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23 / 02 / 2011 | 6 vues
Didier Cozin / Membre
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Investir dans le DIF plutôt que dans les coups de pouce salariaux déconnectés de la performance

Le droit à la formation reste un improbable droit des travailleurs dans de nombreuses grandes entreprises. Sept ans après les grandes envolées lyriques de 2003, puis la promulgation de la loi pour la formation tout au long de la vie en 2004, il est temps de dresser un bilan : 95 % des salariés de France ne voient toujours pas, année après année, la couleur de leur DIF. Prétendre révolutionner la formation professionnelle est une chose mais s’y atteler réellement, en finançant sur le terrain des actions de formations en est une autre. Chacun mesure désormais la distance qui sépare la coupe des lèvres, les promesses faites par les partenaires sociaux en 2003 et les blocages qui demeurent dans le monde du travail.

Alors que le refus de l’exercice du DIF pour un motif autre que celui du choix de l’action de formation est illégal et même si le coût du DIF aurait dû être anticipé depuis 7 ans, de nombreuses organisations (publiques comme privées) tergiversent ou résistent aux demandes de leurs salariés : elles ne veulent toujours pas d’un DIF généralisé car elles estiment que le DIF est un dispositif de formation superfétatoire, un luxueux idéal auquel elles ne peuvent accéder du fait de la crise économique.

En 2011, beaucoup d’entreprises seront encore tentées de refuser le DIF à leurs salariés pour de mauvaises raisons. Elles pourraient regretter ces calculs à courte vue car en refusant l’exercice du droit à la formation, c’est aussi leur développement économique qu’elles condamnent.

Notre propos, dans ce cinquième volet consacré au DIF, est de tenter d’expliquer en quoi le DIF n’est pas un handicap pour les entreprises mais bien la réponse simple, pertinente et bon marché aux défis de la société de la connaissance et du travail en ce XXIème siècle.

Un DIF universel est-il hors de prix ?

Examinons ce fameux volet financier du DIF, qui semble affoler le monde économique avec un risque total maximal de 77 milliards d’euros (estimation de 2009 par la Cour des Comptes).

Pour simplifier notre démonstration, nous prendrons un cas d’école : celui d’une entreprise de main d’œuvre employant 1 000 salariés en France.

Comme des centaines d’autres grandes sociétés (grandes par le nombre des salariés qui y travaillent), elle consacre actuellement à peine plus que le minimum légal pour la formation de ses 1 000 salariés, soit 2 % de sa masse salariale (1,6 % étant le taux minimum au-delà de 20 salariés). À ce prix, 10 ou 20 % de ses salariés peuvent bénéficier de réelles opportunités de formation, les autres sont éternellement renvoyés vers leur poste de travail, priés d’attendre leur tour.

Beaucoup d’entreprises en France font du minimum légal (1,6 %) un plafond qu’elles ne pourraient pour rien au monde dépasser (alors qu’elles consacrent 14 % de la masse salarial aux congés payés, par exemple).

Est-il plus rentable d’augmenter les salaires ou bien les dépenses formation dans la société de la connaissance ?

Même si les augmentations de salaire constituent toujours une demande générale et récurrente des travailleurs et des syndicats, de nombreuses études ont démontré que des augmentations indifférenciées de salaires (les fameux coups de pouce), non liées à des performances individuelles, sont devenues contre-productives. En six mois, toute augmentation générale des salaires, même de 10 %, est oubliée et annihilée en moins de six mois. « Toujours plus » n’est plus d’actualité.

Si les hausses généralisées de salaires ont eu des effets bénéfiques sur l’économie au XXème siècle, c’était parce qu’elles étaient liées à des hausses parallèles de la productivité. Non seulement les salariés qui fabriquaient des téléviseurs gagnaient plus tous les ans, mais les télés qui sortaient des chaînes de fabrication (françaises) revenaient tous les ans moins chers. C’était le mécanisme vertueux des trente glorieuses et de la reconstruction : plus de pouvoir d’achat pour plus de consommation et donc plus de développement économique et de confort matériel.

