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21 / 10 / 2009 | 61 vues
Jean-Claude Delgenes / Membre
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France Télécom : pourquoi un questionnaire est-il utile ? Réponse à Christophe Dejours

Le discours de Christophe Dejours est légitime de la place où il parle. Il a raison de dire qu’un questionnaire ne sert strictement à rien si on l’envisage comme une fin en soi. Comme une simple finalité de défoulement. Néanmoins, le cabinet Technologia tient à repréciser l’utilité de cet outil dans le cadre de son intervention chez France Télécom. Le questionnaire est une approche indispensable, mais pas suffisante, dans la méthodologie de l’évaluation des risques liés au travail que nous avons proposée aux partenaires le 18 septembre 2009 et qui a permis notre sélection pour traiter cette crise.

  • Précisons au préalable que se déroule en parallèle à ce questionnaire une étude approfondie des rapports en prévention remis par les CHSCT et la Médecine du travail (dont celui de Christophe Dejours). De même, l’ensemble des crises suicidaires seront étudiées. Enfin, une série d’entretiens qualitatifs sera réalisée pour prendre en compte la spécificité des métiers de France Télécom.

Comme le dit Christophe Dejours, le questionnaire n'est pas fait pour savoir si les gens vont mal ou pas. Bien entendu, nous le savons déjà. Il ne faut pas être grand clerc à la vue de ces drames et de l’expression des salariés, pour comprendre que la souffrance dans cette entreprise est profonde et que le mal-être est très ancré.

Pour nous, cette approche, dont la mise en œuvre est délicate sur le plan strictement technique à ce niveau d’effectif, a cependant des effets majeurs qu’il ne faudrait pas occulter par une critique rapide et simpliste.

Faire médiation

L'un des effets du questionnaire, c’est de faire médiation et de recentrer l’attention sur ce qui a un sens pour tous, à savoir le travail ! Le questionnaire interroge pendant une période propice l’ensemble du corps social et ouvre la possibilité d’un dialogue entre salariés sur le travail. Il faut, par exemple, voir les salariés se promener dans l’entreprise, avec le questionnaire à la main et en parler entre eux, ainsi que de leur travail, d’eux-mêmes et de leur vie au travail, pour se convaincre de cette vérité.

Le questionnaire permet d’ébrécher l’autisme social L'autre effet du questionnaire est de constituer un point de repère et un levier majeur de l’action pour ceux qui veulent oser penser et agir autrement au sein de l’entreprise. Lorsque la parole se libère dans l’entreprise et que les facteurs de risque commencent à être identifiés, si les réponses sont nombreuses, les dirigeants ont du mal à ne pas entendre ce qui y est dit. Le questionnaire permet d’ébrécher l’autisme social et donne un point d’appui, des repères à ceux qui veulent sortir de la crise par le haut.

Légitimer les mesures d'urgence

Le questionnaire, par la parole retrouvée des salariés, permet de légitimer les mesures d’urgence qui en découleront, ainsi que des autres approches du reste de l'étude.

Le questionnaire offre un discours objectivable du même ordre qualitatif que le discours des dirigeants

Le questionnaire permet à l'ensemble de l’entreprise (tous niveaux hiérarchiques confondus) de partager une vision commune du point de vue des salariés (ce qui est historique chez France Télecom) et de remonter une somme énorme d’informations enfouies dans les mémoires.

Le questionnaire permet aux dirigeants de ne pas renvoyer (réflexe bien connu) le discours des partenaires du côté de la revendication « systématique ! ».

Il permet aux partenaires sociaux et à la Médecine du Travail de s'appuyer sur les résultats obtenus et calibrés pour mener leur action.

Il offre un discours objectivable du même ordre qualitatif que le discours des dirigeants et cela favorise leur écoute.

Sur « une si grande entreprise », comme le dit Monsieur Dejours, il est relativement facile d’énoncer des généralités ou, a contrario, de proposer des actions collectives ciblées et ponctuelles. Il est extrêmement difficile de créer une réelle dynamique de réflexion, de dialogue et de changement impliquant chaque acteur, voire chaque salarié, et concernant ainsi l’entreprise dans son ensemble. Le questionnaire a ceci de formidable qu’il crée un effet de masse, il peut donner une énergie à la réflexion.

