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10 / 05 / 2011 | 18 vues
Denis Garnier / Membre
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Risques psychosociaux : et si la « sieste préventive » devenait l'une des solutions ?

Lorsque l’on s’intéresse à la prévention des risques psychosociaux, la lecture des études scientifiques devient indispensable. Elle sert la construction d’un arbre des causes cohérent et permet de cibler avec plus de précision celles qui doivent être traitées en priorité.

Le rapport du collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail, réalisé sous la présidence de Michel Gollac [1], fait désormais partie des documents de références. Les éléments de l’introduction sont clairs : « Le collège estime pertinent de prendre en considération les risques psychosociaux au travail, entendus comme risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental ».

Six axes sont retenus pour proposer des indicateurs permettant de suivre les évolutions de ces risques. L’axe numéro un porte sur « l’intensité du travail et au temps de travail ».

Ainsi, « la durée et l’organisation du temps de travail sont des éléments de l’organisation susceptibles d’influer sur la santé des travailleurs sans l’intermédiaire d’éléments matériels spécifiques, ce qui la distingue des risques physiques, chimiques ou infectieux ».

Le nombre d’heures, le travail de nuit, le travail posté, les horaires antisociaux etc. ont des conséquences immédiates sur la conciliation entre travail/hors-travail. Les effets des difficultés de conciliation entre travail et hors travail sur la santé sont attestés par de nombreux travaux.

Contretemps de travail

C’est donc avec attention que j’ai lu l’article de la revue Travail & Sécurité de mai 2011 [2].

À l’heure où l’hôpital impose des amplitudes de douze heures de travail quotidien, il est important de connaître les effets sur la santé et les réponses qui peuvent être apportées pour limiter les risques qui ne peuvent être évités.

Ce type d’organisation n’est pas anodin et les experts « s’interrogent sur la capacité à conserver un bon niveau de vigilance au bout de 12 heures en poste ». Si ce risque ne peut être évité (ce qui n’est pas le cas de l’hôpital qui choisit les 12 heures uniquement sur des critères économiques à très court terme) des réflexions peuvent être menées sur la taille des équipes et sur l’organisation des temps de pause. « Pourquoi ne pas laisser au salarié une marge de manœuvre quant au choix des heures de pauses ? ».  Pour le Dr Delanoë, cité dans cet article, « si la pratique de la sieste n’est pas ancrée dans la culture française, elle constitue pourtant une stratégie qui pourrait clairement améliorer la vie des travailleurs postés ».

Je vois déjà sursauter tous les directeurs qui ne comprennent pas que l’homme est une machine complexe dont la principale source d’équilibre est la vie au soleil et le sommeil la nuit. Cela s’appelle le rythme circadien. L’article ne manque pas de rappeler que « l’horloge centrale (de chaque individu) est principalement synchronisée par le cycle lumière/obscurité » [3].

  • C’est pourquoi, lorsque cette horloge est déréglée par des rythmes atypiques, il faut prévoir des corrections. Ne pas le faire pourrait être assimilé à un manquement de l’employeur à l’obligation qui lui est imposée par la loi pour protéger la santé et la sécurité des salariés.

Et donc, la sieste !

C’est page 36 de ce numéro de Travail & Sécurité de l’INRS que ce bouleversement culturel est présenté.

Plusieurs expériences sont citées. La première est menée en 1999 par le laboratoire d’imagerie et de neurosciences cognitives de l’Université de Strasbourg à la suite de la demande exprimée par un gros industriel français ayant des agents affectés à des travaux de surveillance. « Elles sont prises à tour de rôle, dans quatre chambres contiguës et indépendantes, toutes équipées d’un système d’alarme pour prévenir des urgences. Les modalités de mise en œuvre sont définies dans une charte, signée avec la direction, qui s’engage notamment à ne pas décompter cette heure de repos ».

Dix ans plus tard, la sieste est toujours pratiquée par les opérateurs sur le site pilote.

Une autre expérience est décrite pour une petite entreprise spécialisée dans la formation à des logiciels.

« Les salariés, soumis à une forte charge mentale et une amplitude horaire étendue,  étaient sujets à des « coups de barre » compensées par la consommation excessive de café ou de tabac. Des siestes « accompagnées » (avec film sonore de 20 mn, casques auditifs et ambiance tamisée) ou libres ont été proposées à 19 volontaires. Un événement qui s’est avéré fédérateur du point de vue de l’employeur. Les salariés, quant à eux, évoquent une déconnexion complète par rapport au travail, la sensation de pleine forme, une meilleure concentration, une disponibilité accrue et une diminution de l’énervement ».

Ces expériences, souligne le médecin du travail, nécessitent une adhésion à tous les niveaux.

De nombreux ouvrages vantent les mérites de la sieste.

  • Que ceux qui ne se sont jamais assoupis au travail lèvent le doigt ! Et je ne parle pas des parlementaires de l’Assemblée nationale ou du Sénat et même des membres du Medef que j’ai le plaisir de côtoyer au sein d’une instance qui traite justement des maladies professionnelles et des accidents du travail.

L’un des problèmes majeurs des travailleurs soumis à des horaires atypiques est l’accumulation de la dette de sommeil.

Si l’hôpital veut généraliser les 12 heures, il faut comprendre, comme le décrit très bien cette revue technique et scientifique, que « tout est question de compromis social, établi en fonction des indicateurs physiologiques et de la tâche à accomplir ».

Aujourd’hui, les services hospitaliers qui imposent le travail en 12 heures connaissent un taux de fuite des agents (pour ceux qui peuvent partir) très important. Ceux qui restent sont progressivement victimes de troubles psychosociaux.

Conclusion de Travail & Sécurité : « L’avenir désignera-t-il la sieste comme un médicament de rattrapage des troubles du sommeil ? Une piste sur laquelle on aurait tort de s’endormir… ».


[1] Les membres : Philippe Askenazy, Christian Baudelot, Patrick Brochard, Jean-Pierre Brun, Chantal Cases, Philippe Davezies, Bruno Falissard, Duncan Gallie, Michel Gollac, Amanda Griffiths (membre associée), Michel Grignon, Ellen Imbernon, Annette Leclerc, Pascale Molinier, Isabelle Niedhammer, Agnès Parent-Thirion, Daniel Verger, Michel Vézina, Serge Volkoff, Annie Weill-Fassina
[2] « Horaires atypiques - Contretemps de travail », Travail & Sécurité (revue de l’INRS) mai 2011, n° 717, p 23 et suivantes.
[3] Dr Laurence Weibel, neurobiologiste et chronobiologiste à la section ergonomie et pathologies professionnelles de la CRAM Alsace-Moselle.

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Bonjour,

Je vous remercie pour la qualité de cet article. Pour votre information, aujourd'hui, j'ai interviewé  sur mon blog "Vers une articulation des temps de vie", Nicolas Oliveau, le fondateur de Sixta, cabinet conseil pour la sieste en entreprise. 

Je vous invite à découvrir son interview :

A bientôt !