Ce cycle vertueux a été stoppé net dès les années 1970 par les crises successives de l’énergie et des matières premières (qui préfigurent d’autres secousses bien plus importantes par la suite), mais aussi et surtout par le changement de modèle économique induit par la société de l’information, internet et la globalisation des marchés. 

  • Nous quittons donc le paradigme de la société industrielle. Augmenter les salaires d’une façon uniforme entraîne une hausse du coût de la vie et du travail et donc, au final, la destruction d’emplois (surtout non-qualifiés). Le cercle vertueux a muté en processus vicieux.

Le quantitatif n’est plus un enjeu de société en France, il ne s’agit plus de produire plus de tonnes de poulets ou de voitures, mais bien de privilégier la qualité et le respect de l’environnement (social et naturel).

Reprenons l’exemple de notre société avec ses 1 000 salariés et sa masse salariale de 20 millions d’euros (1 600 euros de salaire brut par mois et par personne). Que coûterait une augmentation généralisée de 10 % des salaires ?
Environ 4 millions d’euros (2 millions en salaires nets et autant en charges).

Que coûtera maintenant dans la même organisation un DIF généralisé de 20 heures par an, pour 75 % des salariés ? Environ 500 € par personne (allocation formation incluse), soit un coût total d’environ 375 000 euros par an.

D'une part, 4 millions d’euros pour une augmentation de salaire très vite oubliée (par les salariés), sans amélioration de la qualité ou de la production ou moins de 400 000 euros d’autre part, en doublant le budget de formation, qui passe de 2 à 4 % de la masse salariale.

  • L’alternative est simple : une vision à trois mois avec des augmentations (faibles) de salaires qui ne parviendront pas à rattraper le coût de la vie ou la projection sur le moyen et le long termes avec une montée en compétences de tous les personnels, tous les ans et un dialogue social renouvelé au sein d’une organisation devenue apprenante.

Quantitatif contre qualitatif ou comment grandir avec le travail ?

Le fameux retour sur investissement est bien dans le camp de la formation tout au long de la vie, se former en dehors du périmètre de poste de travail pour mieux appréhender son travail et le monde environnant apporte une vraie réponse sociale aux grandes organisations.

  • Orange, cette société de France Telecom, qui a vécu en 2009 son annus horribilis, ne s’y est pas trompée. Elle nous apprend par un communiqué de presse, publié il y a quelques jours, qu’elle a développé tous azimuts le DIF de ses salariés, une augmentation de 300 % des DIF réalisés sur la seule année 2010, notamment sur des formations en développement personnel.

L’entreprise Orange ne semble pas le regretter et la souffrance au travail a peut-être ainsi régressé.

Les directions des grandes entreprises (car ce sont elles qui détiennent en fait la clef du DIF) doivent refaire leurs comptes : accorder des augmentations salariales toujours insatisfaisantes ou entrer sincèrement dans la formation tout au long de la vie ?

Quoi qu’elles fassent, quoi qu’elles disent, quels que soient les blocages sociaux actuels (que nous ne nions pas) « la formation, elles n’y échapperont pas » (titre d’un dossier paru en 2009 dans le journal L’usine nouvelle).

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Bonjour,

 Je pense quand même que l'ignorance est au coeur du problème...Avoir "entendu parler" du DIF, savoir confusément qu'il existe n'est pas le connaître.

Combien savent qu'ils ont atteint le maximum légal et qu'ils vont commencer à perdre des heures ?(Ce qui est acquis est acquis mais en raison du gel des compteurs faute d'utilisation en tout ou partie, ils vont commencer à perdre des heures par rapport à des salariés qui consomment régulièrement).

Combien savent pourquoi il faut éviter de s'en préoccuper lors d'un licenciement ou dans le cadre d'un portabilité ? 

 Quel est le nombre total de demandes déposées ? Quel est le taux de refus ? Au fond, on n'a pas vraiment de réponses claires.

C'est la communication sur le dispositif qui pose problème (le veut-on vraiment ?)

Peut-être que l'évocation du sujet,avec mise en évidence de certaines subtilités à la télévision à une heure de grande écoute serait de nature à débloquer, ne serait-ce qu'un peu la situation...

Bruno Callens

Docteur en Droit

http://www.le-dif-en-questions.fr