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20 / 01 / 2015 | 2 vues
Denis Poitrey / Membre
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Disparition des CHSCT (2) : favoriser une « capacité des entreprises à s’adapter aux mutations économiques et sociales » selon le MEDEF ?

Une chose est de vouloir plaquer dans l’urgence, avec un manque d’anticipation, une absence de réflexion et de recul, le modèle du « Betriebsrat » en usage outre-Rhin, encore faut-il que celui-ci soit en phase avec des équilibres correspondant aux formes à travers lesquelles le dialogue social en France s’est bâti, le mouvement ouvrier s’est structuré, sur un temps de long et l’équilibre qui en a finalement résulté.

Conditions de travail et prérogatives en matière d’hygiène, de santé et de sécurité : distinguer la forme du fond 

Le MEDEF affirme, dans son texte, vouloir rompre avec une sorte de dérive qu’il qualifie de « formalisme » en matière de dialogue social. Louable objectif. Qui est pour le formalisme ? Mais qui, en l’espèce, privilégie la forme du fond ? Certainement pas les CHSCT car, par leur existence, plus de 26 0000 CHSCT et donc des dizaines de milliers d’élus mettent en débat, au-delà de leur fonction protectrice et au plus près du terrain, les mutations du travail et leurs conséquences. Un maillage de prévention, une somme d’engagements individuels, riche à la fois de diversités et de dialogue social. Un cadre unique qui s’est construit en plus de vingt ans. D’un autre côté et dans un même mouvement, ce n’est pas leur seule volonté en propre qui aura, à elle seule, contribué à donner au CHSCT la place qu’il occupe désormais : ce sont bien les mutations du travail qui y auront contribué. L’un des centres d’équilibre de ses mutations du travail se situe, aujourd’hui et en grande partie, dans les entreprises de moins de 300 salariés et dans les ETI. La sagesse ne serait-elle pas, plutôt que de songer à les faire disparaître, d’envisager de les renforcer, notamment en matière d’accompagnement et de formation ? Nous y reviendrons. En effet, ces structures jouent un rôle de proximité et de débat central alors qu’une partie des ressorts de croissance se situent précisément à ce niveau. Ce cadre d’équilibre contribue à la fois à l’instauration d’un dialogue autour et sur le travail et une opportunité pour les entreprises d’évoluer. Nous sommes bien là sur une question de fond. Sauf à dire clairement que les questions du travail seront le parent pauvre du dialogue social, et il faut alors le dire, et selon l’adage « qui veut la fin veut aussi les moyens » enlever des moyens, et là aussi, il convient de nommer les choses car, c’est précisément de cela qu'il s’agit, ne sera pas sans conséquences.

Conditions de travail et mutations du travail : sous couvert d’anti- formalisme, demain l’ankylose ?

Prenons pour exemple celui du « projet important » dans une entreprise. Dans ce contexte et au sens de l’article L. 4612-8 du Code du travail, il est prescrit à l’employeur de consulter cette instance « avant toute décision d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail ». « Contrainte » ? Réunionite ? Regardons y de plus près : la pratique, dans bien des entreprises, a pendant longtemps été de réaliser (par une sorte de « simplification » empirique et avant l’heure) un simple copier/coller du document d’information-consultation présenté au comité d’entreprise. Nul ne saurait disconvenir que cette pratique peut être qualifiée de vision à tout le moins formaliste du dialogue social : les élus étaient consultés, les réunions convoquées (le plus souvent dans les délais) et les avis (au demeurant uniquement consultatifs) rendus aussi. Dans la plupart des cas. Formellement, les apparences étaient sauves, ce qui, s’agissant d’un projet d’importance pour l’entreprise, est au demeurant symptomatique.

