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16 / 05 / 2011 | 3 vues
Marie-Josée Defrance / Membre
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Indice des prix : ne laissons pas la direction de l’INSEE vendre son indépendance à la grande distribution !

Le projet « données de caisse » prévoit d’utiliser des données (prix, certaines caractéristiques des produits) issues des caisses des grandes et moyennes surfaces.

À terme, ces relevés seraient utilisés dans les calculs de l’indice des prix en lieu et place des relevés effectués sur le terrain. Au total, pas loin de 500 000 relevés actuellement collectés seraient remplacés par l’utilisation de ces données. 

Après une phase de tests, la direction de l’INSEE a lancé ce projet. Elle l’a présenté comme inévitable compte tenu du fait que cette méthode existe dans certains pays, et que la compétence technique qu’elle requiert doit être acquise par l’INSEE pour ne pas « être à la traîne » des autres instituts de statistique.

Lors de sa présentation aux organisations syndicales, la direction a valorisé le fait de pouvoir, avec ces données, créer de nouveaux indicateurs, différents de celui de l’indice des prix : indices moyens, indices spatialisés.

Pourquoi ce projet est une atteinte à l’indépendance de l’INSEE ?

L’indice des prix est un des indicateurs « phare » de l’INSEE. Rappelons que cet indice a, en plus de son rôle initial de « déflateur » pour la comptabilité nationale, une utilisation sociale.

L’indexation des pensions alimentaires, les négociations de salaires dont le SMIC, les pensions de retraite etc. se font sur la base de l’indice INSEE.

Ces utilisations correspondent à une mesure du coût de la vie, ce que l’indice de l’INSEE ne mesure pas.

Rappelons les polémiques autour de la perception de l’inflation par le grand public, plus élevée que celle issue du calcul de l’indice INSEE, notamment après le passage à l’euro.

L’indice est ainsi régulièrement remis en cause dans les débats publics, notamment dans son utilisation pour mesurer le pouvoir d’achat. C’est une production de l’INSEE particulièrement sensible, dont l’institut doit préserver la parfaite maîtrise.

Or, le modèle de la distribution française est marqué par des guerres commerciales et des enjeux de puissances considérables :

  • un poids économique énorme de la grande et moyenne distribution et un lien très fort avec le pouvoir politique sur le sujet des implantations, des marges arrière etc. ;
  • une guerre incessante entre enseignes qui jouent très souvent sur les prix pratiqués avec une communication très orientée sur les prix, le confit d’intérêt est donc patent et il ne sera pas possible de travailler en confiance avec cette grande et moyenne distribution ;
  • des pratiques commerciales « dures », y compris vis-à-vis des producteurs, dans un objectif évident : le chiffre d’affaires et les marges. Les moyens mis pour parvenir à ces fins sont sans commune mesure avec les moyens de la statistique publique lorsqu’il s’agit de réaliser des contrôles ;

Les enquêteurs prix de l’INSEE sont régulièrement « interdits d’entrée » dans les grandes enseignes, en raison de l’âpreté des luttes entre elles. L’INSEE a dû déployer de très importants efforts pour assurer un retour à la normale.

Substituer aux relevés collectés de manière indépendante des relevés collectés par le biais de ces grandes enseignes est donc inadmissible et mettrait en péril l’intégrité statistique de l’indice des prix.

L’INSEE a d’abord annoncé que les fichiers achetés à la grande distribution pourraient coûter plusieurs dizaines de milliers d’euros, puis a laissé entrevoir l’idée qu’ils pourraient finalement être gratuits : mais alors, quelles en seraient les contreparties ?

Car comment imaginer que les grandes enseignes soucieuses de la confidentialité de leurs pratiques commerciales, donneraient ces données de manière loyale, en sachant qu’elles pourraient servir à l’INSEE pour construire un indice potentiellement défavorable à leur publicité ?

Comment imaginer que l’INSEE pourrait, à lui seul, faire le poids face à ce lobby de la grande distribution ?

De plus, d’autres arguments de la direction ne sont pas recevables :

  • les pays qui ont des projets similaires, ou utilisent déjà ces sources (Pays-Bas, Norvège, Suisse…) ont un modèle de grande distribution difficilement comparable au modèle français. L’argument de la « modernisation » pour imiter le savoir-faire des autres pays, et être à la pointe des dernières méthodes, n’est pas recevable lorsqu’on s’assoit sur de tels risques ;
  • les données de caisse pourraient apporter de nouvelles informations sur le coût de la vie. En réalité, ce projet annoncé aujourd’hui n’est pas de construire une source supplémentaire d’information, mais bien de se substituer aux relevés actuels pour faire des économies.

Pour l'intersyndicale CFDT, CGT, FO SUD de l'INSEE, la direction de l’INSEE doit impérativement revoir sa copie. La mise en œuvre de ce projet n’a pas été discutée au CNIS. Le débat doit y avoir lieu avant toute initiative;

  • D’autres résolutions prises au CNIS sur l’indice des prix n’ont pas été suivies d’effet, notamment les travaux de prise en compte de l’effet qualité des produits. Des moyens doivent être débloqués pour ces sujets.
Le seul choix qui permette le maintien d’une confiance des citoyens dans l’impartialité de l’INSEE : l’abandon du projet d’une collecte non indépendante pour l’indice des prix, l’assurance que les relevés de prix soient totalement maitrisés par l’INSEE.

Organisation de la collecte

Actuellement, la collecte des prix est organisée dans les points de vente, par téléphone, sur internet. Des agents de l’INSEE la réalisent avec une déontologie permettant d’assurer l’indépendance nécessaire à l’opération. La majeure partie des plus de 1,7 million de relevés de prix annuels est réalisée par les enquêtrices prix, pigistes ou fonctionnaires, sur le terrain et par téléphone. Des relevés de tarifs supplémentaires sont réalisés depuis la DG. Ensuite, les agents des divisions prix en DR et les responsables sectoriels apportent leur expertise à ces collectes en lien avec les enquêteurs de terrains.

  • Le calcul n’a jamais été fait avec les données d’une année complète.
  • Le calcul n’a pas pris en compte non plus les changements de produits des mois de décembre.

L’indice des prix et l’effet qualité

En mai 2004, un dossier * complet paraît sur la prise en compte de l’effet qualité dans l’IPC. L’idée est qu’une partie des évolutions de prix reflète en fait l’accroissement de qualité des produits. Or, cette partie n’est pas mise à part dans l’indice des prix. Un autre indice, plus élevé, a été calculé sur 4 mois puis extrapolé à 12 mois. Pour l’année 2003, l’effet qualité est estimé à 0,3 % sur l’année (pour une évolution des prix mesurée et publiée de 2,2 % en glissement de décembre 2002 à décembre 2003).

Problème : De nombreuses demandes ont été présentées à la direction de l’INSEE en ce sens. La réponse a toujours été d’arguer d’un manque de moyens.

À l’inverse, les moyens existent pour écrire un article dans Économie et Statistique ** pour expliquer que : « l’analyse intertemporelle des courbes d’Engel ne conforte donc pas la thèse selon laquelle l’IPC français aurait sous-estimé l’évolution du coût de la vie entre 1979 et 2006 ».

À quand un calcul et une publication de l’INSEE quantifiant la totalité des effets de qualité ?

* Dossier de la DSDS F0404, mai 2004
** Économie et Statistique, n° 433-434, janvier 2011

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