Le début d'un processsus au long cours

De plus, d’un point de vue plus méthodologique, il permet de segmenter par métier, par population et par âge, et de passer du discours vague sur la souffrance à une réflexion collective sur des plan d'action précis. Les plans d'action ne sont pas forcément du haut vers le bas mais peuvent être, comme Christophe Dejours le préconise lui même dans ses textes, le résultat d'une élaboration collective sur le travail et sur le sens du travail pour le collectif.

Le questionnaire est une photographie qui ne prend son sens qu'articulé aux 1 000 entretiens que nous sommes en train de programmer. Ces entretiens de 1h00 à 1h30 permettront de compléter l’analyse par une approche qualitative et d’aller au fond des problématiques. Ces entretiens ont été retenus pour tenir compte de la spécificité des métiers et de la diversité des activités de France Télécom. Nous précisons que les entretiens sont précédés par le questionnaire et alimentés par ce dernier. Nous avons de nombreux verbatim dans les questions ouvertes qui sont très riches et qui aident à préparer les thématiques des entretiens individuels. Le questionnaire est en outre complété par l'analyse des conditions de travail des salarié décédés ou désirant témoigner après une tentative de suicide. Il crée un espace de dialogue partagé qui peut générer une dynamique de changement, mais celle-ci ne se suffit pas à elle-même et doit être relayée par le dialogue social et par une réflexion collective site par site, équipe par équipe (équipe de dirigeants compris), sur le travail. Le questionnaire doit être le début d'un processus au long cours.

Une position éthique respectueuse des salariés

On comprend la position de Christophe Dejours qui peut craindre une instrumentalisation stérile du questionnaire. Cependant, face aux enjeux économiques et technologiques, la question de la qualité de vie au travail des salariés est une question majeure mais difficile, et l'approche plurifactorielle de Technologia nous paraît être l'une des voies possible de travail.

Dans tous les cas, nous la mettons en oeuvre de la façon la plus « humble » possible. Il ne s’agit pas d’être ceux qui savent mais simplement ceux qui donnent à voir. Technologia fait un certain travail mais les salariés ne pourront en tirer profit que si chacun, au niveau de l’entreprise, fait en sorte de pouvoir se l’approprier ; et là, la balle est dans le camp des dirigeants et des partenaires.

Enfin, il est nécessaire de repréciser que Technologia n’est pas un cabinet de conseil mais un cabinet d’experts santé, conditions de travail et sécurité, agréé par le Ministère du Travail, que chacun, avec les compétences qui sont les siennes, y travaille avec conviction et dans la recherche d’une position éthique respectueuse des salariés.

Face à ces attaques, nous ajoutons que nous aurions également pu nous prévaloir d’être « experts » sur le suicide au travail, eu égard au nombre très conséquent d’analyses des suicide effectuées. Par ailleurs, nous savons que, face à l’état de sidération engendré par un nombre aussi conséquent de morts, il est important d'à nouveau proposer une possibilité de penser et de vivre au travail. C’est ce que chacun de nous, dans l’équipe, essaie de faire le mieux possible.

  • Qui plus est, il est bon de préciser qu’un salarié sur quatre s’est saisi de cette liberté de parole et que, d’ores et déjà, les 25 000 salariés qui ont répondu présent en quelques heures ont démontré que ce questionnaire n’était pas vain.


Il est indispensable de rappeler que ce questionnaire a été élaboré par le travail actif de l’ensemble des responsables syndicaux qui travaillent d’arrache-pied depuis un mois et de manière intense aux cotés de Technolgia pour permettre cette éclosion dans des délais très serrés.

  • Pour finir, je précise que tous les syndicats de France Télécom, sans exception, après avoir contribué à sa création dans une démarche de construction collective, appellent à remplir ce questionnaire.

Pour finir j’adresse un grand merci aux représentants du personnel, aux médecins du travail, à l’encadrement et aux milliers de salariés qui répondent par leur participation à cette démarche, qui donnera lieu à la remise d’un rapport fin novembre. Il s’agira du premier des quatre rapports que remettra Technologia pour étayer son plan de prévention.

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oui la situation est grave.

c'est comme à l'armée.

on a le droit à 5% de perte.

mais la perte est bien plus importante.

on joue avec l'avenir et le bien être des gens.

jusqu'à quand?

seul un mouvement social et mondial pourra interompre ce processus.

je doute que ce soit pour demain.

mais restons optimiste quand même.