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29 / 08 / 2011 | 2 vues
Denis Garnier / Membre
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Laver vingt mamies à l’heure, qui dit mieux ?

EHPAD de détresse ! C’est le plus souvent dans les établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes (EHPAD) que la situation se produit. Quarante résidents par étage (papis et mamies), qui logent dans des structures plus ou moins médicalisées.

Entourés de professionnels (aides-soignantes pour la plupart), ils coulent des jours paisibles jusqu’au dernier. Si dans les pays du nord de l’Europe on compte un agent pour un résident, en France, ces moyens sont inférieurs de moitié pour un travail identique. Seul le résultat diffère. C’est ainsi qu’il devient courant d’imposer des cadences de travail qui dépassent l’entendement.

6 minutes par résident


Normalement, les aides-soignantes apprennent durant leur scolarité qu’il faut environ 20 minutes pour effectuer la toilette d'une personne dépendante et plus de 40 minutes pour certaines autres pathologies. Or, lorsqu’elles se retrouvent à deux pour quarante personnes et que les toilettes doivent s’effectuer entre 9h00 et 11h00, elles adoptent un rythme de « vingt mamies à l’heure ».

Seule, l’aide-soignante aura 6 minutes par personne. Si elles sont deux, 3 minutes seront disponibles.

Il faut donc faire appel aux agents des services hospitaliers qualifiés. Les ASHQ sont chargés d’entretenir les locaux. Réglementairement, ils ne sont pas autorisés à faire la toilette. Mais ils coûtent moins chers que les aides-soignantes. Alors les directions n’hésitent pas à transgresser la loi.

Nous avons rencontré Arnaud Pionner, qui est responsable départemental de FO santé et qui connaît bien les EHPAD de son département (Eure-et-Loire). Il témoigne : « Un chômeur de longue durée peut se retrouver du jour au lendemain en train de faire une toilette à un résident. Il est envoyé par Pôle Emploi pour exercer l’entretien des locaux et se retrouve à la toilette des personnes âgées ». Qu’importe les compétences !

  • « Un nouveau recruté ne sachant pas compter et n’osant pas le dire à ses collègues, devait donner 100 gouttes de médicament à un résident. »


Cette situation fait réagir d’abord les professionnels qui sont confrontés à l’éthique de leur métier et à la famille qui a toutes les raisons de se plaindre. Ensuite, les syndicats qui dénoncent ces faits aux plus hautes autorités.

Les réponses sont désespérantes : « Mesdames et Messieurs, s’ils étaient chez eux, croyez- vous qu’ils se laveraient tous les jours ? » ; « C’est un problème d’organisation », « les personnes âgées n’ont pas de douche chez eux, elles sont habituées », « la douche leur rappelle la guerre». Un directeur de DDASS répond au syndicat : « nous préconisons une douche tous les 13 jours » etc.

Les cadres qui sont chargés de l’organisation des services ne possèdent plus les réponses. Ils deviennent des spectateurs impuissants de la souffrance du personnel (même si certains en ajoutent encore).

Arnaud Pionner nous raconte des plannings de fou : « 21 jours de travail sans un jour de repos pour une infirmière à l’EHPAD de Pontgouin en 2005, faute d’infirmière de remplacement, 6 repos hebdomadaire fractionnés sur 4 semaines en été 2011 à l’EHPAD de Chartres, des cadres venant au domicile des agents les supplier de revenir travailler afin de pouvoir finaliser les plannings ».

Il a relevé des paroles d’agents : « On ne lave plus des corps, mais simplement des peaux », « C’est l’abattage ce matin ; à l’usine on fabrique des boulons, mais nous avons des êtres humains dont nous occuper », « En 2 mois, M. X ne savait même plus éplucher une pomme, rien n’est fait pour garder l’autonomie des résidents », etc.

Les témoignages sont troublants et lorsque l’on apprend qu’ici ou là un agent a fait preuve de maltraitance, les autorités se lavent de toute responsabilité et dénoncent les coupables qui sont forcément le personnel.

Contrat précaire

Ce fut le cas à l’EHPAD de Maintenon. « Un agent de service était seul avec 6 intérimaires en plein été, cet agent a été convoqué devant un conseil de discipline pour fait de maltraitance ».

« À Chartres, les repas sont servis à 17h30, un agent pour 30 résidents que l’on doit faire manger à la petite cuillère et ensuite faire la vaisselle, les mettre au lit, changer la couche et à 20h30 tout doit être fini, soit 6 minutes par résident ! »

Cette situation de travail devient insupportable et lorsqu’elle est dénoncée au plus haut niveau, les yeux, qui sont engoncés dans les orbites de l’autorité, se baissent à peine.

Arnaud Pionner, ce militant FO, nous communique les résultats d’une enquête réalisée dans les EHPAD d’Eure-et-Loire, où il est noté que des emplois budgétés pour des aides-soignants sont occupés par des agents de service. Le plus dramatique, nous dit-il, « c’est le recrutement impressionnant de contrats précaires (CAE). Par exemple, à l’EPHAD de Cloyes-sur-le-Loir en 2007, il y avait un tiers de ses effectifs en contrats précaires ».

Une société qui ne respecte pas ses anciens n’est pas digne. Les plus en colère ne peuvent que souhaiter le même sort à ceux qui, aujourd’hui confortablement installés dans des fauteuils dont ils se disputent la qualité, seront confrontés aux faiblesses d’un corps qui sera plongé dans l’indignité.

Ceux qui pensent que la dépendance doit reposer sur la solidarité, sur la dignité, sur l’accompagnement chaleureux d’une main qui se tend ou d’un sourire qui réconforte, ceux-là veulent changer ce logiciel libéral mondialisé : la main tendue et le sourire ne sont pas « facturables » [1] !

[1] Facturable est un terme utilisé pour ceux qui s'occupent de la tarification hospitalière.

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