automatiquement sanctionnées  avec des abondements correctifs en cas de manquement à leurs obligations de formation.
Comment apprécier les trois critères et vérifier que chaque salarié s'est bien formé ?

Si l'employeur avait déjà l'obligation d'adapter chaque salarié à son poste de travail (via le plan de formation) et de maintenir l'employabilité (via le plan et le défunt DIF), il doit désormais prouver que la personne s'est effectivement formée sur une formation longue ou certifiante.

Les 3 critères fixés par la loi

1- Le suivi d'une action de formation au moins. Ce critère sera le plus facile à remplir : très peu d'entreprises ne forment pas du tout leur salarié, ne serait-ce qu'une seule journée sur le plan de formation (formations règlementaires ou obligatoires).

2- Acquis des éléments de certification par la formation ou la VAE. Même si la VAE va connaître un certain regain, celle-ci ne pourra jamais couvrir l'intégralité des effectifs salariés des entreprises en France tant la démarche de VAE est lourde, contraignante et complexe aussi bien pour le candidat que pour les organismes certificateurs et les jurys.

Dès lors, les salariés devront acquérir des éléments de certification par la formation et deux possibilités s'offrent à eux :

  • se former via le CPF sur une formation certifiante ou qualifiante nationale, interprofessionnelle ou de branche. Ces formations ont une durée de 150 à plusieurs milliers d'heures et comme elles doivent être réalisées hors temps de travail, il est difficile d'imaginer beaucoup de salariés les utilisant (le DIF a été exceptionnellement réalisé hors temps de travail et les durées étaient très courtes).
  • ou encore se former sur le socle des compétences et connaissances en milieu professionnel (S3CP). 
Cette seconde solution présente de nombreux avantages :
  • la souplesse dans le choix et les modalités des formations (pas de listes, pas de durée, pas d'opérateur imposé) ;
  • l'adaptation au contexte professionnel (donc ouvert à tous les salariés et pas seulement aux moins qualifiés) ;
  • la réalisation sur le temps de travail, sur simple demande du salarié donc sans nécessiter un autre accord que sur les dates des formations ;
  • la préparation d'une certification « socle des compétences ».

3- Bénéficier d’une progression salariale ou professionnelle

C'est le critère le plus controversé et sujet à interprétations.

En effet, par sa formulation (la progression salariale placée en tête), bien des entreprises et directions financières pourraient estimer qu'une simple augmentation générale des salaires (comme les salariés en bénéficient obligatoirement avec les NAO depuis 2005) permettrait de remplir ce troisième critère.

  • Il s'agit d'une lecture contestable et sans doute erronée de la loi.

Il n'y a aucune raison de penser que dans l'esprit de cette loi portant sur la formation, le développement des compétences et de nouvelles qualifications il fallait prendre en compte les habituelles (et obligatoires) augmentations de salaire généralisées et déconnectées des résultats individuels.

Si ce critère de la seule progression salariale du salarié (non liée à un changement de métier, de qualification ou à une promotion individuelle) était accrédité par les pouvoirs publics, aucun progrès ne serait à attendre en formation pour le personnel peu qualifié qui continuerait à « bénéficier » :

  • de formations courtes du plan sur une ou deux journées et d'augmentations de salaire généralisées sans lieu avec une quelconque promotion professionnelle.

Dans un pays où près d'un quart des adultes présente un faible niveau de littératie (étude de l'OCDE de 2013), la réforme n'aurait donc aucune conséquence sur les pratiques de formation, la compétitivité du pays ou l'employabilité des gens.

Alors que la loi attend encore son decret, que conclure sur le socle des compétences ?

Au travail, il existe aujourd'hui (bien plus qu'hier sans doute) un fossé important entre les travailleurs très qualifiés, bénéficiant de nombreuses formations mais aussi et surtout d'un travail à forte valeur ajoutée, valorisé et stimulant intellectuellement, et les autres travailleurs, employés ou ouvriers précaires qui n'auraient pas pu ou pas su évoluer au travail depuis les années 1990.

Mais dans la société de la connaissance et de l'information, tous les travailleurs doivent apprendre sans cesse et toujours mieux (en y consacrant peut être 10 % de leur temps travaillé). Si notre pays ne veut pas dresser une nouvelle fois le constat d'un échec de sa formation, il lui faut d'urgence faire monter en compétences tous les travailleurs (et pas seulement les salariés en CDI dans les grandes entreprises).

C'est un redoutable défi, sans doute comparable à celui fourni par la France lors de la reconstruction du pays après guerre. Aujourd'hui, ce n'est pas tant de nouvelles infrastructures ou machines que nous avons besoin mais de gens capables d'habiter leur travail, de prendre part à l'activité de demain, un travail forcément plus complexe et exigeant que celui de la société industrielle.

Si les entreprises prennent part à cet effort, il faudra que l'État assume lui aussi ses responsabilités éducative en reprenant le dossier d'une école en déshérence, transformée depuis 30 ans en une immense maison des jeunes, sans la culture. La formation et l'éduction sont des continuums, les 20 % d'une génération de jeunes qui quittent l'école sans aucun bagage éducatif ne peuvent être « rattrapés » par une formation professionnelle qui a déjà fort à faire avec les travailleurs en poste et les nombreux reclassements engendrés par la crise. 

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