Le renard, le poulailler et la fable de la contrainte

Comme le rappelle avec justesse le dictionnaire Larousse, la contrainte consiste en une « obligation créée par les règles en usage dans un milieu, par les lois  propres à un domaine, par une nécessité ». Cette « nécessité » portée, par exemple, par une simple disposition du Code du travail, fait obligation à l’employeur de présenter une information de qualité aux fins d’anticiper les conséquences d’un projet en matière de conditions de travail, d’hygiène et sécurité à l’instance concernée : le CHSCT. Celle-ci produit différents effets. Tout d’abord, la « contrainte » de  devoir produire un document « ad hoc » entraîne ipso facto que soit favorisé qu’un débat autour du travail puisse voir le jour. Celui-ci appartient à des parties légitimées disposant de prérogatives et de moyens. Il ne s’agit pas là d’une obligation au dialogue car pour dialoguer, il faut être deux, notamment laisser une place à un interlocuteur légitimé. Les élus, eux, ont le choix d’analyser eux-mêmes ces conséquences ou de recourir à une expertise agréée pour éclairer leur avis s’ils considèrent que la complexité du sujet requiert une aide technique extérieure. À l’usage, le constat est que ce cadre d’équilibre et les jurisprudences qui lui sont rattachées constitue, aussi, un incitatif pour les employeurs et leurs conseils d’intégrer dans leurs projets (et plus en amont) une réflexion sur le travail et ses conditions. C’est bien au bénéfice de tous les salariés mais aussi des entreprises, l’un des apports du CHSCT aujourd’hui.

CHSCT : mais est-ce que les seules les conditions de travail sont mises en débat ?

Oui bien sûr. Mais pas seulement. Car, au travers des conditions de travail, c’est au réel que les projets se trouvent bien souvent confrontés. L’expérience constatée au plus près du terrain montre que, dans bien des cas, les projets présentés, l’anticipation de leurs effets, les schémas purement organisationnels ou financiers, voire « hors sol » sur lesquels ils fondaient leur pertinence, trouvent parfois leur limite au regard de la réalité du travail. Ceux-ci (dans les meilleurs des cas et lorsque le sujet est analysé) étant bien souvent fondés sur des visions uniquement prescriptives du travail (ce que serait censé être le travail) qui lorsque confrontées au travail réel présentent des failles. Les exemples sont légion.

Prérogatives des élus. Libertés formelles et libertés réelles : le retour à un nouveau formalisme qui ne veut pas dire son nom

Or, ces visions prescriptives sont l’une des sources de dysfonctionnements qui affectent l’organisation. Créatrices de désordres, elles ne facilitent, par ailleurs, en aucun cas des mutations (parfois nécessaires) mais, bien plus, génèrent des boucles de rétroaction allant du stress, au désengagement, jusqu’aux incivilités dans les rapports avec les usagers, clients et consommateurs. C’est précisément la démarche d’équilibre, au travers des CHSCT, qui participe à ce que soit progressivement prise en compte la nécessité d’anticiper en tenant compte du réel. Le texte du MEDEF fait mine de regretter un débat se focalisant « trop souvent sur le strict respect des obligations formelles ». Pourtant  au vu des moyens proposés dans ce texte, l’avis des élus ne sera plus considéré par l’employeur que comme un passage obligé dans le déploiement des  projet avec tous les risques induits. Il s’agit là d’un retour dans les faits à « un nouveau formalisme » qui ne veut pas dire son nom. Concrètement et par le symbole même (une simple commission), les questions du travail se voient reléguées au second plan. Bien plus (y compris dans sa nouvelle mouture), ce texte introduit, par ses imprécisions et ses non-dits, une sorte de liberté formelle, un droit de façade qui va à l’encontre d’une liberté réelle puisque par une absence de prérogatives maintenant des équilibres (notamment en matière de risque grave, de libre désignation d’expert etc.) celle-ci entrave, pour les élus, une capacité réelle à faire et à agir. Une forme de monnaie de singe sur le dialogue social autour du travail : comme le disait Staline « une fois qu’on a tranché la tête on ne s’occupe plus des cheveux ».

