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30 / 04 / 2014 | 1 vue
Didier Cozin / Membre
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Le compte personnel de formation peut-il pallier une absence de culture formation ?

Alors qu’une nouvelle réforme de la formation est engagée depuis le début de l’année, c’est la crainte d’un remède pire que le mal qui fait désormais douter les services RH et les organismes de formation privés face à la loi du 5 mars 2014.

Le temps a passé, les illusions aussi et nous ne sommes plus en 2004, quand la première réforme de la formation était unanimement réclamée, longuement préparée et portée par la volonté d’entrer, avec nos partenaires européens, dans la société de la connaissance et de l’information (stratégie de Lisbonne de mars 2000).

Aujourd’hui, les difficultés liées à la profondeur et à la durée de la crise se doublent d’un doute sur les capacités de l’État lui-même à aller au-delà du simple vote de lois bavardes (108 pages) et imprécises (il faudra attendre encore quelques mois les 70 décrets d’application d’explications de texte).  

Une enquête, datant d'avril 2014 pour le compte du cabinet de conseils CIMES, nous apprend que pour les acteurs du monde du travail, cette troisième réforme n’apportera pas d’amélioration aux apprentissages professionnels. Seules 10 % des personnes sondées estiment que la réforme de la formation sera « majeure et positive » (étude du groupe CIMES).

Il faut dire qu’en cette année 2014, bien des entreprises du secteur concurrentiel sont exsangues, n’ont plus de budgets pour former leurs salariés (parfois même pour les payer) et nos difficultés éducatives sont tellement ancrées dans notre vie sociale qu’une réforme de la seule formation du secteur privé ne peut faire redémarrer les apprentissages en France.

Des tribus gauloises face à la mondialisation (« une mondialisation dans le corps mais pas dans la tête », Pascal Lamy)

Vu de l’étranger, notre pays donne parfois l’impression que pour affronter les enjeux radicalement nouveaux de l'économie mondialisée de la connaissance et de l’information, nos tribus gauloises ont pour seule arme la règlementation, des discussions sociales et de nouvelles obligations pour les employeurs alors que cet attirail prouve depuis de nombreuses années qu’il était devenu obsolète et sans effets avérés sur le travail.

Nous ne parvenons plus à restaurer notre compétitivité car nous nous sommes enfermés dans une bulle où la « malformation » et la déresponsabilisation se conjuguent autour d’un État pompier de moins en moins providentiel.

Prétendre réformer de fond en comble la formation des adultes sans même impliquer l’Éducation nationale, c’est à la fois remplir le tonneau des Danaïdes et se lancer dans des travaux d’Héraclès car :

  • 160 000 jeunes quittent tous les ans le système scolaire sans aucun bagage éducatif et aujourd’hui, près de 2 millions de jeunes sans éducation, sans formation ni emploi (les NEET) traînent leur ennui et leur désespoir social dans les banlieues et les campagnes ;
  • ees centaines de milliers de jeunes, pourtant diplômés ne trouvent plus d’emploi tant le divorce est consommé entre le monde de l’éducation (œuvrant avec des outils datant de Jules Ferry) et le monde de l’entreprise (toujours considérée comme un lieu d’exploitation et d’aliénation) ;
  • Encore deux millions de chômeurs de longue durée attendent avec de moins en moins d’espoir un emploi qui s’éloigne à mesure que la crise économique s’installe et s’étend ;
  • enfin, 8 % des salariés (soit près de 1,7 million de personnes) sont au travail, quasiment illettrés et potentiellement victimes de futurs plans sociaux si la crise s’aggrave dans les prochaines années.

Le CPF est malheureusement une vue de l’esprit, un « truc » de communicants

Face à de tels défis (22 % de la population adulte de 16 à 65 ans en grande difficulté, selon l’étude PIAAC de l’OCDE), la France est incapable de déclarer la mobilisation générale, ni même de sonner le tocsin. Elle a inventé une nouvelle solution technocratique et magique pour lutter contre l’absence d’éducation ou de formation : le compte personnel de formation (CPF).

À en croire la technocratie (syndicale, politique et administrative), tout se résumerait à un problème de dimensionnement de notre tuyauterie de « formation ».

Compter ses heures de formation (le compte personnel de formation), comme compter sa peine au travail (compte pénibilité) ou encore compter ses années avant une retraite anticipée, permettrait de résoudre nos problèmes de compétitivité, de compétences et de qualité du travail.

Que sait-on du dossier CPF en cette fin avril 2014 ?
  • Un compte universel à ouvrir et à gérer pour chaque travailleur dès l’âge de 16 ans jusqu’à la retraite (soit une cinquantaine d’années de traçage des carrières pour 20 à 30 millions d’actifs) ;
  • Des règles d’acquisition complexes et illisibles (3 paliers dégressifs dans le temps pour un plafond de 150 heures sur 8 à X années) ;
  • Des abondements divers et très variés (entreprise, région, branche professionnelle, CNAV, salariés eux mêmes…) ;
  • La reprise d’un milliard d’heures de DIF sur un autre compteur, distinct du compteur CPF et qui s’éteindra en 2021 ;
  • Une complexification et une multiplication des circuits pour organiser et contrôler la formation (entreprises, OPCAS, Caisse des dépôts, conseil en évolution, FPSPP, régions, Pôle Emploi, COPINEF, COPIREF, CNAA, CNEFOP…) ;
  • Une centaine de financeurs potentiels : Pôle emploi, 26 régions, 30 rectorats d’académie, 20 OPCA,  34 OPACIF (26 FONGECIF et 8 OPACIF « hors champ »), l’AGEFIPH (au titre du réseau des caps emploi) et enfin la CNAV (au titre du compte personnel de prévention de la pénibilité).

Le CPF pourrait donc être un nouvel « éco-mouv » pour l'État, un fiasco financier et organisationnel démontrant son impuissance à accompagner le pays dans l’économie du XXIème siècle.

« La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent », Albert Einstein.

Les vrais changements en formation en France n’ont pas besoin de nouvelles lois mais de courage politique et social. Il faut tout à la fois :

  • remettre au travail une Éducation nationale qui s’est transformée en une gigantesque maison de jeunes (sans la culture) ;
  • responsabiliser le corps social tout entier en expliquant que pour conserver son emploi et ses revenus, il faudra travailler plus, mieux et plus longtemps ;
  • responsabiliser les employeurs tout en réduisant leurs charges dès lors qu’ils engageront une réelle  politique de développement des compétences (actuellement seules 10,5 % des entreprises en France sont dans ce cas) ;
  • réorienter pas 3 % des fonds dévolus à la formation (comme le fait le pusillanime CPF) mais au moins 50 % de ces fonds, notamment les fonds mal utilisés du secteur public, vers le personnel le plus fragile.

La formation est certes un trésor mais c'est surtout un effort et une anticipation.

La formation ne résoudra sans doute pas tous nos problèmes et ce n’est pas en formant (occupant) des chômeurs sans perspective d’emploi que nous reprendrons une place de premier plan en Europe.

En revanche, l'État a un rôle nouveau et important à jouer en ce début de siècle : laisser respirer et s’épanouir la société, desserrer son emprise sur un pays qui ne demande qu’à se libérer de ses entraves administratives et fiscales pour reprendre espoir et confiance.

En formation, nous avons déjà perdu une décennie en tergiversations et retards divers (2004-2014). La présente réforme de la formation pourrait, si elle est appliquée sans discernement en 2015, faire perdre à notre pays de nouvelles chances d'entrer dans la société de la connaissance et de l'information.

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