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17 / 07 / 2012 | 16 vues
Patricia Mouysset / Membre
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Le travail de nuit : une véritable question de santé publique

Le risque de cancer du sein est significativement augmenté de 30 % chez les femmes travaillant la nuit. Voilà les conclusions de l’étude menée par l’INSERM et publiée le 18 juin 2012, étude confirmant les présomptions déjà avancées par le CIRC en 2008 et par d’autres études menées depuis les années 2000. Le facteur de risque passe à 50 % dans le cas de femmes qui ont travaillé de nuit avant leur premier enfant car leurs cellules mammaires sont incomplètement différenciées et par conséquent plus sensibles à des perturbations. Plus précisément, le risque de développer un cancer du sein est augmenté chez les femmes ayant travaillé de nuit pendant plus de 4 ans. Les femmes travaillant avec un rythme de travail basé sur moins de 3 nuits par semaine sont aussi touchées.

Chacun sait que l’homme est un animal diurne. Son horloge biologique, logé dans le cerveau, régule l’alternance harmonieuse de jour et nuit et rythme le fonctionnement de notre organisme, notamment les sécrétions hormonales. La luminosité est l’un des principaux stimuli (avec le bruit) et permet de synchroniser les grands rythmes biologiques : activant ou inhibant les réactions physiologiques de notre organisme.

La journée, notre cerveau est vigilant et enregistre les messages du monde extérieur et nos performances physiques et mentales sont maximales. En fin de journée, quand la luminosité commence à baisser, la sécrétion de mélatonine, l’hormone du sommeil, commence. La température du corps s’abaisse. Ce sont les premiers signes de l’endormissement. Tous ces stimuli sont décodés par le cerveau, décidant alors de basculer en phase de sommeil. Le cerveau va traiter, classer les informations accumulées au cours de la journée, consolider la mémoire, reconstituer le stock en énergie nécessaire au fonctionnement dans la journée du cerveau. Comme dit plus haut, les hormones sont pour la plupart sécrétées durant la nuit, entre autres la mélatonine et le cortisol. À l’approche du réveil, le cerveau aura reçu tous les éléments nécessaires à son fonctionnement diurne.

Face à ces explications succinctes, il est aisé de comprendre que le fait d’être exposé à la lumière pendant la phase nocturne va avoir des conséquences non seulement au niveau psychique mais aussi physiologique par la perturbation des rythmes circadiens et chrono biologiques. La sécrétion de la mélatonine est alors perturbée, inhibée en présence de lumière. Cette hormone est en temps normal distillée la nuit avec un pic de sécrétion vers les 5H et règle nos rythmes circadiens. Par exemple, bien connue dans les pays nordiques, la baisse de luminosité hivernale est à l’origine d’asthénies, de déprimes qui disparaissent au printemps. Un bref stimuli lumineux d’une certaine intensité suffit pour faire chuter voire inhiber sa sécrétion. Cette hormone est importante dans la régulation cellulaire. Puissant antioxydant, elle élimine les radicaux libres favorisant la synthèse de l’ADN. Ainsi, le mécanisme des divisions cellulaires se réalise avec beaucoup moins de risques d’erreurs et permet ainsi la production de cellules « normales ». Elle renforce la réponse immunitaire et enfin, elle régule la production d’œstrogènes dont l’imprégnation prolongée peut augmenter le risque de cancer du sein chez la femme…

Le cancer du sein touche d’après les chiffres de l’INSERM « 100 femmes sur 100 000 par an dans les pays développés. Chaque année, plus de 1,3 million de nouveaux cas sont diagnostiqués dont 53 000 en France. Les facteurs de risque de cancer du sein sont variés. Ils incluent des mutations génétiques, un âge tardif à la première grossesse, une faible parité ou encore les traitements hormonaux mais les facteurs liés au style de vie, les causes environnementales ou professionnelles du cancer du sein ne sont pas complètement identifiés ».

En 2008, les études du CIRC avaient essentiellement porté sur les infirmières et les hôtesses de l’air. Les métiers les plus touchés par le travail alterné se trouvent majoritairement dans les secteurs de la santé, de l’industrie, des transports, des communications.

