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29 / 09 / 2011 | 246 vues
Jean-Claude Delgenes / Membre
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Le mal-logement, un facteur de risques psychosociaux

L'un des aspects les plus souvent méconnus dans le mal-être au travail qui étreint les salaries et leurs conditions de logement. Je me suis rendu en vacances au Portugal, cet été. Les gens vivent la crise de manière moins dure car les logements y sont beaucoup moins chers qu’en France. Lisbonne offre encore des milliers d’appartements aux tarifs bloqués pour les classes populaires. Nos fameux loyers de 1948 ont hélas disparu. Ce qui se joue d’ailleurs a Lisbonne actuellement est la suppression de ces loyers très faibles.

On peut dire sans exagérer que le logement en France est l’une des problématiques  nationales dans laquelle nos élites ont vraiment su donner toute leur mesure, comme aurait dit un humoriste célèbre. Aucune anticipation sociologique réelle n’a été faire depuis les années 1980. Ou alors celles-ci sont restées bien clandestines. Depuis 30 ans, on a assisté à une explosion des divorces, à un vieillissement de la population avec une espérance de vie plus longue qui s’allonge actuellement de 3 mois par an. Ces évolutions ont conduit à une forte croissance du nombre de ménages Nous avons aujourd’hui plus de 320 000 nouveaux ménages par an, dans les années 1980, ce volume était de 250 000.

  • L’erreur majeure de prospective démographique a conduit à relâcher la construction de logements. En 1975, 550 000 logements étaient mis en chantier chaque année. Ce chiffre est tombé a 285 000 à la fin des années 1990. Selon la fondation Abbé Pierre, il faudrait construire 500 000 logements sociaux par an pendant dix ans pour rattraper notre retard.

Les témoignages ne manquent pas sur les salaries modestes qui sont dans l’impossibilité de se loger, de trouver un toit. Il y a quelques temps, je participais à un colloque organisé à Paris par une centrale syndicale sur le thème des risques psychosociaux.

Dans la salle, un jeune homme est venu me voir après mon intervention et m'a pris à parti en me disant quelque chose comme : « C’est très bien, ce que vous avez dit ! Rien à déclarer contre ! Mais moi, je travaille et je n’ai pas de toit alors tout cela me passe loin au dessus ! ». Après quelques questions, il m'a raconté comment il vit, comment il s’organise. Il est venu de province. Il n’avait pas d’attache à Paris. Il travaille dans un restaurant comme aide cuisinier. Manger ne lui pose pas trop de problème. C’est l’hygiène, le plus dur. « Le patron ne sait pas que je vis dehors sinon il ne m’aurait pas pris ». Il ruse parfois pour prendre une douche sur son lieu de travail, sinon il va dans un foyer mais il n’aime pas la proximité avec ceux qu’il nomme les « clodos et les SDF ».  Moi, ce n’est pas pareil, si je dors dans ma voiture depuis un mois, c’est parce que c’est un luxe de se payer l’hôtel. Il espère trouver un petit appartement avec ses premiers salaires. « Une chambre rien que pour moi ». Le syndicat doit l’accompagner voir la maire du IVème arrondissement pour voir ce qu’elle peut faire.


La France compterait un peu plus de 130 000 personnes sans domicile fixe. Ce qui est bien entendu beaucoup trop pour un pays qui se veut l'une des puissances qui comptent sur l’échiquier mondial eu égard à ses mille ans d’histoire. Ce que l’on sait moins, c’est qu’environ ces personnes sont employés ou ouvriers pour un tiers d'entre eux et dorment dans leur voiture, ou parfois dehors. Mères célibataires dormant dans des caravanes, familles entières s’entassant dans une chambre d’hôtel insalubre sont légion.

Il y a deux ans, j’ai eu connaissance d’un dossier très révélateur concernant la précarité en France.

  • Une grande société de travail temporaire sous la pression de la Poste a décidé de modifier les modes de règlement de ses employés intérimaires. Auparavant, la société réglait chacun d’eux  soit a l’achèvement de la mission (qui pouvait durer un ou plusieurs jours), soit en fin de semaine. La Poste constatant que ses bureaux étaient encombrés par ces personnels intérimaires a proposé une mensualisation des rémunérations dues. La société a évolué dans ce sens. Ce changement a provoqué une flambée de violences qui n’avait pas été anticipée par les dirigeants. Les travailleurs intérimaires exigeaient de maintenir le système de règlement antérieur. Ils avaient besoin de cet argent dûment gagné par leur travail pour assumer les besoins immédiats de leurs familles. « Comment vais-je payer l’hôtel si je dois attendre la fin du mois ? Je ne veux pas me retrouver à la rue ! », « Ce n’est pas possible, j’ai besoin de mon argent pour acheter à manger à mes enfants ». Cette mensualisation, qui n’était qu’une décision « de bonne gestion sur le papier » parmi d’autres pour les dirigeants, étaient dans les faits un enjeu vital pour au moins 30 % des salariés intérimaires sans aucune réserve devant eux, pour tenir quelques jours et nourrir leurs familles. Cette situation a abouti à dresser les salariés les plus démunis contre les salaries du « siège » qui ont été pris à parti : menaces, insultes, violences, même inquietés à la sortie de leur travail, certains ayant eu les pneus de leur véhicule crevés. Une bonne décision qui n’avait été précédée par aucune étude d’effets.

Le travail n’assure plus un toit décent. Près de 10 % de la population française serait en vrai fragilité immobilière, soit plus de 6 millions d’individus. Parmi les propriétaires de logements, environ 500 000 seraient menacés car ne pouvant pas rembourser leurs traites.
Environ 1 300 000 personnes seraient dans l’attente d’un logement social. Un chiffre parle de lui-même : 60 % des français sont éligibles à des logements HLM. Une étude récente est d’ailleurs venue battre en brèche les idées reçues d’une partie de notre classe dirigeante, puisqu’une majorité des Français déclarait avoir une image positive des HLM. Alors que le petit monde parisien y voit un mal-vivre insoutenable, les Français considèrent que les HLM revêtent donc un caractère de progrès.

À Paris et dans ses banlieues riches de la première couronne, se loger est devenu impossible pour la grande majorité des gens. Le taux d’effort à l’achat est de 63 % du revenu moyen d’une famille type avec 2 enfants, pour l’achat d’un appartement d’environ 70 m2. Pour le même appartement en location, la même famille devrait débourser 43 % de ses revenus pour les loyers.

Il convient de rappeler que l’effort toléré à l’achat par les banques est de 30 % des revenus du ménage pour le remboursement d’un prêt immobilier. La hausse des loyers et des prix d’achat dans la capitale (mais aussi dans certaines grandes métropoles) résulte d’une politique malthusienne en matière de construction de logements. Alors que l’Espagne a construit pendant 10 ans plus de logements que la France et l’Allemagne réunies (ce qui n’est d’ailleurs pas lui sans poser de problèmes aujourd’hui mais c’est un autre sujet), notre pays connaît sa plus grande crise du logement depuis un siècle.

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