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09 / 02 / 2016 | 685 vues
Blandine Peschard / Membre
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La réhabilitation psychocorporelle du malade alcoolique par la sophrologie

L’alcoolodépendance est une maladie multifactorielle complexe nécessitant une prise en charge pluridisciplinaire spécialisée. En effet, son éthiopathogénie est neuro-bio-psycho-sociale. De ce fait, la sophrologie, en complément d’une prise en charge régulière avec un médecin alcoologue, un psychologue et la participation à un mouvement d’entraide, trouve toute sa place et son utilité. La maladie alcoolique étant une pathologie des limites, tous ces rendez-vous réguliers permettront au malade de retrouver des repères, d’avoir des garde-fous et d'apprendre à se restructurer dans le temps et l’espace. Réguliers et diversifiés, ils permettront également au malade alcoolique de limiter puis de cesser ses « rendez-vous » avec le produit.

La sophrologie est une discipline scientifique, thérapeutique et philosophique. Elle traite de l’humain dans ses différentes dimensions (physique, psychologique et sociale) en se basant sur trois piliers essentiels : le schéma corporel, l’activation du positif et le principe de réalité objective. La sophrologie permet d’acquérir des ressources essentielles telles que la confiance en soi, la connaissance de soi, une meilleure gestion des émotions et du stress, de meilleures performances cognitives etc. Dans l’accompagnement spécifique de l'alcoolisme, la sophrologie va agir à différents niveaux : corporel, émotionnel et identitaire.

Au niveau corporel


L'alcoolisme étant une pathologie des limites, l’imprégnation éthylique annule la notion de temps, de distance à l’autre et de bienséance. Les repères sociaux s’effacent et se « noient » peu à peu sous les effets de l’alcool, la seule limite, l’unique repère de l'alcoolique devient sa nécessité chronique de s’alcooliser. L’enveloppe corporelle du sujet n’existe plus, elle devient extérieure et différente de lui-même. Ce corps « impropre » le renvoie sans cesse à la dépendance, à cette image négative de lui-même. Cette autodestruction permanente et progressive, c’est le corps de la honte. L'alcoolique ne se reconnaît plus dans la glace, ne se voit plus ; son corps est nié, comme sa maladie. Il est contraint de vivre avec ce corps mais ce n’est plus lui. Il ne se reconnaît même plus dans le regard des autres qui lui renvoient une image abominable, effrayante de cet être détruit. Son enveloppe corporelle est déchirée, seule la consommation d’alcool lui permet de remplir ce vide, cette déchirure.

L’abstinence, la suppression de l’alcool, dépouille le malade de son « enveloppe », cette « barrière psychique », ce « masque », son unique repère qui lui permettait d’affronter le quotidien (confiance en soi, affirmation de soi, refuge face à une réalité trop insupportable etc.) avant que sa déchéance ne lui apparaisse clairement.

La sophrologie permet au malade de re-connaître, de ré-apprivoiser, de se ré-approprier son corps. Pour ce faire, le travail sophrologique se base sur différents points :
  • la prise de conscience et visualisation de chaque partie du corps, et du corps tout entier,
  • l’écoute des sensations agréables vécues,
  • le repérage des tensions présentes dans le corps,
  • la prise de conscience des limites de ce même corps,
  • la visualisation d’un corps en guérison, en reconstruction.

Tout cela permet au sujet de « ré-habiter » pleinement son corps et ses limites, de retrouver une certaine temporalité en remplaçant la peur du vide par une continuité corporelle et psychique.

Au niveau émotionnel

La consommation d’alcool a souvent pour fonction d’apaiser l’angoisse et/ou l’anxiété, de l’inhiber, de la « noyer ». L'alcoolique met tout en œuvre pour anesthésier ses émotions, entraînant des réponses inadaptées aux situations vécues (agressivité, violence, incivilité etc.). Effectivement, être à l’écoute de ses émotions est un indicateur essentiel pour savoir où l’on se situe sur l’échelle du bien-être et de l’équilibre et cela aide à porter une appréciation sur la réalité vécue et de se positionner face à elle. Grâce à cet indicateur on s’adapte, on change nos comportements, on s’interroge sur ceux des autres, on se protège et l’on évite un passage à l’acte que l’on pourrait regretter.

À ce niveau-ci, la sophrologie a plusieurs objectifs : traiter les mouvements dépressifs (la culpabilité et la honte qui surgissent à la levée du déni de la maladie), de gérer la frustration en apprenant à différer la satisfaction et de parer et apaiser la menace de séparation (du produit). Les séances se basent sur :

  • la respiration (gestion du stress et de l’angoisse),
  • l’écoute de son ressenti,
  • la perception de la gamme émotionnelle (les différentes émotions) et leurs acceptations,
  • le déconditionnement de la relation émotion négative/passage à l’acte,
  • la psychologie positive et valorisation des émotions.

Les émotions deviennent un point de repère pour acquérir une certaine autonomie face à la réalité vécue. Être à nouveau à l’écoute de ses émotions va permettre à l'alcoolique de parer aux situations à risque pouvant l’amener à consommer.

Au niveau identitaire

Dans l'alcoolisme, la honte prend une part importante et amène le sujet à toucher le fond, à s’enfoncer de plus en plus dans le rejet, l’abjection et la négation de lui-même. C’est en touchant le fond, en prenant conscience de sa perte de liberté (liberté de s’abstenir, liberté d’être, liberté de faire) que la chute s’arrête. À ce moment-là, une longue restauration narcissique est nécessaire pour que la part « saine » de la personnalité soit suffisamment forte pour pousser la part « malade » à se sevrer.

À ce niveau, la sophrologie permet à l'alcoolique-abstinent de renforcer sa conscience de l’espace intérieur/extérieur et sa différenciation moi/non-moi, de reprendre confiance en lui et en ses capacités et de retrouver un équilibre corps-psychisme. Pour cela les séances se basent sur :

  • la respiration (conscientisation et visualisation de la respiration et de son trajet dans le corps),
  • l’écoute de son ressenti,
  • la bienveillance, le non-jugement, le respect, la valorisation,
  • la visualisation de son corps entier,
  • et la psychologie positive.

Ces séances renforcent la conscience de soi, de son identité et d’une existence possible en dehors de l’alcool.

Limites de la sophrologie

« Le plaisir de se glisser dans un contenant maternant, l’absence d’obligation de réussite, de jugement de valeur, de culpabilisation de l’alcoolisation éventuelle, rendent les alcooliques assidus à cette prise en charge. Ils y viennent peu alcoolisés et peu à peu sans alcool » [1]. Cependant ce « contenant maternel » fait peur, l’idée d’avoir droit au mieux-être n’est pas toujours facile à accepter pour un alcoolique, une part de lui veut se soigner et l’autre veut replonger. Beaucoup de patients abandonnent la sophrologie et parfois les autres accompagnements en place, en cours de parcours, le plus souvent lors de rechutes car la honte reprend le pas sur le désir de soins. Dans cet accompagnement, il est important de s’adapter en permanence au rythme et aux possibilités du patient tout en gardant la rigueur d’encadrement nécessaire à son rétablissement et de son bien-être.

[1] Michèle Monjauze, Comprendre et accompagner le patient alcoolique. éditions In Press, (2008), p. 84. 

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