Après avoir été celui des transformations du travail, le monde qui vient sera celui des mutations du travail

Ce sont précisément les questions du travail qui deviennent centrales dans la période : nul ne disconvient plus que les évolutions de l’économie amènent les entreprises à devoir faire face à de nouveaux enjeux et que leur aptitude à s’en saisir constitue aussi pour la société dans son ensemble, de dégager les voies et les moyens de retrouver une croissance génératrice d’emplois. Ces évolutions sont synonymes pour l’entreprise d’adaptations, de mutations voire de ruptures. Il y a maintenant plus de dix ans, le Bureau International du Travail (BIT) soulignait que : « l’omniprésence des nouvelles technologies, (…) entraîne une reconfiguration massive de la production et de la distribution mondiales, ainsi que des modes de gestion des entreprises et des organismes publics, ce qui n’est pas sans avoir d’importantes répercussions sur la structure de l’emploi ».


Beaucoup font le constat que de nouveaux paradigmes de croissance, des mutations structurelles et des redistributions des activités sont en gestation. Certains évoquent même une troisième révolution industrielle. Différentes études prospectives anticipent, par exemple, qu’entre 40 % à 70 % des emplois actuels seraient susceptibles d’être automatisés dans vingt ans, que des fonctions devraient, elles, tout simplement disparaître et d’autres émerger. Ces processus porteurs de nouvelles ruptures, posent aussi celles des transitions professionnelles. Les mutations en cours sont si nombreuses et diverses qu’il n’est possible, dans le cadre de cet article, de n‘en mentionner que quelques unes comme par exemple la question des « knowledge workers » et des métiers susceptibles ou en passe de devenir des métiers d’exécution ; les évolutions techniques (robotique, prototypage rapide, fabrication additive, imprimante 3D etc.) affectant le contenu, les modes, les métiers mais aussi le rapport au travail ; l’obsolescence de certains produits, la dématérialisation et le numérique sont également au centre des ruptures en cours. Prenons ainsi la question de l’irruption des technologies numériques : celles-ci entraînent à la fois des transformations du travail, de son organisation, de ses règles, de ses métiers. D’un autre côté, l’économie numérique en tant que secteur de l’économie en soi, le secteur numérique et l’économie digitale viennent bouleverser non seulement le monde du travail mais aussi l’entreprise et ses marchés. On voit bien là que les deux questions sont liées, celle de l’emploi et de la croissance. La construction de nouvelles chaînes de valeur et l’aptitude à recréer des emplois non délocalisables, par exemple, sont parties intégrantes des questions des conditions de travail et de croissance. L’ensemble de ces ruptures portent les germes, à la fois, de risques et d’opportunités ainsi que de nouvelles sources de création de valeur, tant pour l’individu que pour l’entreprise.

Cours, camarade MEDEF, le vieux monde est derrière toi !

Pour les entreprises comme pour les salariés, qualité du travail, travail de qualité, qualité au travail sont des enjeux de croissance et de création de valeur. Nous sommes au cœur des questions de croissance. Prenons le simple exemple qui est celui de l’aménagement des lieux de travail : cette question peut être très directement reliée aux conditions dans lesquelles est favorisé (ou non) le développement de l’innovation au sein d’une organisation et de ses collectifs de travail. Ce sont précisément les questions qui sont posées au sein des CHSCT. Les réponses apportées portent sur le travail, son organisation ses déclinaisons mais renvoient aussi à la perception que les salariés se font de la qualité de leur travail et au travail. Ce sont toutes les questions relatives, par exemple, au travail prescrit et celles de la qualité réelle : qualité des processus, qualité des régulations, qualité des procédures mais également qualité des produits et des services. Alors que l’évolution de la planète s’accélère, il ne suffit plus d’habiller un logiciel ancien en truffant d’anglicismes sa communication publique pour faire œuvre de modernité. Sur le fond, le nouveau logiciel social proposé par le MEDEF aux organisations syndicales fait penser à ce vieux slogan « Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi ». L’impression qui domine, c’est qu’en reléguant le travail à un simple sujet de commission sans moyens ni prérogatives claires, que c’est avec un logiciel de la fin des années 1960, que sont abordés dans ce texte les enjeux de la modernité. Comme le disait Georges Clemenceau : « Si vous voulez enterrer un problème, nommez une commission ».

