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27 / 03 / 2009 | 1 vue
Elsa Fayner / Membre
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“À chaque fois qu’ils me voyaient arriver, les salariés baissaient la tête”

J’ai été embauchée en 1995 dans une grande entreprise de transports pour créer la fonction DRH. J’ai vite compris pourquoi : une fusion se profilait à l’horizon, avec son plan social.

    J’étais le bras armé, qui allait devoir accomplir cette tâche délicate et ingrate d’annoncer les licenciements. Je me déplaçais de ville en ville, pour annoncer les restructurations et les justifications d’un plan social aux Inspections du Travail et aux salariés. À chaque fois qu’ils me voyaient arriver, les salariés baissaient la tête : ma venue n’augurait rien de bon. Lors d’un déplacement, j’ai reçu des menaces verbales. À la fin d’une autre visite, les employés m’ont encerclée. Ils voulaient savoir exactement ce qui allait se passer, et je ne pouvais en dire plus. Ils ont fini par me laisser partir, mais j’ai été suffisamment traumatisée pour me retrouver au service médical en arrivant à l’aéroport. J’avais eu mon compte de stress. À partir de ce jour-là, l’encadrement m’a accompagnée.
   

Se protéger moralement


    J’avais besoin de me protéger. Physiquement, mais surtout moralement. J’ai donc suivi des formations à la gestion des conflits et à la relation d’aide. Car, à force de faire passer des entretiens de licenciement, je découvrais des salariés vraiment angoissés, certains malades.


    Lors d’un premier entretien individuel, une salariée m’a demandé en entrant dans mon bureau : ”ça y est, c’est mon tour? Pas la peine de m’en dire plus. Ce soir, je rentre chez moi, je prends le fusil, je commence par les enfants, puis mon mari, et …” Nous avons beaucoup parlé. Je lui ai demandé de réfléchir au métier qu’elle aurait toujours eu envie de faire. D’abord interloquée par ma requête, elle est revenue me voir. Elle m’a dit qu’elle voulait être fleuriste. Nous avons cherché des formations, j’ai fait tout mon possible. Un jour, j’ai reçu une lettre disant qu’elle vendait des fleurs, qu’elle ne reprendrait pour rien au monde son ancien métier.

“Jusque là, je m’étais blindée”


    Face à une telle détresse, la dimension humaine m’a sauté à la figure. Jusque-là, je m’étais blindée, je me disais que j’étais payée pour accomplir ce travail. Qu’il fallait partir si je ne voulais plus le faire. Car l’entreprise continuait à se restructurer, à déménager. Nous étions numéro 2, la concurrence était là : aller toujours plus vite, plus loin, transporter plus de marchandises, être plus sûrs, et moins chers.

Quand je voyais les dirigeants européens arriver, je me demandais : ”Combien cette fois ?”. Les licenciements restaient d’actualité alors que les résultats de l’année étaient positifs : il fallait anticiper… Le numéro 1 faisait le guet avec un gros appétit : notre absorption et le plan de restructuration inhérent étaient imminents.
   

La fusion de trop


    Je ne voulais plus être celle qui annonce les mauvaises nouvelles. J’ai négocié mon départ. Un chasseur de têtes m’a proposé un autre poste de DRH, le copier-coller du précédent. J’ai refusé, je voulais faire une pause. Actuellement, je prépare mon dossier de retraite active et me dirige vers un travail choisi. Je fais du bénévolat de compétences dans une association qui aide les ménages surendettés. Comme si j’avais contracté une dette à l’égard de tous ces salariés que j’ai licenciés. J’ai envie maintenant de leur faire du bien.

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