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07 / 05 / 2010 | 34 vues
Hélène Truffaut / Membre
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Restructurations: les IRP se rebiffent

« Beaucoup de salariés ont un projet personnel, mais c'est le CE qui bloque! » Une petite phrase que l'on entend souvent, ces temps-ci, dans la bouche des employeurs ayant engagé une restructuration et qui voient leur propre projet se gripper sous l'action des institutions représentatives du personnel (IRP). Lesquelles n'hésitent pas à saisir la justice pour faire valoir leurs droits.

Un sentiment d'insécurité juridique chez les employeurs

« Au final, très peu d'actions aboutissent à un jugement » - Dominique Paucard, Syndex Il faut dire que la crise a généré une reprise des plans de licenciements collectifs (voir « La défense de l'emploi battue en brèche sur le terrain »). Si les tensions sont nombreuses et les conflits largement médiatisés (tel celui des « Contis », de Molex, de Teleperformance ou, actuellement, de Sodimatex), « au final, très peu d'actions aboutissent à un jugement, relativise Dominique Paucard, responsable du pôle restructuration de Syndex (conseil auprès des représentants du personnel). Les menaces de contentieux sont cependant fréquentes, d'où un sentiment d'insécurité juridique chez les employeurs. »

Pour Gilles Karpman, directeur général de IDée Consultants (cabinet de conseil en ressources humaines et relations sociales ), les comités d'entreprise (CE) cherchent d'abord à démontrer que la restructuration n'est pas justifiée. « Ils vont contester le motif économique, la procédure. Mais ils ont cessé d'être naïfs. Il savent que l'entreprise ne reviendra pas sur sa décision et passent assez vite à l'amélioration des conditions de départ en se servant de cette contestation comme moyen de pression. »

Des obligations à respecter


Difficile pourtant, pour les IRP, de ne pas voir rouge lorsque l'employeur leur présente un projet de restructuration qui tient en quelques pages et dont il n'est pas disposé à discuter les tenants et aboutissants. « Avant de pouvoir mettre en œuvre leur projet, rappelle Pierre Bouaziz, avocat au barreau de Paris, les entreprises ont une série d'obligations à respecter vis-à-vis du CE, voire du CHSCT. » Le premier pouvant demander l'avis du second et chacun des deux pouvant faire appel à un expert sur leur domaine de compétence respectif.

Pour lui permettre de formuler un avis motivé, le comité d'entreprise dispose d'informations précises et écrites transmises par l'employeur, d'un délai d'examen suffisant et de la réponse motivée de l'employeur à ses propres observations (article L2323-4 du code du travail).

Le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est consulté avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail (article L4612-8 du code du travail).

 « Les IRP ne bloquent pas pour bloquer, mais pour obtenir, en temps utile, toute l'information dont elles ont besoin pour émettre un avis et des propositions pertinentes, poursuit-il. Il leur est nécessaire de comprendre les motifs, ainsi que les conséquences du projet pour ceux qui resteront. » Et Pierre Bouaziz d'enfoncer le clou: « Si on examine la jurisprudence en la matière, on constate d'ailleurs que ce sont bien les employeurs qui sont à l'origine des blocages en ne fournissant pas cette information. » Pour l'avocat, il n'y a pas lieu de diaboliser l'action en justice. « Cela peut, au contraire, faciliter les négociations. » Et prévenir des risques sociaux bien plus délicats à gérer...

Une information loyale et complète


Les IRP obtiennent-ils gain de cause? « Le but n'est pas de s'opposer indéfiniment à la décision de l'employeur. Mais à défaut d'une information loyale et complète, le recours à la justice s'impose et s'avère utile. C'est également le cas lorsque le PSE ne répond pas à sa définition légale ou que les mesures de reclassement sont insuffisantes compte tenu des moyens du groupe. Il y a toute une série de décisions qui ont été rendues dans ce sens », atteste-t-il.