Quand le MEDEF, à travers un concept de « croissance sans adhésion », produit les conditions d’un nouveau présentéisme en entreprise

Le texte du MEDEF s’inquiète des questions « d’image de l’entreprise » mais au-delà des règles du travail, règles de métier, règles du collectif de travail, c’est aussi pour les salariés la construction de valeurs « en situation de travail », celles de la concordance avec leurs propres valeurs, du sens mis dans le travail qui est en jeu. Mettre en débat le travail ce n’est pas uniquement aborder la question des conditions de travail, c’est aussi aborder, au travers de ces mêmes conditions, les questions liées à la  croissance. C’est enfin, la capacité pour l’entreprise, de réfléchir avec le corps social, par un débat adulte, aux mutations en cours et à venir : mutations du travail, mutations des métiers, gestion négociée des transitions sociales et professionnelles. On a là une occasion pour le corps social de rebâtir des équilibres. Cet équilibre passe aussi par le CHSCT parce que celui-ci passe précisément par le travail.

Dans le monde qui vient, un nouvel habitus en formation : celui de l’individu et de son rapport au travail

Les mutations en cours entraîneront une évolution des formes d’emploi. Celles-ci sont en gestation. En facilitant le travail à distance, les technologies numériques posent, par exemple, la question du télétravail, de l'« e-travail » et de l’entreprise dématérialisée. Sont ainsi posées en filigrane les questions d’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle mais aussi celles de la préservation de la sphère privée de son équilibre, du lien avec l’autre, avec les autres. Les frontières de l’entreprise sont, elles, en pleine mutation qu’il s’agisse d’entreprises étendues, d’entreprises en réseaux ou collaboratives. Certaines entreprises opèrent encore à partir d’une structure unique et centralisée, dans laquelle des salariés identifiés exécutent des processus prédéfinis alors qu’émergent des formes d’organisation modulaires. Dans cette mutation, l’aptitude à faire collaborer des métiers traditionnels et des nouveaux métiers, des générations issues de la seconde révolution industrielle (qui voient l’âge de leur départ à la retraite s’éloigner) et les générations montantes nées à l’ère digitale, aura une conséquence sur la cohésion de l’entreprise et le lien social mais posent au-delà de la seule question de l’entreprise celle du vivre ensemble. Ce qui fonde le pacte républicain.   

La porosité des frontières de l’entreprise, l’irruption en son sein de débats sociétaux, la demande d’une prise en compte de l’individu au travail dans sa diversité (processus d’inclusion, demandes et revendications liées aux pratiques cultuelles, diversité ethnique et culturelle) concerne à la fois les conditions de travail, le lieu de travail, l’organisation du travail, la place laissée à l’individu, et la cohésion des collectifs de travail. Il s’agit là  aussi de questions qui se nouent dans et en dehors du travail. Seul le CHSCT est en capacité, au sein de l’entreprise et actuellement de mettre ces questions à l’ordre du jour dans un cadre régulé.   
La croissance, c’est aussi l’aptitude pour l’entreprise de pouvoir prendre en compte, à travers ces mutations, non seulement les nouvelles déclinaisons organisationnelles découlant des conséquences technologiques mentionnées plus haut, mais aussi l’émergence de nouveaux rapports au travail et de les mettre en débat. Or, ces changements, si l’on peut anticiper qu’ils seront profonds, seront également hétérogènes selon les secteurs professionnels, les branches et les territoires. La demande sociale de mise en phase de l’entreprise avec les aspirations des individus va de pair avec les opportunités contenues dans l’émergence de modes de production différents. Les ressorts sur lesquels s’appuiera cette dynamique et les biens et services qui en résulteront restent encore largement à inventer. Ils nécessitent une mise en débat du travail. Ce sont aussi des questions de société mais aussi d’image pour l’entreprise, celles du travail durable et du travail décent au sens du BIT. La croissance, c’est aussi cela.

À travers le texte du MEDEF, ce qui nous est proposé, c’est en définitive une forme de croissance sans adhésion. Espérons que la croissance, par rupture d’équilibres sociaux, ne se soit pas tiré une balle dans le pied et que nous ne passions pas de la société de l’anxiété à celle du désengagement.

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