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21 / 09 / 2011 | 5 vues
Christian Kostrubala / Membre
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Suicide au travail : connaître les raisons ne suffit pas

Chaque année, près de 13 000 personnes se suicident en France [1], dont 400 sur leur lieu de travail. Les études scientifiques admettent pour la plupart qu’un suicide affecte violemment et directement au moins 6 personnes proches de la victime et 20 personnes sont en rapport plus indirect avec ce deuil (Terra, 2001, programme national de prévention du suicide). Dans ces circonstances, que dire des conséquences causées par un suicide sur le lieu de travail où la totalité des salariés sont profondément marqués ?

Un deuil particulier


Le DSM [2] considère le deuil comme un épisode de dépression majeur. L’observation des symptômes tels que les sentiments de tristesse, l’insomnie, la perte de poids sont considérés comme des réactions « normales ». La durée des symptômes se limite à deux mois dans la plupart des cas. Si d’autres symptômes apparaissent, comme une forme de culpabilité des actions entreprises par le sujet à l’époque du décès, des idées de mort, des sentiments morbides de dévalorisation, un ralentissement psychomoteur ou encore des hallucinations, ils contribuent à différencier le deuil en un trouble dépressif majeur. Dans Deuil et mélancolie, Sigmund Freud affirme que « le travail du deuil » doit aboutir au renoncement à l’objet investi psychiquement, tandis que le processus psychique pathologique en cours dans la mélancolie se caractérise par la persistance dans le moi de « l’ombre de l’objet disparu ». Les spécialistes considèrent ce deuil comme compliqué, voire pathologique. Culpabilité, détresse, honte, blessures narcissiques profondes, stress aigu, syndrome de stress post-traumatique caractérisent, le plus souvent, les réactions des endeuillés d’un suicide. Les psychiatres parlent de deuil « traumatique ». C’est un deuil à risque qui demande une prise en charge spécifique. Les Anglo-Saxons évoquent le terme de « survivants » pour qualifier l’entourage de la victime. C’est « l’effet de la perte de l’illusion d’immortalité pour les témoins directs, qui représente le corolaire de l’incrustation dans l’appareil psychique d’une image du réel de la mort ».

Le deuil traumatique pourrait concerner plus de 60 % des endeuillés 6 mois après le décès et environ 20 % d’entre eux évolueraient vers un syndrome de détresse post-traumatique.

De la difficulté des endeuillés à s’exprimer


Pour Pascal Millet, médecin et épidémiologiste, il faut briser le « mur du silence » qui entoure le suicide. Tout se passe comme si la société, entre deux suicides, faisait le « dos-rond » en se disant que si l’on n’en parle pas peut-être le suicide disparaitra. Nous avons tous en mémoire le commentaire [3] de Didier Lombard, président directeur général de France Télécom, livré aux média après le 23ème suicide, avec si peu de connaissance sur le sujet. Soit un peu plus d’un an et demi après les premiers décès. À nous de soulever ici un paradoxe : les personnes en deuil par suicide reçoivent moins de soutien que celles qui sont frappées par un deuil plus habituel.

Dans notre société, le suicide a toujours été considéré comme une « mauvaise mort ». L’Église catholique en a autorisé les funérailles chrétiennes en 1963 mais considère toujours le suicide comme une faute. Les sentiments de honte, de stigmatisation et de rejet ne facilitent pas le dialogue. Christophe Dejours, dans son article « Nouvelles formes de servitude et suicide », le constate dans les enquêtes pour lesquelles il a été appelé par les CHSCT. Il relève que tout le monde devient réticent à parler : « c’est comme une conspiration du silence qui s’abat sur la communauté de travail, aussi bien du côté de la direction que des collègues, des supérieurs hiérarchiques directs que des syndicats ».

La quête de sens, la signification de l’acte suicidaire, reste centrale pour l’entourage de la victime. Certains vont jusqu’à étudier le suicide et ses pathologies psychiatriques dans le but de se donner un cadre intellectuel à l’inconcevable. Cette démarche apaiserait en se rendant irresponsable du décès. Mais la plupart du temps, cette quête reste infructueuse. La métabolisation psychique de la perte commence une fois que l’on accepte de ne jamais trouver de réponse définitive à l’acte suicidaire. Accepter ce « lâcher prise » demande du temps. Pour certains, entre un et trois ans. Pour d’autres, l’acceptation ne se fera jamais totalement.

« Le suicide, comme toute conduite humaine, est adressé à autrui », précise Christophe Dejours dans son article. « Par leur mort, ces malheureux convoquent aujourd’hui la société toute entière à se pencher sur ce nouveau type de souffrance qu’elle engendre ». Il voit, dans cette nouvelle forme de souffrance, une destruction des liens sociaux dans le travail.

Nous saisissons dans ce propos l’occasion de nous interroger. Si l’origine du suicide tenait à un isolement extrême de l’individu produit par les nouvelles formes de l’organisation du travail, n’y aurait-il pas là une fenêtre pour intervenir et tenter de (re)construire les liens d’un collectif détruit ? De redonner la capacité d’agir aux acteurs pour qu’un tel drame ne se reproduise plus ?


[1] Revue Études et Résultats, 488, mai 2006, DRESS.
[2] Diagnostic and statistical manual of mental disorders
[3] « La première urgence était d'arriver à contrôler le phénomène de contagion »
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