« Il s'agit de démontrer que les prérogatives du CE n'ont pas été respectées » - Pierre Bouaziz, avocatExemple parmi d'autres: en janvier 2008, un jugement du TGI de Paris retardait ainsi la fusion Suez-GDF. Le gazier -qui avait lui-même engagé la procédure judiciaire pour obliger le CCE à rendre son avis- avait dû reprendre la procédure d'information et de consultation, informations complémentaires à l'appui. A l'automne dernier, c'est le premier PSE de Teleperformance qui était retoqué. Tandis qu'Altran était épinglé sur l'insuffisance des mesures de reclassement externe de son plan de départs volontaires (voir les différents "décrytages" sur Teleperformance et Altran).

Le cas BPCE (rapprochement des Caisses d'Epargne et des Banques Populaires) montre cependant qu'il est difficile d'intervenir une fois que le projet a été mis en œuvre. Le 31 juillet dernier, la cour d'appel de Paris enjoignait la Caisse d'Epargne d'Ile-de-France (CEIDF) de consulter à nouveau son CE. Problème: le nouveau groupe bancaire avait officiellement été créé quelques heures plus tôt (voir « Fusion BPCE: l'Ile-de-France est rentrée dans le rang »). Saisi sur le fond par la CEIDF, le TGI a finalement estimé qu'une nouvelle consultation n'avait plus lieu d'être. Le CE de la CEIDF a jeté l'éponge. Mais SUD et la CGT ont fait appel. « Il ne s'agit plus de remettre en cause la fusion, mais de démontrer que les prérogatives du CE n'ont pas été respectées », commente Pierre Bouaziz.

Le baptême du feu


Quel que soit le projet qui leur est soumis, il importe que les élus ne perdent pas de vue l'intérêt des salariés -même lorsque ces derniers préfèrent miser sur un « chèque-valise » que sur une solide politique de reclassement. Et qu'ils aient les idées claires sur ce qu'il faudra négocier. Pas simple. Surtout dans les PME où les CE sont davantage habitués à gérer les activités sociales et culturelles. Pour certains représentants, c'est le baptême du feu.

« Chaque volet peut donner lieu à des arbitrages différents, sans pour autant remettre en cause le principe de la restructuration »

« Une restructuration est une décision stratégique qui est ensuite déclinée en modalités pratiques de mise en œuvre, détaille Dominique Paucard de Syndex. Chaque volet peut donner lieu à des arbitrages différents, sans pour autant remettre en cause le principe de la restructuration. Mais c'est très compliqué à appréhender. » D'où la nécessité, pour les IRP, de monter en compétences sur les enjeux organisationnels, sociaux, mais aussi juridiques de ce type de projet. « Nous conseillons quasi systématiquement de recourir à un avocat spécialisé », ajoute-t-il.

Se former pour éviter de se faire manipuler


« Les élus doivent se former le plus possible. Cela permet d'éviter de se faire manipuler, de prendre la bonne décision au bon moment, d'éviter un clash... Ou de l'utiliser à bon escient », abonde Pierre Bouaziz. Qui insiste sur l'importance de préparer, avec les avocats et les experts, les délibérations du CE en amont des réunions. « La présence d'élus syndiqués peut faciliter les négociations », ajoute-t-il. Mais, selon Syndex, la gestion des restructurations n'est pas le sujet de prédilection des organisations syndicales, qui investissent peu dans des formations appropriées. « Cela fait des années que nous leur conseillons de mettre en place des correspondants spécialisés au niveau régional, mais nous ne trouvons guère d'écho », déplore Dominique Paucard.

« L'entreprise ne peut être réduite à son capital », Gilles Karpman, IDée Consultants
Tous s'accordent cependant à dire que les projets de restructuration pourraient être plus rondement menés si les entreprises arrêtaient de vouloir passer en force et jouaient d'emblée cartes sur table avec les représentants du personnel. « Il faut que les employeurs cessent d'affirmer que l'entreprise appartient aux actionnaires. Elle ne peut être réduite à son capital. C’est une réalité complexe, humaine technique, sociale... Et les salariés ont un droit de regard sur cette réalité », déclare Gilles Karpman.

Pour le directeur général d'IDée Consultants, le CE et les syndicats n'ont tout simplement pas assez de pouvoir. « S'il fallait l'accord du CE pour licencier, les représentants du personnel seraient pris beaucoup plus au sérieux par les patrons. Ils devraient aussi, du coup, prendre position sur ces questions au moment de leur élection. Et chercheraient plus vite le compromis entre exigences sociales et exigences économiques. »

 

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