Dès 1892, le travail de nuit des femmes était interdit en France afin de les préserver de conditions de travail extrêmement pénibles. Il s’agissait à l’époque d’un certain protectionnisme de la famille qui mettait le travail masculin à l’abri de la concurrence féminine, discrimination dénoncée bien plus tard en 2000. En 1999, non conforme avec le droit européen, la France a été condamnée par Bruxelles pour cette entorse « sur l’égalité de traitement entre hommes et femmes dans l’accès à l’emploi, la formation et la promotion professionnelle et les conditions de travail ». La France devait par conséquent, sous peine d’astreinte financière, assurer la mise en conformité du droit du travail avec le droit européen. Deux solutions possibles se présentaient au gouvernement de l’époque :

  • soit interdire le travail de nuit pour tous les salariés, jugé difficilement compatible avec la réalité et les besoins économiques et exigeant de très nombreuses dérogations ;
  • soit l’autoriser pour les femmes dans une logique d’égalité.


Pour différentes raisons politico économiques, par simplicité peut-être, la seconde solution a été adoptée et en 2002, la suppression de la protection des femmes a été prise.

Le travail de nuit est certes prouvé comme étant maintenant un agent cancérogène pour les femmes mais qu’en est-il pour l’homme ?

Une littérature abondante démontre qu’au-delà des sexes, ce type de travail est néfaste pour la santé du commun des mortels à plus ou moins long terme : d’abord, ce sont les troubles du sommeil, les problèmes de récupération, la fatigue qui s’installe, la consommation de médicaments qui sert de béquille pour dissiper la fatigue s’installant.

Mais encore, le travail de nuit induit une mutation et un déséquilibre nutritionnel laissant place à des troubles digestifs chroniques. Un comportement alimentaire se modifie et il n’est plus en phase avec le fonctionnement physiologique de notre organisme. À plus long terme, l’usure de l’organisme s’accentue par cette dette de sommeil se creusant, amène à l’installation du stress à l’origine d’un risque accru de dépression, le surpoids, le tabagisme, le sentiment d’isolement aussi (aspect social), l’hypertension artérielle… Toutes ces perturbations biologiques font le lit à terme des risques cardio-vasculaires. On parle de cancer du sein chez la femme, mais certaines études du CIRC font un lien entre le travail de nuit posté avec la probabilité de cancers colorectaux sans distinction de sexe…


Au-delà de l’aspect santé physique, il est à noter les perturbations sur la vie sociale et familiale dues à ces décalages entre la vie professionnelle et la vie familiale et personnelle. Cela entraîne certaines familles dans des spirales infernales (isolement, problèmes de transport, de gardes d’enfants, répercussions sur la vie du couple, sur la sexualité, la reproduction, sur l’enfant à venir…). Certes, il existe de nombreux avantages ou accommodements qui peuvent trouver grâce à certains yeux et situations familiales, comme des repos, des majorations de salaires accordés en compensation. Néanmoins, cela ne doit pas occulter l'effet négatif qui se révèle de plus en plus à nous, hommes et femmes.

Maladies professionnelles

  • Au-delà de cette notion d’égalité de sexe et de parité, il doit être mis en regard cette véritable question de santé publique, face à un nombre croissant de salariés exposés au travail de nuit.

L’interdiction totale du travail de nuit n’est évidemment pas souhaitable, ni envisageable, ne serait-ce que pour assurer la continuité des services publics. D’autres organisations de travail sont possibles et ont été étudiées, réfléchies. Dans ce cadre, les CHSCT, les instances représentatives du personnel de façon générale ont toute leur place et toute leur légitimité et seront le moteur de cette réflexion des éventuelles mutations pour la prévention de ce risque professionnel. Il est déjà pris en compte dans le cadre de l’accord sur la pénibilité au travail le considérant comme pouvant provoquer un dommage irréversible et permanent sur la santé des salariés.

La création d’un nouveau tableaux des maladies professionnelles, dédié au travail de nuit, s’inscrirait naturellement dans cette suite logique de la reconnaissance de ce risque.

  • Cette réflexion n’est pas si saugrenue que cela. Elle va prochainement être mise en application au Danemark. En effet, le gouvernement danois indemnisera les femmes atteintes et ayant travaillé pendant plusieurs années la nuit, que ces horaires nocturnes aient été permanent ou alternés avec le travail de jour… Le but du jeu serait quand même de considérer hommes et femmes.


Sur un plan plus global, on peut s’interroger à terme sur les nuisances de la pollution lumineuse. Des perturbations sont envisageables et mêmes déjà perceptibles, sur notre environnement nocturne, les comportements du monde animal, les cycles des divers écosystèmes qui rythment la vie sur notre planète bleue.

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